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Lors de mon pas­sage à la Bien­nale de Berlin, j’ai croisé Mar­wa Arsan­ios, autour d’un chaleureux repas partagé sur une ter­rasse berli­noise. Entre rires et échanges sans masque, au bon sens du terme, j’ai savouré cette belle ren­con­tre, lors de ma dernière soirée allemande.

J’avais ren­con­tré préal­able­ment le tra­vail de Mar­wa, parce que situé dans le même étage du KW, où, entre autres, la bande dess­inée “Xêzên Dizî” (dessins cachés en kurde) de Zehra Doğan était exposée, en com­pag­nie de mag­nifiques instal­la­tions de l’artiste romm Mal­go­rza­ta Migra-Tas “Lost Mem­o­ry” (Mémoire per­due), et de la très puis­sante réal­i­sa­tion col­lec­tive et sin­gulière de la jeune artiste mapuche Pao­la Baeza Pail­amil­la “Kurü Mapu” (Terre noire en langue mapuche), dont je vous par­lerai dans un prochain arti­cle. Un bel espace, où les femmes de dif­férents coin du monde se retrou­vent avec des expres­sions qui se croisent et s’entrelacent.

  • Mar­wa Arsanios

Marwa ArsaniosMar­wa Arsan­ios est née à Wash­ing­ton, D.C. Elle a obtenu une maîtrise en beaux-arts (MFA) au Wim­ble­don Col­lege of Arts de l’U­ni­ver­sité des Arts de Lon­dres, au Roy­aume-Uni, en 2007, et a été chercheuse au départe­ment des beaux-arts de la Jan Van Eyck Acad­e­mie, à Maas­tricht, aux Pays-Bas. Elle est mem­bre fon­da­teur du pro­jet de recherch­es 98 weeks, espace de pro­jet con­cen­trant des efforts de recherche sur des sujets qui tour­nent selon un cal­en­dri­er de 98 semaines.

Grâce à l’u­til­i­sa­tion de cartes topographiques, de vidéos et d’in­stal­la­tions, Arsan­ios sen­si­bilise aux ques­tions envi­ron­nemen­tales qui touchent la ville de Bey­routh, au Liban. Son tra­vail abor­de un tel événe­ment afin de faire la lumière sur les con­flits nationaux et l’avenir du peu­ple libanais. Les autres œuvres d’Arsan­ios intè­grent des élé­ments de la cul­ture pop, de la sex­u­al­ité, de géo­gra­phie et d’histoire.

Elle mul­ti­ple les expo­si­tions, J’ai enten­du 3 his­toires en 2009, Tout savoir sur Aca­pul­co en 2010,  La chute ne s’ef­fon­dre pas, la chute se pro­longe en 2016,  Ham­mer Projects : Mar­wa Arsan­ios en 2016–2017…

Actuelle­ment basée à Berlin, elle est présente à la Bien­nale, avec la troisième par­tie de sa trilo­gie Qui a peur de l’idéolo­gie ? : Microresistances.

Qui a peur de l’idéologie ?

Liban, Kur­dis­tan, Syrie, Colom­bia | Trilo­gie — 2016–2020
Réal­isé par Mar­wa Arsanios

Réaf­firmer les principes fon­da­men­taux de la vie, con­tre les machiner­ies de l’ex­ploita­tion cap­i­tal­iste, est le cœur de la lutte anti­colo­niale actuelle pour un change­ment social et poli­tique plus large ; et les femmes se bat­tent sur ces dif­férentes fron­tières. Les trois films de Qui a peur de l’idéolo­gie ? de Mar­wa Arsan­ios (2017–2020) tis­sent un chemin croisé à tra­vers ces luttes des femmes — dans des endroits comme le nord de la Syrie et la Colom­bie — pour revendi­quer la terre et renouer avec la nature sans inter­mé­di­aire. L’au­todéfense, l’é­cofémin­isme, la pro­priété, la guéri­son, la résis­tance, le con­trôle de l’É­tat, l’au­tonomie, la col­lec­tiv­ité, la lutte indigène, la pro­tec­tion des semences et les droits fonciers définis­sent le ter­rain com­mun des femmes qui résis­tent aux indus­tries extractives.

Com­ment choi­sis­sons-nous de vivre et de sur­vivre aujour­d’hui ? Les idéolo­gies peu­vent-elles être trans­for­ma­tri­ces ? Com­ment peut-on favoris­er la vie dans un con­texte de con­flit mil­i­taire et de guerre ? Les ques­tions oppor­tunes d’Arsan­ios son­dent non seule­ment la façon dont l’idéolo­gie et la théorie coïn­ci­dent avec la pra­tique de la vie, mais aus­si si “nous” qui avons vécu en dehors de ces cer­cles de lutte, pou­vons incar­n­er des répons­es. Qui a peur de l’idéolo­gie ? La pre­mière par­tie (2017) et la deux­ième par­tie (2019), s’ar­tic­u­lent autour d’en­tre­tiens que l’artiste a réal­isés avec des mem­bres du Mou­ve­ment autonome des femmes kur­des au Kur­dis­tan irakien et de Jin­war, une com­mune réservée aux femmes dans le nord de la Syrie, explo­rant les pos­si­bil­ités d’une prax­is poli­tique basée sur une exis­tence proche de la nature et au sein de la lutte armée. Pen­dant la pro­duc­tion des films, Arsan­ios a organ­isé dif­férentes ren­con­tres avec des agricul­tri­ces et des fémin­istes écol­o­gistes de Syrie, du Liban, de Colom­bie, du Mex­ique, d’Inde, de Pologne, du Dane­mark et de Grèce pour échang­er des con­nais­sances sur leurs coopéra­tives et leurs communes.

(ÖÖD — Extrait du Cat­a­logue de la 11ème Bien­nale de Berlin)

Marwa Arsanios

Première partie, 23 min, 2017

Tourné dans les mon­tagnes du Kur­dis­tan début 2017, ce film se con­cen­tre prin­ci­pale­ment sur le Mou­ve­ment autonome des femmes du Roja­va et ses struc­tures d’au­to­ges­tion et de pro­duc­tion de con­nais­sances. Il s’ag­it d’un mou­ve­ment de guéril­la qui con­sid­ère la libéra­tion des sex­es comme une lutte indis­so­cia­ble et à égal­ité avec celle qui con­siste à résoudre les con­flits de guerre, le féo­dal­isme, les ten­sions religieuses et la lutte économique. Mais, mal­gré son accent cen­tral sur l’é­colo­gie et le fémin­isme, le mou­ve­ment autonome des femmes n’est pas un pro­jet libéral. C’est une idéolo­gie qui a émergé de la guerre et qui est pra­tiquée à tra­vers elle. La par­tic­i­pa­tion la plus récente du mou­ve­ment intè­gre la révo­lu­tion syri­enne qui a com­mencé en 2011 et qui se poursuit.

 Marwa Arsanios

Deuxième partie, 28 min, 2018

Elle exam­ine dif­férents groupes écofémin­istes, dont le Mou­ve­ment autonome des femmes du Roja­va, et la façon dont elles ten­tent de pren­dre soin de la terre et d’elles-mêmes. Prenant cela comme exem­ple d’une alliance entre une com­mu­nauté de femmes, la nature et les ani­maux, Mar­wa se con­cen­tre sur les dif­férents aspects que pro­pose cette économie alter­na­tive et la recon­struc­tion du monde. Le film prob­lé­ma­tise égale­ment le rôle “naturelle­ment” assigné aux femmes, qui pour­raient se rabat­tre sur le tra­vail de soins.

Vous pou­vez écouter cet entre­tien avec Mar­wa Arsan­ios réal­isé en 2019 par Radio Grenouille

Troisième partie, 30 min, 2020 : “Microrésistances”

La dernière par­tie de la trilo­gie présen­tée au pub­lic à la Bien­nale de Berlin, “s’in­spire de ces échanges intens­es et d’im­ages par­tielle­ment filmées dans le sud de Toli­ma, en Colom­bie. Le dernier film de la trilo­gie se con­cen­tre sur la guerre sys­témique actuelle menée par les sociétés transna­tionales con­tre l’élé­ment le plus petit et le plus essen­tiel de la vie : les semences.” (ÖÖD — Extrait de la Cat­a­logue de la 11ème Bien­nale de Berlin)

  • Marwa Arsanios

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.