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Rédigé par le Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP), au pou­voir, le “pro­jet de loi sur la préven­tion de la dif­fu­sion et du finance­ment des armes de destruc­tion mas­sive”, vient d’être adop­té par la Com­mis­sion de la jus­tice, mal­gré les objec­tions de l’op­po­si­tion, et les réac­tions des citoyenNES et des organ­i­sa­tions de société civile.

Ce pro­jet de loi au titre curieux et trompeur (il s’ag­it en fait encore de lutte anti-ter­ror­iste) con­tient  en grande par­tie des arti­cles qui ciblent directe­ment les organ­i­sa­tions non gou­verne­men­tales (ONG) en Turquie, ce qui a donc sus­cité des inquié­tudes quant à la restric­tion des activ­ités de la société civile. Les ONG ont lancé une cam­pagne con­tre cette loi qui “men­ace la société civile” et se rajoute à l’avalanche coerci­tive violant les droits-humains d’une façon kafkaïenne et exponentielle.

Dans la sit­u­a­tion actuelle de la Turquie, les médias sont con­trôlés au mieux, ou pure­ment muselés. La jus­tice est sous tutelle absolue. Pour les par­tis poli­tiques, soit ils entrent dans les sil­lons du pou­voir, avec un masque de pseu­do oppo­si­tion, comme le CHP, le MHP, (expli­quer), soit ils sont en voie de déman­tèle­ment, comme le HDP, dont les mem­bres, les éluEs relevés de leur fonc­tions, sont empris­on­néEs… Cer­taines ONG sont déjà pure­ment des créa­tions asso­cia­tives du régime, quelques autres ont choisi d’a­gir en accord avec le régime, ou furent con­traintes de dépen­dre au gou­verne­ment, par dif­férents moyens, des mis­es sous tutelle, des pres­sions ou intim­i­da­tions. Mais il reste tout de même un cer­tain nom­bre de groupe­ments non gou­verne­men­taux qui tien­nent tête au pou­voir, et leur exis­tence est d’ailleurs plus que vitale. Avec cette nou­velle loi qui “lutte con­tre le ter­ror­isme”, les seules asso­ci­a­tions à pou­voir con­tin­uer à élever des voix dis­si­dentes, les dernières forter­ess­es des droits humains et de la lib­erté, déjà affaib­lies, seront muselées à jamais.

Comme les ONG et des insti­tu­tions de droits humains inter­na­tionales le soulig­nent, cette nou­velle loi, sous le pré­texte de lutte con­tre le finance­ment du ter­ror­isme, avec des  pou­voirs éten­dus qu’elle accorde au min­istère de l’In­térieur, cache en son sein un autre objec­tif : celui de réduire et de restrein­dre les activ­ités légitimes de tout groupe non gou­verne­men­tal qui déplaît. C’est un dan­gereux out­il dan­gereux livré entre les mains du pouvoir.

Depuis l’Eu­rope, ou autres pays extérieurs, médias et poli­tiques con­tin­u­ent de qual­i­fi­er le régime de Turquie comme “en voie de total­i­tarisme”, nous nous deman­dions où se trou­vaient la ligne rouge, entre un régime dur et un régime total­i­taire… Ce coup de sabre rendrait peut être enfin vis­i­ble cette ligne rouge dépassée depuis longtemps, et que l’hypocrisie préfère de ne pas voir, en se con­tentant de mon­tr­er le gros doigt, tout en con­tin­u­ant à faire des affaires…

Comme le mot “ter­ror­isme” en Turquie, et même ailleurs, est devenu un mot valise pour crim­i­nalis­er toute oppo­si­tion, tan­dis qu’on se sert des vrais pour de som­bres manoeu­vres, et qu’une nième loi de restric­tion de ce qui reste de lib­ertés publiques ne tenait pas dans la valise, la nou­velle loi a donc pris un autre nom de baptême.

Dans ce con­texte, la Plate-forme com­mune des droits de l’homme (İHOP) a pub­lié une déc­la­ra­tion et a fait part de ses vues sur les arti­cles et amende­ments pro­posés. Voici un résumé pub­lié par Bianet.

Ce pro­jet de loi a été pré­paré en exclu­ant la société civile et sans recueil­lir l’avis d’au­cun par­ti social”, peut-on lire dans la déc­la­ra­tion, qui s’in­quiète du fait qu’ “en cette péri­ode de pandémie du nou­veau coro­n­avirus (COVID-19), les par­tis soci­aux ont été mis de côté, et  que ces mesures qui entraîn­eraient une énorme restric­tion de la lib­erté d’as­so­ci­a­tion sont apparues comme un fait accom­pli”.

Voici quelques points impor­tants de la déclaration :

Des dispositions qui sont clairement contraires à la loi commune

Le raison­nement général du pro­jet de loi a été indiqué comme étant “de rat­trap­er les normes inter­na­tionales en matière de lutte con­tre le finance­ment du ter­ror­isme et les infrac­tions de blanchi­ment, à la lumière du rap­port de 2019 du Groupe d’ac­tion finan­cière — GAFI et des réso­lu­tions du Con­seil de sécu­rité des Nations unies (CSNU).” Toute­fois, bien que les réso­lu­tions du CSNU soient con­traig­nantes en ter­mes de droit inter­na­tion­al, la régle­men­ta­tion — par une loi — de mesures, que les réso­lu­tions sus­men­tion­nées n’im­posent pas aux États sig­nataires en tant qu’oblig­a­tions, ne peut être con­sid­érée comme une exi­gence du droit international.

Les règle­ments qui ne sont pas un résul­tat oblig­a­toire des réso­lu­tions du Con­seil de sécu­rité ne doivent pas être en vio­la­tion de la con­sti­tu­tion et des con­ven­tions inter­na­tionales sur les droits de l’homme, tout comme c’est le cas pour d’autres lois.

En fait, la réso­lu­tion du Con­seil de sécu­rité, qui en est la base, souligne aus­si ouverte­ment que les mesures à pren­dre ne doivent pas être en vio­la­tion du droit inter­na­tion­al des droits de l’homme. Il est clair que, con­traire­ment à ce qui a été expliqué, les dis­po­si­tions de ce pro­jet de loi sont con­traires à la con­sti­tu­tion et aux droits inter­na­tionaux de l’homme, sans par­ler du fait qu’elles font suite à une réso­lu­tion du Con­seil de sécu­rité des Nations unies qui attire l’at­ten­tion sur le Droit.

Les partis sociaux ont été mis de côté

Lorsque l’on exam­ine le raison­nement général et les arti­cles pro­posés, on con­state que les deux derniers arti­cles por­tent sur l’exé­cu­tion et la mise en œuvre, et que seuls 6 arti­cles trait­ent de l’ob­jec­tif, tan­dis que les 35 autres n’ont aucun lien direct avec le raison­nement de base. Il est impératif que le pro­jet de loi soit réex­am­iné en rela­tion avec les autres lois ain­si qu’avec les prob­lèmes que le pays ren­con­tre en matière d’É­tat de droit.

Les proces­sus de déf­i­ni­tion et de mise en œuvre des normes de pro­tec­tion des droits de l’homme et des lib­ertés doivent être menés de manière trans­par­ente avec la par­tic­i­pa­tion et la con­sul­ta­tion de ceux qui sont con­cernés par les lois et les poli­tiques pertinentes.

En Turquie, il existe env­i­ron 120 000 asso­ci­a­tions. Ce nom­bre d’as­so­ci­a­tions con­cerne directe­ment ou indi­recte­ment au moins 1,5 mil­lion d’adultes et, avec leurs familles, au moins 10 mil­lions de personnes.

Alors que le pro­jet de loi devrait être débat­tu au Par­lement aujour­d’hui, le 24 décem­bre, Human Rights Watch (HRW) pub­lie à son tour, une déc­la­ra­tion écrite et fait part de ses inquiétudes.

Ce projet de loi menace la société civile”

Le gou­verne­ment devrait retir­er les dis­po­si­tions d’un pro­jet de loi qui restreindrait arbi­traire­ment les activ­ités des ONG et qui pour­rait vio­l­er le droit à la lib­erté d’as­so­ci­a­tion”, déclare le HRW et il ajoute :

Seuls six des arti­cles com­pren­nent des moyens et des règle­ments pour lut­ter con­tre le finance­ment du ter­ror­isme. Les autres accor­dent au min­istère de l’in­térieur et au prési­dent une large autorité pour restrein­dre les activ­ités des groupes indépen­dants et dimin­uer leur rôle.

Aucune clarté sur le com­ment les mesures pro­posées seraient lim­itées à la restric­tion des activ­ités des groupes ayant un lien matériel avec des groupes armés et ne seront pas util­isées à grande échelle con­tre  toutes autres organisations.

Les organ­i­sa­tions que le gou­verne­ment n’ap­pré­cie pas pour leur tra­vail sur les ques­tions de droits de l’homme et d’É­tat de droit en Turquie seront par­ti­c­ulière­ment menacées.

Exp­ri­mant sa “forte oppo­si­tion à l’idée de dot­er le min­istère de l’In­térieur du pou­voir d’u­tilis­er le pré­texte d’une enquête sur le ter­ror­isme qui n’a pas abouti à des pour­suites, et encore moins à une con­damna­tion, pour empêch­er les gens de s’en­gager avec des ONG”, le HRW note également :

La recom­man­da­tion n° 6 du Groupe d’ac­tion finan­cière sur le blanchi­ment de cap­i­taux (GAFI) exhorte les gou­verne­ments à respecter les droits de l’homme, à respecter l’É­tat de droit et à recon­naître les droits des tiers inno­cents tout en s’ef­forçant de prévenir le finance­ment du ter­ror­isme et le blanchi­ment d’ar­gent. Le pro­jet de loi turc, s’il est adop­té, bafouera com­plète­ment ces normes et élargi­ra au con­traire le champ d’ac­tion du min­istère de l’in­térieur, pour restrein­dre les activ­ités de toute organ­i­sa­tion et des indi­vidus qui y participent.

De fait, “la mise aux normes et en con­for­mité”, con­cer­nant le finance­ment du ter­ror­isme, est un cache sexe tout trou­vé pour sabr­er davan­tage le droit com­mun et ren­forcer la tutelle du pou­voir poli­tique sur toutes les asso­ci­a­tions du pays. Si, dans les faits, cela est déjà large­ment le cas, don­ner un ver­nis démoc­ra­tique par la loi, et du grain à moudre au par­lement crou­pi­on de Turquie fourni­ra les bases pour une répres­sion accrue, si cela est encore possible.

Faire entr­er dans la valise du “ter­ror­isme” les quelques asso­ci­a­tions et regroupe­ments de société civile adossées à la défense des droits humains, en même temps qu’élargir encore les prérog­a­tives du min­istère de l’In­térieur, en déclarant se met­tre en con­for­mité avec “les deman­des inter­na­tionales” est une supercherie qui peut devenir une “arme de destruc­tion mas­sive” du peu qui sub­siste de regroupe­ments soci­aux autonomes.

En prenant un peu de dis­tance, et en obser­vant dans le monde entier la façon dont “ter­ror­isme” et “pandémie” devi­en­nent des vecteurs de restric­tion des lib­ertés publiques, on pour­rait plaisan­ter et dire que finale­ment la Turquie se met bien en con­for­mité, comme elle le prétend.

Mise à jour du 26 décembre 2020

La loi a été entérinée à l’Assem­blée Nationale.


Image à la une : Dessin Naz Oke

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