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1• Le coronavirus agit aussi comme révélateur sociétal
2• La bulle financière dope l’effet du virus

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Je pour­su­is mon jeu de mika­do, en phras­es mêlées à pro­pos du coro­n­avirus. Et puisque l’E­tat insiste pour repren­dre la main…

3• Et puisque l’Etat insiste pour reprendre la main

J’ai enten­du ces jours-ci une phrase se répéter : “On jugera un homme d’E­tat à sa façon de sur­mon­ter la crise actuelle”. Encore une porte ouverte en péri­ode de con­fine­ment. Mais pas que.

Ce coro­n­avirus ques­tion­neur inter­roge juste­ment tous ces voca­bles, de “l’u­nité nationale” aux “civisme répub­li­cain” , pas­sant par un mélange des gen­res entre “ser­vices publics”, “ser­vices de l’E­tat”, Etat pro­tecteur, Economie nationale, Nation tout court …etc.

Il n’a jamais été aus­si facile poli­tique­ment pour un dirigeant de revêtir juste­ment le cos­tume de père pro­tecteur de la Nation, pour peu qu’il s’ap­puie sur une cohorte de sachants, puisque les “sujets” se tour­nent vers lui à la fois pour deman­der des comptes, et en même temps pour qu’il exerce son “autorité”. Ce faisant, on se retourne vers l’Etat.

Avant d’aller plus loin, je dois faire un pas de côté, non pour nier la pandémie et sa réal­ité, mais pour revenir sur le début de ces chroniques, en rap­pelant que la réac­tion apeurée mon­di­al­isée face à cette pandémie n’a d’é­gale que l’ex­ac­er­ba­tion de toutes les con­tra­dic­tions internes au sys­tème cap­i­tal­iste mon­di­al­isé et de son pois­son pilote financier. C’est une réac­tion de panique. Réac­tion à laque­lle pour­rait suc­céder des dérives et des remis­es en cause pro­fondes du peu que ce sys­tème n’a pas encore détru­it ou détourné à l’échelle mondiale.

Pourquoi le cap­i­tal­isme deviendrait-il bien­tôt un sys­tème de phil­an­thropie, alors qu’il y a quelques semaines encore, ses Etats répondaient par la vio­lence, la tor­ture, la mort, à celles et ceux qui se dres­saient en résis­tance sur 3 con­ti­nents, ou par la guerre. Je rap­pelle le Moyen-Ori­ent. Et, juste­ment, dans cette crise, les financiers du néo-libéral­isme pour­rait bien faire redé­cou­vrir les ver­tus d’un Etat et de l’au­tori­tarisme, en apprenant de fâcheuses habi­tudes aux pop­u­la­tions mis­es en dan­ger, et en con­fine­ment. Néo-libéral­isme et Etat en réal­ité n’ont jamais été enne­mis, et ont même prospéré ensem­ble sous la dic­tature chili­enne du siè­cle dernier.

Un des pro­to­types de l’E­tat-nation propul­sé à tra­vers le monde, tan­tôt à la force des baïon­nettes, tan­tôt à la canon­nière, s’in­car­ne dans le mod­èle français par exem­ple. Et comme il se con­fond large­ment avec l’his­toire des siè­cles passés, et pour les généra­tions vivantes, s’im­brique avec les notions de République, d’E­tat prov­i­dence, de ser­vices publics, de “mod­èle social”. Plus per­son­ne ne sent sa “vio­lence légitime”, sauf quand elle s’ex­erce à coup de matraque, de tirs de LBD, de grenades et de lacry­mos. Une bonne part de la société française a pris pour habi­tude de dénon­cer les matraques chez les voisins et de louer l’ef­fi­cac­ité du main­tien de l’or­dre à domi­cile, en défense des “valeurs répub­li­caines”. Même la gauche française est cocardière, comme elle fut colo­niale, et elle fait en per­ma­nence con­fon­dre sys­tèmes soci­aux acquis dans des luttes passées, ser­vices, biens publics et com­muns et… Etat.

Voilà donc que tout naturelle­ment, dans la panique entretenue autour de l’épidémie de coro­n­avirus, on se tourne vers cet Etat, ses struc­tures de gou­verne­ment, sa police, voire son armée, pour “men­er la guerre”.

Con­stater “en même temps” que ce même Etat, et ses gou­verne­ments suc­ces­sifs, menaient une poli­tique d’austérité, rog­nait et détru­i­sait les biens com­muns au prof­it “des plus rich­es”, et le slo­gan “Prési­dent des rich­es” fit florès, est une con­tra­dic­tion que les politi­ciens répub­li­cains nous résumeront sous le voca­ble “débat démoc­ra­tique utile à l’u­nité de la Nation”. Fer­mez les guillemets. On atten­dra donc l’al­ter­nance, comme chez Beck­ett, ou le retour de bâton de fin de pandémie.

Alors, quand arrive dans la République un virus à couronne qui sem­ble men­ac­er la Nation toute entière, la rente, le prof­it et la pour­suite des “réformes”, c’est Carmagnole.

Le mot de “con­fi­ance” est lâché, tout comme les exem­ples d“ ‘inci­vil­ité”… Les vieux réflex­es de classe qui sur­gis­sent d’un côté et vont rem­plir des rési­dences sec­ondaires ou des plages avant les beaux jours et de l’autre les images de marchés très fréquen­tés dans les quartiers pop­u­laires parisiens passent en boucle, en oppo­si­tion avec la “sagesse et le civisme” de rues désertées et de lais­sez-passers “con­trôlés” par la police. Ces gou­verne­ments n’ont aucune con­fi­ance dans la résilience des pop­u­la­tions mais l’ex­i­gent pour eux-mêmes, sanc­tions à l’appui.

Restez chez vous, cha­cun chez soi, telle est la con­signe “col­lec­tive”. S’y ajoute en même temps les appels fréné­tiques à “con­tin­uer le tra­vail”, pour éviter “l’ef­fon­drement économique”. Il est sûr que fab­ri­quer en ce moment des char­i­ots de super­marché, ven­dre des voitures ou bâtir des immeubles de bureaux  sont des activ­ités essen­tielles con­tre le coro­n­avirus… Toute cette cacoph­o­nie mérit­era un nou­v­el arti­cle, sous forme d’in­ven­taire à la Prévert. Tout comme ce qu’il serait pos­si­ble de faire, col­lec­tive­ment, hors d’un cadre d’obéis­sance aveu­gle. Les résiliences com­munes ne recoupent pas for­cé­ment un garde à vous d’en temps de guerre.

Les gestes bar­rière, les con­fine­ments, les masques sont indis­pens­ables et néces­saires face à cette crise san­i­taire du coro­n­avirus, et tout autant que l’au­raient été de vrais biens com­muns en nom­bre autour de la san­té. Dire le con­traire n’est pas de mise. Ce qui ne l’est pas, c’est que les Etats s’en sai­sis­sent comme police sociale, au nom de leurs intérêts supérieurs, en vue de leurs pro­pres sor­ties de crise.

Et des lignes de fond per­sis­tent, qui n’au­gurent rien de bon pour la suite. Si en même temps des ver­rous austéri­taires sont déblo­qués par néces­sité, tous les boulons du sys­tème d’ex­ploita­tion sont resser­rés, et des mesures gou­verne­men­tales pour­raient bien jouer sur la “con­fi­ance”, pour finir de net­toy­er des acquis de lutte du “monde du tra­vail”, en pas­sant. Ce sys­tème, après avoir un temps fait le gros dos à l’ap­proche de la crise san­i­taire, cherchera à se sauver lui-même en “récupérant” ce qu’il va y per­dre. Faites lui con­fi­ance pour cela. Et ne nous atten­dons pas à la chute de régimes autori­taires non plus…

Rien ne sera comme avant, mais en pire peut être.

L’ar­ti­cle suivant…


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…