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A l’université de Boğaziçi, le mouvement de protestation n’a pas faibli depuis la nomination par Erdoğan de Melih Bulu à la présidence. Quelques informations sur les prolongements récents.
Une exposition-collage de fortune organisée par les étudiants protestataires est devenue prétexte à une vague de réactions islamo-homophobe.
C’est Ali Erbaş, directeur du Diyanet, les Affaires Religieuses, qui fut le premier à qualifier de “provocation”, une des œuvres représentant Shahmeran, une créature mythique, moitié femme, moitié serpent, dessinée sur un tapis de prière imprimé orné d’une image de Kaaba.
Le 30 janvier, Süleyman Soylu, le ministre de l’Intérieur d’Erdoğan annonce sur son twitter l’arrestation de “4 déviants LGTBi de l’Université Boğaziçi, ayant manqué de respect à la Kabaa”. Un ministre d’intérieur qui ne se prive pas de qualifier les gens publiquement de “déviants”, mais qui porte plainte pour insulte à l’encontre de quiconque le qualifie de “chauve”, c’est tout de même inouï…
Son partage, considéré comme contenant un appel à la haine, et donc enfreignant les règles de Twitter, est frappé d’un avertissement. Il est restreint d’affichage depuis la France. “Ce Tweet a enfreint les Règles de Twitter relatives aux conduites haineuses. Toutefois, Twitter a déterminé que sa disponibilité peut présenter un intérêt pour le public.”
Melih Bulu, “parachuté” par Erdoğan même à la direction de l’Université de Boğaziçi, a sauté sur l’occasion, suite aux déclaration du ministre de l’Intérieur pour “défendre l’université et l’Islam contre les LGBT”. Il partage un tweet en reprenant le hastag : #bogazicilgbtrezaleti, “ignominie de LGBT à Boğaziçi”, lancé par des islamistes, et utilisé pour pointer l’oeuvre en question.
“L’attaque d’un groupe d’insolents envers les sacrés de l’Islam, n’est en aucun cas acceptable. Ceci n’a absolument pas de place dans les valeurs de Boğaziçi. Une enquête conséquente est entamée à l’encontre des responsables de cette attaque”.
Plus tard, il supprimera ce tweet, et repartagera le même texte sans le hashtag… Mais, trop tard, les copies d’écran circulent sur les réseaux.
Pendant ce temps là, 4 étudiants de l’université, arrêtés, sont toujours en garde-à-vue et qualifiés publiquement de “déviants”. Pour le collage, ils sont accusés d’incitation à la haine selon article 216/1, concernant l’insulte aux valeurs religieuses. 2 de ces étudiants sont libérés le 30 janvier mais les deux autres sont incarcérés. Pourtant ce délit est passible au maximum d’une peine de 6 mois à 1 ans de prison, donc ces deux jeunes ne devraient pas être en détention préventive.
Des comptes des aficionados de l’AKP reprennent d’une seule voix… parfois proposant des “solutions radicales” comme sur ce tweet : “Vous savez quoi, tu vas bombarder Boğaziçi avec ceux qui sont dedans, c’est seulement là, j’aurais le coeur tranquille”. Le compte de @halepli00 Muhammed Nur, qui déclare d’ailleurs dans un autre tweet “le mouvement islamiste ne peut être empêché”, est suspendu depuis…
Le gouverneur d’Istanbul annonce que lors des perquisitions dans les locaux du club LGBTI de Boğaziçi, “des drapeaux lgbt et diverses pancartes et banderoles utilisées lors des manifestations ont été saisis”, et ce dans une formulation utilisée habituellement sur des saisies pour du matériel criminel ou terroriste. Réactions.…
Erdoğan à son tour, joint la longue liste des discours homophobes des responsables gouvernementaux. Il félicite les jeunes de son parti de ne pas être LGBT : “Nous porterons nos jeunes vers le futur, non pas en tant que jeunes LGBT, mais comme les jeunes du glorieux passé de ce pays. Vous n’êtes pas les jeunes LGBT”.
Bahçeli, le leader du parti nationaliste MHP, ne manquera pas non plus de s’exprimer… Il compare les étudiants protestataires aux soldats de Yazid qui ont attaqué le Kaaba, ou encore à la prise la Grande Mosquée de la Mecque par des terroristes islamistes en 1978, sans oublier de parler des forces intérieures et extérieures qui veulent nuire à la Turquie. Sa déclaration contenant tous les éléments de l’imagerie bigote et nationaliste est remarquable…
Boğaziçi n’en démordra pas ! Les protestations se poursuivent en prenant de l’ampleur, devant cette vague homophobe qui se rajoute aux revendications démocratiques et à la demande de libération des 2 étudiants toujours en détention… Des protestations se tiennent aussi dans d’autres villes. L’Université est assiégée par les forces spéciales de la police. Des dizaines d’étudiantEs sont arrêtéEs à Istanbul, à Izmir…
Le 2 février, le gouverneur d’Istanbul déclare que lors des opérations policières, 159 étudiantEs ont été arrêtéEs et placées en garde-à-vue.
Parallèlement, “Anadolu Gençlik Derneği”, association jeunesses anatoliennes 1Organisation nationaliste et islamiste, fondée après la dissolution de “Milli Gençlik Vakfı”, (Fondation jeunesses nationalistes”, et qui est liée comme son prédécesseur, au mouvement “Millî Görüş”, (vision nationale), l’organisation islamique européenne siégeant à Cologne.2 organise un rassemblement à Beyazıt, à Istanbul. Des slogans dans la veine “La jeunesse nationaliste est là, contre les mécréants qui défendent la liberté universitaire à Boğaziçi” sont scandés, avec des “Allah‑u Akbar”. Aucune intervention de la police. Aucune arrestation…
https://twitter.com/Medyascopetv/status/1356238590649499655
Fahrettin Altun, Directeur de la propagande présidentielle, annonce que c’est le “Recteur” Melih Bulu qui a ordonné la fermeture de l’association LGBT de l’université, car une telle association va à l’encontre des valeurs… “Ce qui a fait passer en action ceux qui ont commis “le délit de blocus du rectorat” est la décision ci-dessous. (photo sur le tweet). Comme on peut le voir, la direction de l’université a montré une réaction légitime envers ceux qui essayent de piétiner nos valeurs sacrées.”
Depuis quelques jours, le régime a mis en place des snipers, en face du Campus-sud de l’université. Video ici.
A l’instant où nous terminons cet article…
Suite à l’ordre d’un policier aux étudiants de “baisser les yeux et de se disperser”, un hashtag se crée spontanément : #AşağıBakmayacağız, “Nous ne baissons pas les yeux”. Devenu viral, il fait la une des listes des hashtags.
Les protestations se poursuivent, les interventions policières et arrestations aussi…
Le soutien continue ! Un nouvel appel a été lancé pour ce soir à 21h00, pour reprendre les jeux de lumières et concert de casseroles à Istanbul.…
#AşağıBakmayacağız #BogaziciDireniyor pic.twitter.com/AJZXtUthmP
— Boğaziçi Memories (@bounmemories) February 1, 2021
Ajout du 4 février
ToutEs les étudiantEs en arrestation sont libéréEs.