La Turquie a mis la dernière main à son mur géant sur la frontière de Syrie. Ce mur de la honte, construit en un an, est long de 564 km et constitué de blocks de béton mobiles de 2 mètres de large et 3 mètres de haut, pesant chacun 7 tonnes.
300 milles blocks séparent désormais la Turquie de la Syrie.
Le mur est couronné de barbelés tranchants de dernière génération, sur le modèle israélien.
Le gouvernement annonce par une grosse opération de communication, et via les médias sous ordres qui ânonnent avec fierté que “le mur est construit afin de sécuriser nos frontières, contre le terrorisme, et pour empêcher les passages illégaux et les infiltrations”, et qu’il est “le troisième plus grand mur du monde, après la Muraille de Chine et le mur de la frontière Etats-Unis — Mexique”. Un autre point d’honneur serait le fait que celui-ci ait été “construit entièrement par les entreprises turques”. En effet, comme le précise Ergün Turan, le Directeur du TOKİ*, “le mur de sécurité à été construit sur 711 km, c’est à dire sur la partie en dehors de la rivière Asi, sur la frontière de Syrie. 200 km ont été mis en œuvre par les Préfectures, et le reste par TOKİ”.
* Nous tenons à ouvrir une parenthèse ici, sur TOKİ.
TOKİ, “Toplu Konut İdaresi” veut dire littéralement, “Administration du développement du logement public”. Il s’agit donc de l’agence de logement liée au gouvernement. Elle est fondée en 1984, et réalise en principe “des projets selon les priorités du gouvernement en matière de logement en Turquie”. Mais, comme dans le cas du mur, ses activités peuvent aller au delà du logement, et elle peut travailler aussi dans d’autres pays, tels que la Somalie, le Pakistan, le Sri Lanka, l’Indonésie…
Les champs d’action de TOKİ sont présentés comme ceci :
• Régénération urbaine et transformation des zones informelles et des agglomérations (“gecekondu” : bidonvilles). • Projets de logements sociaux destinés aux catégories de revenus moyens et faibles. • Établir des unités de règlement types dans nos provinces et districts de taille moyenne. • Développer le tissu historique et l’architecture locale. • Installations éducatives et sociales. • Activités de reconstruction et secours en cas de catastrophe.
TOKİ déclare “viser à compléter 1 million de logements d’ici la fin de 2023 et prévoir d’achever 64 000 unités en 2017, d’une valeur de 2,5 milliards de dollars”. Et “avoir livré en juin 2017, plus de 590 000 unités de logement, dont 86% sont classées comme logements sociaux ciblant les groupes à faible revenu, 563 écoles, plus de 10 000 installations sociales, y compris des salles de sport, des centres culturels, des bibliothèques, des mosquées, des centres commerciaux et des hôpitaux.”
Cela peut paraitre intéressant mais… le “mais” a son importance…
Mettons un instant de côté la construction du mur frontalier, sujet de notre article. La Direction de TOKİ, est composée de patrons ou de proches des entreprises de BTP, et de nombreux cas de corruptions ont été portés devant les tribunaux ou révélés sans suites, avec condamnations ou non comme : offres d’appels illégaux, ventes de bien public à bas prix à des entreprises amies ou à leur prête-noms. En fait, tout ressemble à la réalisation de petits et gros profits, par pillages et partages de biens publics, entre amis voleurs. Sachant que le BTP occupe une place très importante dans l’économie turque…
Notons aussi, que, sous l’étiquette “réhabilitation urbaine”, les quartiers et villes kurdes détruits et rasés lors des opérations militaires en 2015, sont tous “réhabilités” par TOKİ, qui avait déjà des dossiers prêts : destructions, pillage, profit et gentrification, voire purification ethnique, une pierre, plusieurs coups qui rapportent.
Par ailleurs, ce “projet de ligne de sécurité” concernant les frontières de Syrie et d’Iran, sur la ligne Gaziantep-Kilis, qui a été construit, comporte aussi 22 tours de sécurité, de 15 mètres de hauteur sur 5 étages. Celles-ci sont construites avec des matériaux supportant les attaques d’obus et de roquettes.
Sur cette forteresse, il existe également 59 portes frontalières hautement sécurisées.
Une route a été tracée en contrebas, pour permettre la surveillance. Des routes d’accès menant à celle-ci permettent aux militaires de traverser les terrains minés en sécurité. “Cette route facilite les ronds de garde au soldat Petit Mehmet” déclarent les bouches de la com et elles précisent “un tour de garde de 15 minutes peut couvrir 30–40 kilomètres”.
Quant à la frontière avec l’Iran, un mur de 144 kilomètres y est prévu également. Les 100 premiers kilomètres sont déjà complétés et la construction se poursuivra, après que TOKI ait ouvert l’appel d’offre sur les travaux, pour les 44 kilomètres restants.
Que les dirigeants de la démocrature turque s’inspirent de l’extrême droite colonisatrice israélienne et devance le projet du président twitter américain, pour laisser une empreinte dans l’histoire, en référence à la muraille de Chine, ne doit pas nous étonner. Cela rime avec l’hystérie ultra-nationaliste qui se déchaîne à nouveau. La pseudo campagne électorale en cours y puise d’ailleurs ses thèmes, y compris pour l’opposition, en dehors bien sûr du HDP.
Plus des deux tiers de la Turquie “va dans le mur”, par nationalisme, bigot ou kémaliste. Cela dure depuis des décennies. Et l’achèvement du mur fait partie des grands travaux d’Erdoğan. Il achève là, et concrétise un projet qui n’a pas encore un siècle, celui du tracé des Etats-Nation dans la région par les impérialismes du siècle dernier, et singulièrement le tracé de la Turquie, le long d’un axe ancien de chemin de fer, entre autres, après la chute de l’Empire ottoman.
Entre deux massacres sur ordre, le “Petit Mehmet” aura donc loisir de patrouiller au pied du mur, et de scruter l’horizon du haut de ses tours. Beau projet d’avenir, s’il en est :
“Je m’appelle Zangra et je suis lieutenant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D’où l’ennemi viendra qui me fera héros…”
Pour celles et ceux qui, plus jeunes, n’y auraient pas reconnu Brel, disons juste que les murs peuvent tomber… Quelquefois.