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Je m’autorise pour la détente, une chronique télé très franco-centrée, en direct du trou où je suis confiné, mais en pleine nature, ce qui m’évitera les risques de parano liés au confinement, paraît-il.
N’allez pas croire que je passe mon temps devant la télé. Il y a mille autres choses à faire que de sucer de l’écran plat. Mais…
Jeter un oeil sur le petit écran, avec modération, c’est aussi voir et entendre ce que des millions de personnes reçoivent dans leur salon confiné, selon les heures de la journée, entre le télé travail, l’écran de téléphone, ou la sortie avec autorisation. Quand on a raté un épisode, ce qui est bien, c’est qu’on peut le retrouver sur twitter ou facebook. Et c’est instructif !
Ce que l’on peut dire de façon générale, c’est que pour les chaînes d’infos, le Covid-19 est la source intarissable de tous les formats d’émission. Chacune a gardé ses “animateurs/trices”, ses squatters homologués, ses surinvités détestables, ses chienNEs de garde, mais y a adjoint des spécialités médicales. Chaque chaîne se dispute les mêmes, et l’on finit par se demander si ce n’est pas pour ces “spécialistes” une forme de télétravail.
Juste pour le fun, décrivons grossièrement ce que cela peut donner.
D’abord le spot officiel coronavirus, avec une dramatisation type “alerte enlèvement”. Entre mars et avril, il a un peu changé. Au début on vous disait en gros “si vous avez des symptômes, c’est que vous êtes malades” et suivaient les recommandations de bien refermer la barrière en sortant. En mars, parmi ces recommandations, le port du masque était totalement absent. Et, sur les chaînes, la dame sandwich du gouvernement se gaussait en disant que cela ne servait à rien et qu’elle même ne savait pas le mettre. Ça, c’était le sketch de mars, mois des carnavals, comme chacun sait.
Un autre sketch consistait à prononcer un mot magique toutes les heures, dans toutes les émissions. Certains animateurs/trices, n’y arrivaient pas toujours du premier coup : “la chloro… quinte, mine, cine…” ou “l’hydroxi chloro… plaqué… mine”. Bref, vous l’avez compris, le feuilleton du Tartarin terrassant le Covid a bien fait baver lui aussi.
Deux sujets à polémique qui, comme pour des histoires drôles qu’on partage, virent s’y essayer les comiques habituels, à tour de rôle. Je ne vais pas les citer tous, mais des philosophes de plateau télé aux soixante-huitards libéraux, en passant par les visiteurs du soir autoproclamés de chez Macron, on a eu droit à la palette complète. Eux/elles, ne télé-travaillent pas, mais travaillent à la télé.
Sur la forme maintenant. Avant d’en venir à la présence des “spécialistes”.
Confinement, distanciation sociale et sécurité obligent, les écrans se sont divisés en petites lucarnes où surgissent des visages déformés par des webcams un peu trop grand angle, visages mal éclairés et non maquillés. On a pu ainsi découvrir ce que donnaient sans retouches certains visages de chienNEs de garde du PAF de toujours, que la télé use depuis des années. Un petit côté “ma gueule dans la glace au réveil”. On manque de botox dans la période.
Mais, vous savez comme moi que quand on ne peut jouer sur le maquillage, on peut le faire sur les costumes et la mise en scène, même à distance.
Pas une lucarne ouverte sans son sous-titre annonçant l’apparition.
Ce qui aurait pu ressembler à un calendrier de l’Avent en mars et avril devient une arborescence où les titres des unEs et des autres ronflent comme pour un défilé militaire. Le “On est en guerre” s’est incarné dans les appellations “Président de…”, “Responsable de…”, Membre de l’Académie de…”, “Co Administrateur de …”, “Chef de…”, … Je ne vais pas les faire tous. Plus d’hommes que de femmes, bien sûr, il y a toujours assez d’animatrices à l’écran pour faire mousser les commandants de guerre.
De temps à autre, un intervenant d’un des carrés, réveillé potron minet, la mèche en bataille, fait l’objet d’un “qu’en pensez-vous”. C’est démocratique. Mais c’est sujet imposé et pas figure libre, sinon le bug de communication et la perte de signal arrivent vite.
En avril, voilà qu’il fut nécessaire de préparer la réouverture des écoles, le Ministre ad hoc se sentant un peu inutile. Qu’à cela ne tienne, un “rapport” tombé à pic rappela soudain que nos chères têtes blondes n’étaient pas si Covid que cela et que tout bénéfices/risques pesés, le retour aux bénéfices passait par le soulagement des parents qui doivent retourner au travail. Là aussi, il existe des sketchs mémorables qui tournent sur les réseaux sociaux, avec les actrices et acteurs habituels cités plus haut, et des figurines ministérielles connues.
Je vous conseille celui du Préfet de police de Paris, en trois épisodes, dans un genre freestyle années 30. On attend avec impatience la nouvelle saison.
Inutile de parler des Ministres, de la séance de croque mitaine de 19h00 avec ses chiffres glaçants, ni des interventions à audimat élevé du Président… pédagogisées ensuite par dame sandwich, sans masque, ministres et sous ministres.
Mais, en avril, c’est toujours ne te masque pas d’un fil, en mai tu feras ce qu’il te plaît. Et surtout, n’oubliez pas d’applaudir et de vous laver les mains ensuite.
Nous n’aurons jamais vu non plus autant de “scientifiques” sur les plateaux télévisés. La Science guide le PAF.
Entre ceux qui sont là pour soutenir la macronie, faire prendre “avec pédagogie” les virages et contre-virages, et ceux qui ont leur avis sur toutes les polémiques, ceux qui, passionnants pourtant, (il y en a fort heureusement) se retrouvent assaillis de questions débiles et répondent pourtant, se glissent aussi, comme si c’était la “réserve médicale”, de vieux égos à la retraite qui finissent par avoir chaise réservée sur la chaîne.
Entre temps, lorsqu’il s’est agi de masquer des questions liées aux pénuries, les mêmes chaînes de télé ont ressorti, dans la foulée d’une communication présidentielle, la bonne vieille théorie du complot sur l’origine du virus.
En gros, les propos furent du type “on ne dit pas que… mais il n’y a pas de fumée sans feu”.
Deux journées d’avril, consacrées au pet anti chinois et ses odeurs répandues par Trump. J’ai même vu une dame dans le style Margaret anglaise, sous-titrée “spécialiste de la Chine pour le magazine jeunesse des Amitiés franco-chinoises du Sénat” tenir à l’occasion un cours sur les méfaits du système communiste de la Chine, si semblables à ceux de l’URSS, “mais qui pourrait pourtant être si efficace quand les entrepreneurs s’y mettront”. Un galimatia anti communiste désuet, pour une polémique volontairement provoquée. Tu veux de la télé, en vl’a.
A regarder donc cette manipulation d’opinion quotidienne, on se demande si tous les journalistes ont rejoint la réserve sanitaire, en laissant place aux animatrices/teurs de barnum, par défaut.
Sur les questions économiques, prenez les mêmes, mettez un masque aux néo-libéraux, d’une émission à l’autre, faites leur dire que “la dette sera bonne pour éviter la crise”, un jour, “il faudra bien payer”, le lendemain, et pensez qu’une fois la “crise” atténuée, ils entonneront à nouveau le credo d’avant… sans masque.
Allez donc tenter là dedans, de faire surgir une réflexion sur les rapports entre virus émergents et destruction de la bio diversité, Covid et mise en évidence des contradictions mortifères du capitalisme mondialisé, le sort des migrants coincés quelque part ou confinés à la rue… Tout cela sera balayé par la formule : “c’est sûr, rien ne sera plus comme avant”.
Et, à la télé, qu’est-ce qui va changer ?