Le livre Sivas 93 de Gen­co Erkal vient de paraître aux édi­tions l’E­space d’un instant.

Ce livre est traduit du turc par Selin Altı­par­mak avec le sou­tien de la Mai­son Antoine-Vitez. Le livre offre aux lec­tri­ces et lecteurs, une pré­face d’Eti­enne Copeaux, qui donne en détail, le con­texte et les racines his­toriques, se penche sur les cir­con­stances de l’événe­ment, analyse la foule qui agit, sous l’ef­fet des trau­ma­tismes des pop­u­la­tions qui se sont con­stru­ites en immer­sion dans un nation­al­isme, fab­rique de l’en­ne­mi. Ce pré­cieux texte d’é­clair­cisse­ment est néces­saire pour com­pren­dre ou appro­fondir, avant d’en­tr­er dans l’u­nivers de Sivas 93.
Nous vous invi­tons à lire, à la fin de cet arti­cle, sa conclusion.

À l’été 1993, de nom­breux artistes et intel­lectuels con­ver­gent vers Sivas, en Ana­tolie. La qua­trième édi­tion du fes­ti­val est prévue en ville, en présence d’Aziz Nesin, le célèbre écrivain, qui vient de traduire Les Ver­sets sataniques de Salman Rushdie. Le 2 juil­let, sous le regard impas­si­ble des autorités, une foule surex­citée et manip­ulée par les islamistes rad­i­caux assiège puis met le feu à l’hôtel Madı­mak, où se trou­vent les par­tic­i­pants. Trente-sept per­son­nes, jour­nal­istes, écrivains, poètes, comé­di­ens et musi­ciens, majori­taire­ment alévies, y per­dront la vie.


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Extrait de la pré­face d’E­ti­enne Copeaux

CONCLUSION

Sivas gezi

20ème anniver­saire de Sivas, pen­dant la révolte Gezi. Istan­bul, 2013. (Pho­to : Eti­enne Copeaux)

Les pru­rits de vio­lence qu’a con­nus la Turquie ne sont certes pas une par­tic­u­lar­ité turque. On pense aux mas­sacres, pogroms et lyn­chages, visant des altérités raciales, religieuses ou de castes 1
Dans tous les cas, des gens ordi­naires devi­en­nent émeu­tiers, mus par des idéolo­gies raciales, nationales, religieuses, qui sont les « rêves éveil­lés » du groupe, longue­ment dis­til­lés et au besoin ran­imés, au moment choisi, par les manip­u­la­teurs. Alors les idéo­logues et la foule sont en phase. C’est ce qu’Alexan­der Mitscher­lich appelle « la prop­a­ga­tion de la dis­po­si­tion homi­cide ». Dès lors, écrit-il, « la pos­si­bil­ité du géno­cide appa­raît ». 2.

Juste­ment, l’his­toire de la Turquie mod­erne com­mence par un géno­cide et il est néces­saire de réfléchir au lien qui peut exis­ter entre celui-ci et les vio­lences ultérieures. Le géno­cide des Arméniens s’est pro­duit au vu et au su de la pop­u­la­tion dans son ensem­ble, de sorte qu’on peut par­ler de com­plic­ité au moins pas­sive pour la plu­part des Turcs musul­mans de l’époque. Mitscher­lich l’af­firme à pro­pos de l’Alle­magne post géno­cidaire : « Per­son­ne ne peut être totale­ment inno­cent ». Or, ce géno­cide des Arméniens – et c’est un cas unique dans le monde – est nié en per­ma­nence et avec obsti­na­tion, de sorte que les Turcs ne peu­vent faire le tra­vail de « per­lab­o­ra­tion » qui per­me­t­trait de sur­mon­ter le sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité et le deuil, qui, on le sait, se trans­met­tent de généra­tion en généra­tion. L’E­tat turc lui-même a fourni à la pop­u­la­tion une « issue de sec­ours » pour éviter la per­lab­o­ra­tion, c’est le nation­al­isme narcissique.

La vio­lence passée étant niée, il n’y a ni coupables, ni cul­pa­bil­ité ; l’im­punité des crimes passés ne peut qu’en­cour­ager à d’autres vio­lences. Tuer pour la nation ne saurait être con­sid­éré comme un crime, et il est facile d’ha­biller d’un pré­texte « nation­al » une pul­sion de meurtre à l’en­con­tre d’une altérité : hier les Arméniens, aujour­d’hui les Alévis et les Kurdes.

Par la seule néga­tion du crime fon­da­teur, l’E­tat délivre à ses citoyens un véri­ta­ble per­mis de tuer au nom de la nation turque et musul­mane. Pour bris­er le cycle de la vio­lence, le chemin sera long car il fau­dra d’abord recon­naître le géno­cide et les autres crimes accom­plis au nom de la nation, puis redéfinir celle-ci, de manière à ce qu’elle ne puisse plus repos­er, même implicite­ment, sur aucune appar­te­nance religieuse ou eth­nique. La Turquie sem­ble au con­traire s’être enfer­mée dans le nation­al­isme et la vio­lence. 3

SivasGen­co Erkal est déjà con­nu pour ses pris­es de posi­tion publiques con­cer­nant la vie sociale, poli­tique et religieuse de son pays, la Turquie. En 2007, il décide donc de com­pos­er une pièce doc­u­men­taire sur ce mas­sacre et col­lecte toutes sortes de témoignages sur cette journée noire pour l’humanité qui s’est déroulée à Sivas. Le spec­ta­cle est créé en 2007 à Istan­bul avant d’être accueil­li en 2009 au Théâtre des Célestins à Lyon, dans le cadre de “Sens interdits”.

Gen­co Erkal est né en 1938 à Istan­bul. Diplômé en psy­cholo­gie, c’est un comé­di­en et met­teur en scène large­ment renom­mé en Turquie. Poli­tique­ment engagé, il a égale­ment signé dif­férentes adap­ta­tions et tra­duc­tions. On le retrou­ve dans de nom­breuses pro­duc­tions, qui lui ont valu plusieurs prix d’interprétation et de mise en scène, au théâtre et au ciné­ma, ain­si que des appari­tions sur les scènes de Paris et d’Avignon.

88 pages — 15 € — ISBN 978–2‑37572–006‑6
Disponible dès à présent dans la bou­tique en ligne des édi­tions l’E­space d’un instant, et à par­tir du 4 juin, dans toutes les bonnes librairies.


Image à la Une avec Michto.

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