Français | English
Hurmüz et Şimoni Diril, un couple syriaque du village de Mehre (Kovankaya en turc), dans le district Beytüşşebap de la province du sud-est de Şırnak, sont portés disparus depuis le 11 janvier.
Remzi Diril, le prêtre de l’église chaldéenne d’Istanbul est leur fils, et c’est lui qui a annoncé la disparition de ses parents depuis le 11 janvier dernier. Le couple réside à la fois au village Mehre, et à Istanbul. Mehre se trouve dans une région de nature difficile et montagneuse, qui est également une zone militaire souvent frappée d’interdictions d’accès. Dans le petit village, seules quelques personnes vivent, et d’ailleurs celles-ci sont également des proches de la famille du couple.
Ce sont les membres de famille qui, en rendant visite à Hurmüz et Şimoni, le 11 janvier, ont constaté qu’ils étaient absents. Les membres de la famille les ont d’abord cherché par leurs propres moyens, puis ont fait un signalement de disparition à la gendarmerie, qui a entamé ensuite des recherches…
Après l’annonce de la disparition du couple, le 16 janvier, le bureau du procureur qui mène une enquête sur l’incident, a imposé une ordonnance de confidentialité sur l’affaire…
Une ordonnance de confidentialité sur le dossier
Le député syriaque du Parti démocratique du peuple (HDP) Tuna Çelik déclarait le 3 février, “Trois ou quatre jours après l’incident, les voisins auraient déclaré que le couple avait été kidnappé. Pourquoi ne l’ont-ils pas dit dès le départ, mais maintenant ? Selon leurs déclarations, ‘trois personnes, dont une femme, ont enlevé le couple’. Une recherche technique a été effectuée sur la base de cette déclaration, mais elle n’a donné aucun résultat”.
L’inquiétude de la famille se mêle aux questionnements, du fait même que la disparition concerne deux personnes syriaques, une minorité chrétienne qui vit principalement dans le sud-est du pays. Remzi Diril, souligne qu’en raison des conditions hivernales, les recherches sont difficiles, voire par moment impossibles, en raison de chute de neige intensives et de menaces d’avalanche.
Tuna Çelik ajoute, “Par ailleurs, le fait que le bureau du procureur impose une ordonnance de confidentialité sur le dossier soulève également de nombreuses questions. Selon les informations que j’ai reçues du gouverneur du district, une recherche technique est en cours. (..) Si l’État ne peut pas trouver le couple qui a disparu depuis 24 jours dans une telle zone, cela signifie qu’il est incapable. Je ne pense pas que la Turquie soit aussi incapable, ce qui signifie qu’il n’y a pas de recherche suffisante. Je ne pense pas que l’État fasse le travail de recherches et de sauvetage nécessaires avec tous ses organes.”
Les craintes de la population syriaque
Comme nous en informe Burcu Karakaş, de DW, qui est allée à la rencontre de la population syriaque ; celle-ci est préoccupée.
Aujourd’hui le muhtar (préposé de village) du village Kafro, district de Mardin, Aziz Demir, est un syriaque de la région, qui fut contraint de quitter sa terre natale en 1985. Il a été ensuite un des premiers qui est pourtant revenu en Turquie, dans les années 2000.
“En Europe, nous craignions d’être assimilés, c’est pour cela que nous avons décidé de rentrer” dit-il. Il remarque qu’il n’ont pas eu vraiment d’aide, ni depuis l’Europe, où vit une importante diaspora syriaque, ni de l’Etat turc. “Certains villages détruits ont été reconstruits. Nos retrouvailles était importantes, mais à part quelques exceptions, nous n’avons pas reçu d’aide. Même l’infrastructure, ce n’est pas l’Etat qui l’a faite, mais nous- mêmes. Nous étions 16 familles, et chacune a investi 10 mille euros pour l’infrastructure. Pour les trottoirs, pareil, c’est nous qui avons financé 30 mille euros.”
50 mille syriaques vivent en Turquie, dont 3 milles dans la région de l’Anatolie du sud-est. Pendant les vacances d’été, on estime le retour momentané d’environ 5 mille syriaques vivant à l’étranger.
Kafro, le village d’Aziz Demir, fut vidé de ses habitants en 1994 et est resté inhabité jusqu’en 2006. Selon Aziz, le nombre de syriaques vivant en Europe, qui ont envie de rentrer sur leur terre natale est important, mais ils n’osent pas. “Ici, on ne voit pas l’avenir” dit Aziz, “l’économie est un soucis, la politique, un autre. Tu n’arrives pas à voir devant toi. Que ferais tu, en s’installant ici, en tant que jeune ? Mais, ils ont pourtant la nostalgie et veulent revenir.”
Il raconte un souvenir qui lui pèse encore sur le coeur. Lors de l’inauguration de l’église construite dans le village, les forces de sécurité lui ont dit à propos du député Tuma Çelik “qu’il ne vienne pas, s’il vient, ce serait toi le responsable !” Aziz dit qu’il était vexé : “ils le traitent comme un terroriste. Pourquoi il ne viendrait pas, n’est-il pas un député ?”
En tant que syriaque qui est revenu au bercail, des années plus tard, il a aussi une revendication, “je suis moi aussi citoyen de ce pays. l’Etat doit alors respecter mes droits. Pourquoi alors, le syriaque n’est-il pas accepté non plus comme langue officielle ?”
Aziz Demir, trouve la disparition du couple Diril, préoccupante… Il rappelle l’arrestation récente d’un prêtre. Sefer Bileçen, prêtre de l’église Mor Yakup, d’u n monastère vieux de 1500 ans, a été mis en garde à vue à Nusaybin, dans le cadre d’une enquête de lutte contre le terrorisme. Un procès verbal datant de 2018, contenant l’allégation “les terroristes sont entrés dans le monastère”, ayant servi pour l’accuser de “soutien à une organisation terroriste” (entendez le PKK). Le 10 janvier dernier, le tribunal de Mardin a décidé de son emprisonnement. “Je pense que c’est de l’intimidation. Pourquoi un événement d’il y a un an et demi, reviendrait dans l’actualité ? J’interprète ce qui se passe en me disant ‘demain, tout peut arriver’. L’Etat veut intimider”.
Sefer Bileçen
Quant à Evgil Türker, il est le le président de la Fédération des associations syriaques. Il est une des personnes qui ont été en contact avec les autorités pendant la garde-à-vue du prêtre Bileçen. Lui aussi pointe les derniers mois, et fait part d’inquiétudes. Evgil Türker, pense également que l’Etat voulait intimider le prêtre, “mais il y a eu une grande réaction inattendue de la part d’e l’opinion publique” dit-il…
A propos du couple Hurmüz et Şimoni Diril disparu, Evgil Türker rappelle qu’il y a des thèses d’un enlèvement pour rançon. “Si cela est vrai, pourquoi rester en silence pendant près de 20 jours ?” demande-t-il. Il précise aussi, que très peu de syriaques vivent dans les villages frontaliers, et, après ces événements, ils risquent de décider de quitter la région.
Ajout du 21 mars 2020
Le corps de Şimoni Diril a été trouvé dans une rivière près de leur village, au 70ème jour de la disparition.
Une étude de Sébastien de Courtois, historien et journaliste,1avait été partagée il y a quelques années par le site “Turquie Européenne”. Très complète, elle permet de donner un éclairage documenté, quel que soit ce que les kedi pensent des “religiosités”.
tur_abdin_s_de_courtois