La défense d’Ah­met Altan lors du procès qui s’est déroulé du 12 à 16 févri­er 2018 à Silivri.

Votre hon­neur,

Je ne suis pas venu ici aujour­d’hui pour être jugé, mais pour juger.
Je jugerai ceux qui, de sang-froid, ont tué le pou­voir judi­ci­aire pour incar­cér­er des mil­liers de per­son­nes innocentes.
J’ap­puierai mon juge­ment sur l’acte d’ac­cu­sa­tion con­tre nous, un texte qui restera dans l’his­toire du droit comme un “doc­u­ment de meurtre”.
Je n’ai pas le pou­voir de punir les gens ou de les incar­cér­er. Je ne voudrais en aucun cas pos­séder un tel pouvoir.
Mais j’ai le pou­voir de met­tre à jour le meurtre, de déter­min­er l’i­den­tité des meur­tri­ers, d’af­fich­er les armes san­guinaires util­isées dans ce meurtre et de garder trace des crimes qui ont été commis.
Porter un juge­ment ne sig­ni­fie pas avoir l’au­torité pour emprisonner.
Porter un juge­ment, c’est dire la vérité sur la base de la preuve.
Chaque per­son­ne hon­nête a ce droit et cette autorité.
J’ai le droit de par­ler au nom des mil­liers d’in­no­cents qui, non seule­ment ne pré­par­ent pas un putsch mais n’ont même pas les moyens de pro­test­er con­tre leur pro­pre per­sé­cu­tion. J’ai le droit de par­ler en leur nom, parce j’ai vu l’in­jus­tice à laque­lle ils sont soumis et j’ai partagé leur sort der­rière ces murs de pierre.
Avant que je ne vous par­le du meurtre, per­me­t­tez-moi de vous par­ler encore une fois de la Loi, du judi­ci­aire et de la jus­tice afin de pou­voir vous présen­ter la scène du meurtre.
La Loi est un corps de valeurs. Ce corps a été façon­né par la mas­sue d’airain des souf­frances infligées à des humains par d’autres humains, depuis la Genèse.
C’est le dieu ter­restre que l’hu­man­ité s’est créé pour se pro­téger en prenant refuge dans son ombre con­tre les blessures causées par les guer­res, les géno­cides, les meurtres, les trahisons, les per­sé­cu­tions et les injustices.
Chaque acte injuste ajoute à la force et à la gloire de ce dieu.
Avec chaque acte injus­tice, l’im­por­tance et la néces­sité de la Loi sont davan­tage appréciées.
Avec cha­cun de ses coups, le marteau de l’in­jus­tice façonne la Loi selon des lignes plus nettes, plus définies, mais ce marteau ne peut ni fendre ni déformer la Loi, il ne peut même pas en écailler des morceaux.
La Loi est sem­blable à Zeus rési­dant sur l’Olympe – intouch­able et inatteignable.
Chaque despote, chaque oppresseur, chaque dic­ta­teur veut tuer la Loi mais aucun d’eux n’en est capable.
La Loi est immortelle.
Elle garde ses dis­tances, attend patiem­ment ceux qui ressen­tent le besoin de venir y chercher refuge.
C’est le judi­ci­aire qui amène la Loi à descen­dre vers la société depuis les hau­teurs où elle réside.

Revê­tu d’une solide armure, le judi­ci­aire porte le Dieu de la Loi sur ses fortes ailes resplendis­santes et l’amène aux gens.
Dame Jus­tice appa­raît là ou la Loi et la société se rencontrent.
Les sociétés nour­ries par Dame Jus­tice trou­vent la paix, la con­fi­ance et la pléni­tude; l’in­jus­tice est empêchée, le vol et la cru­auté cessent.
Dans le tri­an­gle et la chaîne sacrée de la Loi, du judi­ci­aire et de la jus­tice, le seul mail­lon faible qu’on peut frap­per, bless­er et tuer, c’est le judiciaire.
C’est pourquoi le judi­ci­aire con­stitue la pre­mière cible de chaque despote, de chaque dictateur.
Tout comme le judi­ci­aire lorsqu’il plane dans les hau­teurs sur les ailes de la Loi est si lumineux, fort, majestueux, admirable et ras­sur­ant, un judi­ci­aire qui a été frap­pé, blessé et qui se meurt est d’au­tant laid, dégoû­tant et révoltant.
Du moment que le judi­ci­aire est frap­pé et tombe, il com­mence à pour­rir, devient infesté de vers et se putré­fie. Au lieu de sang, du pus coule de ses veines.
Un judi­ci­aire qui est mort ou mourant dégage une puan­teur infecte; même l’En­fer ne sent pas aus­si mauvais.
L’odeur de corps décom­posés qui a envahit la Turquie aujour­d’hui, c’est l’odeur du judi­ci­aire sur son lit de mort. C’est une puan­teur qui atteint toutes les par­ties de la société et qui hor­ri­fie tout le monde.
Aujour­d’hui, nous allons éten­dre ce mis­érable corps pour­ris­sant du judi­ci­aire sur la table de dissection.
Pen­dant le judi­ci­aire tente de se rétablir et de se prou­ver à nou­veau comme le por­teur ailé et sacré du Dieu de la Loi, grâce aux efforts de quelques juges hon­or­ables, nous allons voir aujour­d’hui l’é­tat hor­ri­ble de l’autre face du judi­ci­aire – la face qui a accep­té de son plein gré de pour­rir et de mourir.
Dans un dis­cours inti­t­ulé “Sur la stu­pid­ité” pronon­cé le 11 mars 1937 – un an avant qu’Hitler n’en­vahisse l’Autriche — Robert Musil a dit ceci :
“Il y a un cer­tain temps, un texte de psy­chi­a­trie bien con­nu citait “la puni­tion de l’autre” en réponse à la ques­tion ‘qu’est-ce que la jus­tice’ comme l’ex­em­ple de la stu­pid­ité. Hélas, de nos jours, cette ques­tion et cette réponse for­ment la base d’une com­préhen­sion fort con­testée de la Loi.”
Il est dif­fi­cile de trou­ver un autre exem­ple qui décrive aus­si bien l’his­toire du temps présent.
En Turquie aujour­d’hui, le judi­ci­aire et les médias perçoivent la jus­tice comme étant “la puni­tion de l’autre”.
Et nous – les opposants à l’AKP – sommes “l’autre”.
Nous sommes jugés dans un pays où ce qui fut un jour perçu comme “stu­pid­ité” est accep­té comme étant “jus­tice.”
Tous les prin­ci­paux jour­naux au monde depuis l’Inde jusqu’à la Norvège, de l’Alle­magne à la Grande Bre­tagne, de l’I­tal­ie aux Etats-Unis con­sacrent des colonnes à ce procès… Plusieurs organ­i­sa­tions inter­na­tionales allant des Nations unies aux Con­seil de l’Eu­rope, depuis le par­lement européen jusqu’à l’or­gan­i­sa­tion pour la sécu­rité et la coopéra­tion en Europe le suiv­ent de près. Le motif de leur intérêt c’est la man­i­fes­ta­tion téméraire dévoilée dans ce procès d’une pour­ri­t­ure qui est une insulte à l’ensem­ble de ce que l’hu­man­ité a pu atteindre.
Le monde observe ce procès avec hor­reur comme s’il s’agis­sait de l’au­top­sie du judi­ci­aire assassiné.
Je vais vous par­ler de cha­cune des étapes de ce meurtre, mais avant cela, nous devons com­pren­dre un fait tout simple.
Le judi­ci­aire, ce glo­rieux cheva­lier de l’hu­man­ité dans sa bril­lante armure, ne peut jamais être frap­pé à moins d’être trahi par quelqu’un qui, de l’in­térieur, lui retire son armure en secret afin que les oppresseurs, qui ont per­du leur âme et leur esprit, puis­sent frapper.
Si un sys­tème judi­ci­aire est atteint, il doit absol­u­ment avoir été frappé.
Nul pro­cureur véri­ta­ble, nul véri­ta­ble juge, nul véri­ta­ble avo­cat ne pren­dra part à cette trahison.
Nos avo­cats hon­or­ables qui résis­tent à cette trahi­son et con­tin­u­ent de dire la vérité de la Loi sans peur ou sans relâche mon­trent à tous com­ment le judi­ci­aire doit se comporter.
Pour que le judi­ci­aire soit frap­pé, il faut qu’il soit infil­tré par des fonc­tion­naires déguisés en pro­cureurs et en juges.
Com­ment pou­vons-nous recon­naître les robes des col­lab­o­ra­teurs à cette trahison ?
Ils sont plus faciles à recon­naître que vous ne le croyez.
Dans notre jeunesse, l’ap­pareil d’é­tat dans ce pays con­sid­érait les gauchistes comme ses enne­mis et infil­trait les groupes gauchistes avec des fonc­tion­naires, à titres divers.
C’est à cette époque que mon père m’a appris com­ment recon­naître les hommes masquant ain­si leur véri­ta­ble identité.
“Ces hommes,” a dit mon père, “n’ont aucune honte. Ils avaleront n’im­porte quelle humil­i­a­tion, insulte et indif­férence. Ils ont une mis­sion et pour la rem­plir, ils effacent toute trace de honte de leur âme.”
Est-ce que vous voulez recon­naître ces mem­bres du judi­ci­aire qui trahissent leur profession ?
Observez ceux qui n’ont pas de honte.
Quiconque a ban­ni le sen­ti­ment de la honte de son âme, celui-là est un traître au sein du sys­tème judiciaire.
Je vais vous en fournir deux exemples.
Les deux pro­cureurs dans ce procès.
Ils n’ont aucune honte. Ils mentent ouvertement.
Il ne leur importe pas du tout que leurs col­lègues à tra­vers le monde éprou­vent du dédain devant les défor­ma­tions légales de leurs mis­es en accu­sa­tion. Il ne leur importe pas de savoir à quel point ils seront humil­iés en rai­son des inep­ties juridiques qu’ils rédigent.
Ils ont aban­don­né leurs répu­ta­tions et leur hon­neur professionnel.
Ils ont infil­tré le judi­ci­aire afin de se faire parte­naires en crime avec des meurtriers.
Parce que telle est leur mission.
Ils ont ordre de tuer le judi­ci­aire avec des procès comme celui-ci afin que les opposants au gou­verne­ment puis­sent être jetés en prison et muselés.
Bien sûr, ils ne sont pas seuls dans cette mis­sion déshonorante.
Ceux qui ont jeté en prison les mil­liers d’in­no­cents qui rem­plis­sent les pris­ons aujour­d’hui sont leurs parte­naires dans cette même sale mission.
Et bien alors, pourquoi ces gens qui appar­ti­en­nent à l’une des voca­tions les plus hon­or­ables et les plus appré­ciées de la civil­i­sa­tion ont-ils renon­cé à pareil sen­ti­ment élevé de leur pro­pre valeur afin de trahir leur profession ?
Quelques-uns par­mi eux préfèrent la méchanceté à l’hon­neur et se por­tent volon­taires pour s’im­pli­quer dans cette trahi­son. Ils veu­lent goûter aux plaisirs dia­boliques que pro­curent le fait de com­met­tre l’in­jus­tice, tout en frôlant le bord de la robe du pouvoir.
Mais la plu­part d’en­tre eux se sont vus mêlés à cette boue malveil­lante afin d’ac­céder à leurs posi­tions et à leurs statuts actuels, buts qu’ils n’au­raient jamais pu attein­dre autrement qu’en trahissant leur pro­fes­sion, vu leur incom­pé­tence et leur manque de préparation.
En effet, là se trou­ve l’im­passe la plus dif­fi­cile pour des gou­verne­ments despo­tiques comme celui-ci : afin de pou­voir tra­vailler avec le type de traitres dis­posés à trahir leurs pro­fes­sions, ils doivent choisir leur per­son­nel par­mi les moins valables.
Ces types de gou­verne­ments per­dent jusqu’à la moin­dre lueur d’in­térêt et devi­en­nent de plus en plus ternes à mesure qu’ils comblent leurs rangs avec ceux à qui man­quent lumière cérébrale, la créa­tiv­ité et l’honnêteté.
Pareils gou­verne­ments se con­damnent à une pour­ri­t­ure qui pue la mort parce qu’ils con­tin­u­ent d’embaucher des gens de moins en moins méritants.
Nous ne con­sta­tons pas cette éro­sion du mérite – cette mort pitoy­able – seule­ment dans le judiciaire.
Les medias qui ont assumé le rôle de vigies dans le meurtre du judi­ci­aire, se com­posent aus­si de per­son­nes sans tal­ent qui ne pou­vaient accéder à leur posi­tion actuelle que par la trahison.
Ils mentent, calom­nient, défor­ment les faits et tuent leur pro­fes­sion afin de musel­er les opposants au gouvernement.
Nous croi­sons ces types quo­ti­di­en­nement dans les pages pour­ries des jour­naux pro-gou­verne­men­taux qui puent la boue; ce sont les pros­ti­tuées éléphantesques du bor­del des idées qui devi­en­nent de plus en plus obès­es devant nos yeux, avec leurs encolures qui dis­parais­sent et leurs pans­es qui enflent, avec des bil­lets de banque enfon­cés dans leurs nar­ines et dans leurs bouch­es en paiement de leur trahison.
Evidem­ment, leur sale engeance ne parvient pas à voil­er d’un drap mor­tu­aire le lus­tre encour­ageant et stim­u­lant de ces jour­nal­istes braves et hon­nêtes qui, telle une étoile direc­trice, indique la voie juste pour tout le pays.
Comme tous les gou­verne­ments avides d’un pou­voir non mérité et de l’asservisse­ment de leurs sociétés au moyen de la peur, le gou­verne­ment actuel s’emploie à ronger jusqu’à la dis­so­lu­tion cha­cune des insti­tu­tions dans un bain de vitriol.
Il n’y a pas une seule insti­tu­tion qui fonc­tionne cor­recte­ment dans la Turquie actuelle, sauf pour l’ad­min­is­tra­tion des cimetières.
Le judi­ci­aire s’est effon­dré, les médias se sont effon­drés, l’ar­mée s’est effon­drée, le sys­tème d’é­d­u­ca­tion s’est effon­dré, le sys­tème de san­té s’est effon­dré, l’é­conomie s’est effon­dré, la poli­tique étrangère s’est effon­dré, l’or­dre pub­lic s’est effon­dré, le par­lement s’est effon­dré, les politi­ciens se sont effon­drés, la moral­ité s’est effondrée.
Il n’y a rien qui ne se soit effondré.
Ceci est inévitable lorsqu’un seul homme désire s’emparer d’une autorité imméritée et détenir le pou­voir absolu.
Pour ce faire, il doit ren­dre la société malade, détru­ire toutes les insti­tu­tions qui aident cette société à fonc­tion­ner de façon ordon­née et combler les postes avec des traîtres indignes.
Chaque société dans laque­lle un homme seul pos­sède “le pou­voir absolu” finit par s’ef­fon­dr­er. Quand vous aspirez le pou­voir, con­sti­tué par l’ac­tion de mil­lions de per­son­nes tra­vail­lant de con­cert, pour le con­cen­tr­er en un point unique, vous provo­quez la cor­ro­sion du socle com­mun et drainez le tout dans un vortex.
Ce pou­voir absolu se trans­forme en trou noir dans lequel la société est aspirée et perdue.
Aujour­d’hui, chaque mesure qui est prise afin d’at­tein­dre un pou­voir absolu con­cen­tré sur un seul point élar­git ce trou noir et aug­mente son attrac­tion funeste.

La seule chance de survie de ce pays avant qu’il ne soit com­plète­ment aspiré dans ce trou est d’en finir aux urnes avec ce gou­verne­ment qui a créé ce trou noir.
Et je crois que cela va se produire.
Mal­gré tout, je demeure con­fi­ant que la Turquie n’a pas per­du la volon­té de vivre.
Ceci est un pays de mir­a­cles. Son peu­ple a tra­ver­sé bien des épreuves et des dif­fi­cultés et il est par­venu à revenir du bord de bien des trous noirs, grâce à un ultime réflexe de survie. Ce peu­ple causera la réal­i­sa­tion de miracles.
Afin de pou­voir man­i­fester ce réflexe de survie, les gens doivent con­naître ces hommes qui brû­lent de l’am­bi­tion du “pou­voir absolu”.
Ces hommes sont le reflet dans le règne humain de la mal­ice présente dans la nature.
Ils sont sauvages et impitoyables.
Ils ne con­nais­sent pas la compassion.
Et ces hommes ont tou­jours porté la mort sur les sociétés qu’ils ont dirigées.
La paix, la con­fi­ance et l’ai­sance sont leurs enne­mis. Ils ont besoin du chaos et de la guerre.
Aucune des sociétés qui ont été dirigées par de tels hommes n’a pu éviter le chaos, la guerre, la guerre civile, la rébel­lion et la mort.
S’emparer du pou­voir ne suf­fit jamais à ces hommes.
Ils veu­lent que les gens les craig­nent parce que la peur est la seule émo­tion humaine qu’ils con­nais­sent. Ils répan­dent tou­jours la peur.
La peur qu’ils répan­dent con­stitue leur prin­ci­pale force et leur plus grande faib­lesse. La peur qu’ils répan­dent est l’al­i­ment et le poi­son de leur pouvoir.
La peur jette un sort tem­po­raire sur les gens et les rassem­ble pour un temps; les mass­es ressen­tent une admi­ra­tion pitoy­able pour ceux qui leur font peur, ils se rap­prochent de l’homme qui les effraie afin de pren­dre part à son pou­voir effrayant.
Pour­tant, en même temps, cette peur écrase leur âme, affaib­lit leur exis­tence, et ronge leur per­son­nal­ité. Caché der­rière leur admi­ra­tion il y a un pro­fond sen­ti­ment d’hu­mil­i­a­tion dis­til­lée, goutte à goutte, en furie et en hostilité.
Tôt ou tard, cette furie se manifeste.
La peur qui main­tient le régime actuel debout sera aus­si la fin de ce gouvernement.
Parce que la société ne peut pas sup­port­er autant de peur.
Aucun gou­verne­ment répan­dant la peur et la vio­lence ne peut se main­tenir au pou­voir très longtemps.
Pour repren­dre les mots de Tal­leyrand, le min­istre des affaires étrangères de Napoléon Bona­parte, “On peut tout faire avec des baïon­nettes, sauf s’asseoir dessus”.
Le gou­verne­ment actuel tente de s’asseoir sur des baïon­nettes. C’est pourquoi il per­dra éventuelle­ment ses élec­tions et ver­ra son pou­voir renversé.
D’ailleurs, le gou­verne­ment actuel est con­scient de cette pos­si­bil­ité et c’est pourquoi il tente d’u­tilis­er la ten­ta­tive de coup d’é­tat du 15 juil­let comme motif au muse­lage de l’op­po­si­tion, en accu­sant tout le monde de putschisme et de terrorisme.
Nous aus­si, nous sommes en prison aujour­d’hui et face à des con­damna­tions à per­pé­tu­ité dans le cadre de cette répression.
L’É­tat turc nous accuse d’avoir effec­tué la ten­ta­tive de coup du 15 juillet.
C’est un men­songe éhonté.
Les ser­vices de sécu­rité qui nous ont sur­veil­lés pen­dant des années savent qu’il s’ag­it d’un men­songe et que nous n’avons rien à voir avec ce coup. La police et les pro­cureurs qui ont rédigé ces actes d’ac­cu­sa­tion le savent aussi.
En réal­ité, c’est pour cela qu’ils sont inca­pables de pro­duire la moin­dre pièce à con­vic­tion. C’est pour cela que ce qu’ils appel­lent la preuve de notre putschisme se résume à trois chroniques dans un jour­nal et une con­ver­sa­tion à la télévision.
C’est aus­si pourquoi la Cour con­sti­tu­tion­nelle a déclaré que des arresta­tions sur la base de quelques bil­lets d’opin­ion et d’un dis­cours con­sti­tu­aient une vio­la­tion évi­dente de la constitution.
Comme le gou­verne­ment main­tient ses accu­sa­tions de putschisme sur la base de ces men­songes, mes doutes con­cer­nant les événe­ments du 15 juil­let augmentent.
Pourquoi une force qui utilise l’in­ci­dent du 15 juil­let comme pré­texte pour men­tir sans relâche à mon sujet se priverait-elle de men­tir sur d’autres sujets ?
Dans la cel­lule de prison où je réside aujour­d’hui, j’ai autant le droit que quiconque de douter des événe­ments du 15 juillet.
Et mes doutes sont très prononcés.
De quoi s’ag­it-il vrai­ment, ce coup d’é­tat, le plus stu­pide jamais vu au monde ? Quel est ce coup qui a tué des cen­taines de per­son­nes et en a blessé des mil­liers, ce coup qu’Erdoğan a inter­prété comme étant “une béné­dic­tion de Dieu” et qui, ultime­ment, lui a apporté le pou­voir absolu ?
Existe-t-il une seule autre ten­ta­tive de coup dans l’his­toire qui soit l’é­gale de celle-ci en terme de stu­pid­ité et de bassesse ?
Oui, il en existe une autre.
En effet, nous avons con­nu un autre événe­ment de mau­vaise augure très sem­blable à l’in­ci­dent du 15 juillet.
La rébel­lion du 31 mars d’il y a un siècle.
Je vais vous relater les simil­i­tudes entre les deux événe­ments et vous serez très étonnés.
Tout comme la ten­ta­tive de coup du 15 juil­let, la rébel­lion du 31 mars 1909 fut l’œu­vre de mil­i­taires qui se pré­tendaient religieux.
Env­i­ron trois mille sol­dats prirent part à la rébel­lion du 31 mars.
Selon les chiffres offi­ciels, env­i­ron cinq mille sol­dats prirent part à la ten­ta­tive de coup du 15 juillet.
Dans les deux cas, les rebelles étaient fort peu nombreux.
Dans les deux cas, les rebelles n’avaient pas la force néces­saire pour résis­ter à la force prin­ci­pale de l’armée.
Avant le 31 mars, des hommes en habits religieux avaient pour cou­tume de se ren­dre dans les casernes et de provo­quer les mil­i­taires. L’ap­pareil de sécu­rité du Par­ti de l’u­nion et du pro­grès en était bien con­scient, mais n’en a rien dit.
Avant le 15 juil­let, l’ap­pareil d’é­tat du gou­verne­ment savait qu’il y aurait un coup. En effet, un jour­nal pro-gou­verne­men­tal écrivait dès avril qu’il y aurait un coup, il men­tion­na même qui le réalis­erait. Le 15 juil­let, plusieurs heures avant que le coup ne démarre, un offici­er s’est ren­du à l’or­gan­i­sa­tion nationale du ren­seigne­ment turc pour dire qu’une opéra­tion mil­i­taire était sur le point d’être déclenchée
Lorsque débu­ta la rébel­lion du 31 mars, la Pre­mière Armée d’Is­tan­bul aurait pu la réprimer facile­ment. Mais elle avait des ordres de ne pas intervenir.
Selon le général qui est présen­te­ment le chef adjoint de l’E­tat major, si l’on avait ordon­né aux troupes de rester en caserne le 15 juil­let, la ten­ta­tive de coup aurait été empêchée. Cet ordre ne fut jamais donné.
Aujour­d’hui, on ignore tou­jours qui était le com­man­dant mil­i­taire de la rébel­lion du 31 mars.
On ne sait pas qui était le com­man­dant du coup du 15 juillet.
Dans les deux cas, il y eut une opéra­tion mil­i­taire, sans qu’il n’y ait un com­man­dant mil­i­taire claire­ment identifié.
Le 31 mars, les rebelles com­mirent des meurtres sanguinaires.
Le 15 juil­let, les putschistes com­mirent des meurtres san­guinaires. Comme ils pos­sé­daient des armes plus per­fec­tion­nées, le nom­bre de vic­times fut plus élevé.
Le 31 mars, les rebelles se rendirent sans résis­tance une fois que la Pre­mière Armée péné­tra dans la ville d’Istanbul.
Le 15 juil­let, les putschistes se rendirent à l’in­térieur de trois heures lorsque le peu­ple et l’ar­mée com­mencèrent à se mobilis­er con­tre eux.
Le 31 mars fut un acte con­tre le Par­ti de l’u­nion et du pro­grès, mais il lui accor­da le pou­voir décisif et absolu.
Le 15 juil­let fut un acte con­tre l’AKP et Erdoğan, mais le résul­tat de ce coup fut qu’ Erdoğan obtint le pou­voir décisif et absolu.
Après le 31 mars, the Par­ti de l’u­nion et du pro­grès procé­da à l’ar­resta­tion de mil­liers de dis­si­dents dont les noms étaient déjà inscrits sur la liste noire.
Après le 15 juil­let, des mil­liers de dis­si­dents furent arrêtés, dont les noms étaient déjà sur la liste noire de l’AKP.
Après le 31 mars, il y eut telle­ment d’ar­resta­tions de dis­si­dents poli­tiques qu’il n’y avait plus de place pour les loger dans les pris­ons, alors on relâcha des crim­inels de droit commun.
Après le 15 juil­let, il y eut telle­ment de dis­si­dents poli­tiques arrêtés qu’on relâcha les crim­inels de droit com­mun des prisons.
Après le 31 mars, le Par­ti de l’u­nion et du pro­grès con­stru­isit un régime d’op­pres­sion et de peur.
Après le 15 juil­let, l’AKP con­stru­isit un grand régime d’op­pres­sion et de peur.
Main­tenant, quelqu’un devrait m’ex­pli­quer les simil­i­tudes entre ces deux inci­dents mau­dits et de mau­vaise augure.
Com­ment fut-il pos­si­ble qu’une rébel­lion mil­i­taire con­tre le Par­ti de l’u­nion et du pro­grès ouvre la voie à son pou­voir absolu et qu’une rébel­lion mil­i­taire con­tre Erdoğan ouvre la voie au sien ?
Pourquoi ne pou­vait-on pas empêch­er ces actes de rébel­lion bien qu’on ait été au courant, dans les deux cas ?
Il est facile de men­tir, de dire “le 15 juil­let est de votre fait” et de me jeter en prison, mais il n’est pas aus­si facile de répon­dre à ces questions.
C’est exacte­ment pour cette rai­son que l’AKP préfèrent recou­vrir les secrets du 15 juil­let plutôt que de les dévoiler.
Tout comme ceux qui posèrent la ques­tion “de quoi s’est-il agi au juste, le 31 mars” furent déclarés des “traîtres”, ceux qui deman­dent aujour­d’hui de quoi il s’est agi au juste le 15 juil­let sont aus­si déclarés être des “traîtres”.
Le Par­ti de l’u­nion et du pro­grès lui-même empêcha les enquêtes de révéler l’his­toire interne au sujet du 31 mars.
Cette rébel­lion, qui n’eut jamais la moin­dre chance de réus­sir sur le plan mil­i­taire, est demeurée un mystère.
Mais elle fut util­isée comme un bran­don pour main­tenir le feu sous la notion que “l’é­tat était en dan­ger”, jus­ti­fi­ant en con­séquence les pres­sions extra­or­di­naires exercées.
Le coup du 15 juil­let n’avait aucune chance de réus­sir sur le plan militaire.
Nul besoin d’être un génie mil­i­taire pour com­pren­dre qu’une force de cinq milles per­son­nes ne peut pas venir à bout d’une armée de 500 mille hommes; il suf­fit de savoir compter.
Et la ten­ta­tive du 15 juil­let ne béné­fi­ci­ait d’au­cun appui de la base de la société.
La preuve en fut les braves foules qui envahirent les rues con­tre le coup. Tous les niveaux de la société s’op­posèrent à la ten­ta­tive sanglante et traîtresse. La société dans son ensem­ble con­damna l’a­troc­ité immorale.
Alors, com­ment cette ten­ta­tive sanglante, dénuée de rai­son et de pitié a‑t-elle pu se produire ?
Qua­tre mois avant l’in­ci­dent, les jour­naux avaient rap­porté qu’un coup se pré­parait and les infor­ma­tions per­ti­nentes furent reçues en ce sens, alors pourquoi la ten­ta­tive de coup ne pou­vait-elle pas être empêchée ?
Aucune de ces ques­tions vitales n’a reçu de réponse claire et nette.
Au lieu de cela, un large éven­tail de per­son­nes inclu­ant des imams de vil­lage, des enseignants, des pâtissiers, des hommes d’af­faires, des jour­nal­istes, des étu­di­ants et des uni­ver­si­taires furent arrêtés en toute hâte et jetés en prison.
Après le 31 mars, chaque opposant au Par­ti de l’u­nion et du pro­grès fut éti­queté en tant que “réac­tion­naire”. De la même manière, des mil­liers de per­son­nes arrêtées après le 15 juil­let furent éti­quetées en tant que “FETÖ’istes”. Tous dev­in­rent mem­bres de “l’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste Fetullahiste”.
Ce con­cept de “FETÖ’iste’’ ne fut jamais défi­ni claire­ment; il est demeuré vague expressé­ment afin de servir de filet mau­dit à jeter sur les opposants de l’AKP.
Ce filet a attrapé cha­cun des opposants. Alors main­tenant je vous demande :
Quelle est la déf­i­ni­tion de ce type d’être humain qu’on désigne comme “FETÖ’iste’’ ?
Pourquoi des gens sont-ils en prison qui n’ont rien à voir du tout avec le coup ?
Quels critères juridiques per­me­t­tent de stig­ma­tis­er en mar­quant avec ce fer rouge toute per­son­ne qui a cri­tiqué le gouvernement?
Et puis, il y a un nou­veau type d’être humain qui “bien que n’é­tant pas un FETÖ’iste, aide FETÖ.’’
Qui sont ces gens ?
Pourquoi aident-ils un rébel­lion religieuse alors qu’ils ne sont pas FETÖ’istes ?
Quels sont les critères pour “aider FETÖ ?’’
S’op­pos­er au gou­verne­ment est-il suff­isant pour être accusé de ce crime?
Des répons­es claires et nettes à ces ques­tions ne furent jamais données.
Elles ne le seront jamais.
Parce que c’est seule­ment en main­tenant ces con­cepts dans une bouil­lie d’in­cer­ti­tude que l’on peut créer une prison assez vaste pour y entass­er tous les opposants de l’AKP.
Je par­ticipe au coup du FETÖ, Mehmet Altan par­ticipe au coup du FETÖ, les chroniqueurs de Cumhuriyet y par­ticipent, Nazlı Ilı­cak y par­ticipe, Osman Kavala y par­ticipe, les défenseurs des droits humains y participent…Ou, “même s’ils ne sont pas des FETO’istes ils aident quand même les FETÖ’istes.’’
Ne pou­vant s’en con­tenter, ils insin­u­ent de façon menaçante que des lead­ers poli­tiques tels que Kemal Kılıçdaroğlu, Mer­al Akşener et même Abdul­lah Gül pour­raient se voir blâmer pour ce crime non précisé.
Une fois que vous avez regardé tous ces gens, vous pou­vez par­venir à une déf­i­ni­tion claire de ce curieux con­cept indéfini.
Si vous vous opposez à Erdoğan vous êtes soit un FETÖ’iste ou, même si vous n’êtes pas un FETÖ’iste, vous aidez FETÖ; ou encore, on pour­ra vous coller l’une de ces éti­quettes sur le front à n’im­porte quel moment.
Et ça n’est pas tout.
Aujour­d’hui, quelqu’un qui s’ob­jecterait à Erdoğan depuis l’in­térieur de l’AKP serait sujet aus­si à l’une de ces étiquettes.
Y a‑t-il quelqu’un en Turquie, mis à part Erdoğan lui-même, qui ne sera pas accusé de FETÖ’isme ou d’aider FETÖ?
Le chef de l’É­tat major, les juges qui sont sur le banc aujour­d’hui, les lead­ers de l’op­po­si­tion, les hommes d’af­faires… Ils sont tous sujets à cette accusation.
Et ça n’est pas la seule accu­sa­tion possible.
Pour ceux qui ne sont pas regroupés en tant que FETÖ’istes, il existe encore une autre catégorie.
La caté­gorie de “ceux qui aident l’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste PKK”.
Les députés du HDP et les mem­bres de l’op­po­si­tion kurde, y com­pris et en pre­mier lieu Sela­hat­tin Demir­taş, ont été jetés en prison sous cette catégorie.
Et il y a même une troisième caté­gorie, qu’on peut qual­i­fi­er de “crème de la crème des crim­inels,’’ à laque­lle j’appartiens.
Ces per­son­nes aident à la fois FETÖ et le PKK.
Ils fomentent un coup le 15 juil­let et ils se bat­tent aux côtés du PKK dans le sud-est.
Ces crim­inels “d’élite”, dont je suis, sont de tels mani­aques qu’il leur suf­fit d’apercevoir une arme pour se pré­cip­iter dessus.
Comme vous pou­vez le voir, il existe un crime appro­prié pour accuser quiconque s’op­pose à Erdoğan et à son régime d’homme unique.
Toutes ces bizarreries qui con­stituent une tragédie pour la Turquie et une comédie pour ceux qui l’ob­ser­vent de l’ex­térieur, pour­suiv­ent deux objectifs.
Le pre­mier, faire cess­er l’op­po­si­tion à Erdoğan en créant une très grande vio­lence et une très grande frayeur au sein de la société.
Le sec­ond, c’est de met­tre le holà aux ques­tions sérieuses con­cer­nant le 15 juil­let, en créant un rideau de brouil­lard grâce à ce chaos conceptuel.
Et bien, ces objec­tifs ont-ils été atteints ?
Non.
Une erreur après une autre ont con­duit Erdoğan à un point à par­tir duquel il est cri­tiqué doré­na­vant par la base de l’AKP, et les décrets qu’il pub­lie ren­con­trent la sus­pi­cion même par­mi ses sympathisants.
L’énigme du 15 juil­let demeure présente à l’e­sprit de cette société sous la forme d’un point d’in­ter­ro­ga­tion qui grandit de jour en jour.
Que s’est-il passé au final de toute cette vio­lence et de toute cette oppression ?
Le judi­ci­aire ain­si que toutes les autres insti­tu­tions de l’é­tat se sont retrou­vés dans le coma.
Ils n’au­raient pas pu créer ce chaos s’ils n’avaient pas frap­pé le judiciaire.
Un corps judi­ci­aire vivant et en san­té aurait empêché ce chaos, cette anar­chie de crimes et de con­cepts. Il aurait pro­tégé l’or­dre de l’é­tat et de la société.
Il n’au­rait pas procédé à l’ar­resta­tion de ceux qui fâchaient Erdoğan et relâché ceux dont Erdoğan demandait la remise en lib­erté sur la base de ses négo­ci­a­tions avec des offi­ciels de gou­verne­ments étrangers.
Les déci­sions d’ar­resta­tion et de remise en lib­erté auraient été pris­es sur la base de la loi et de l’ordre.
Dans ce cas, des mil­liers d’in­no­cents n’au­raient pas été jetés en prison, pas plus que la cour n’au­rait enten­du des procès ridicules fondés sur des mis­es en accu­sa­tion sans élé­ments de preuve.
Si cela avait été, nous auri­ons eu les détails sur la stu­pid­ité du 15 juil­let et les cal­culs qui étaient derrière.
Mais il est évi­dent que ça n’est pas ce qu’ils veu­lent; ils jet­tent des mil­liers de per­son­nes en prison afin de diluer les faits et de cacher la vérité au sujet du 15 juillet.
C’est pourquoi, mal­gré ce que la con­sti­tu­tion demande de façon explicite, les cours ne respectent pas les déci­sions de la cour con­sti­tu­tion­nelle et ce sont des juges qui com­met­tent des crimes constitutionnels.
Des crim­inels font pass­er des inno­cents en jugement.
Main­tenant, com­mençons à faire quelque chose que le gou­verne­ment actuel ne fait jamais et ne peut jamais faire. Don­nons la preuve de ce que nous venons d’af­firmer avec des élé­ments con­crets et doc­u­men­tons com­ment le judi­ci­aire a été écrasé.
Le doc­u­ment qui four­nit la preuve de ce que j’af­firme se trou­ve entre vos mains.
Ce doc­u­ment, c’est la mise en accu­sa­tion qui a été trans­mise à cette cour.
Lorsque nous aurons exam­iné cette mise en accu­sa­tion point par point, nous ver­rons non seule­ment com­ment le chaos juridique fut créé and les vérités défor­mées dans le but de musel­er la dis­si­dence, mais aus­si com­ment le judi­ci­aire fut trahi.
D’abord, je voudrais com­mencer avec un exem­ple qui sur­pren­dra tout le monde et estom­a­que­ra le monde entier.
Nous ver­rons la con­tra­dic­tion éton­nante que nous ont présen­tée et le pro­cureur qui a super­visé l’en­quête ini­tiale et le pro­cureur qui a déposé l’opin­ion finale dans ce dossier.
J’at­tire votre atten­tion sur la sec­tion qui ouvre les accu­sa­tions à mon encontre.
Aux yeux de ces pro­cureurs, la réu­nion de la Pre­mière armée basée à Istan­bul – une armée avec ses corps, ses divi­sions, ses brigades, ses escadrons, canons, chars d’as­saut et mil­liers de sol­dats – au mépris des ordres de leurs généraux et dans le but de pré­par­er “l’ar­resta­tion de tous les lead­ers poli­tiques”, ne con­stitue pas une ten­ta­tive de coup.
La rai­son pour laque­lle ils débu­tent l’acte d’ac­cu­sa­tions à cette endroit, c’est que j’ai pub­lié un arti­cle en 2010 juste­ment au sujet de telles pré­parat­ifs militaires.
Et ils dis­ent “ceci ne peut pas être con­sid­éré comme une ten­ta­tive de coup”.
Nous arrivons main­tenant au meilleur.
Quel est la “véri­ta­ble” ten­ta­tive de coup aux yeux des pro­cureurs qui dis­ent que ces pré­parat­ifs par les généraux de la Pre­mière armée “n’é­taient pas une ten­ta­tive de coup” ?
Pour eux, la cri­tique adressée à Erdoğan sur une émis­sion de télévi­sion par trois chroniqueurs qui n’ont ni canons, ni fusils ni quelque lien que ce soit avec les mil­i­taires con­stitue la “véri­ta­ble” tentative.
Voyez-vous com­ment la déf­i­ni­tion d’un “coup d’é­tat” s’est mod­i­fiée sous le pou­voir absolu d’Erdoğan ?
Doré­na­vant ce sont les écrivains et non les généraux qui sont les putschistes.
Pourquoi ?
Parce qu’ils ne craig­nent plus les généraux. Avec leurs poli­tiques qui répon­dent au moin­dre désir de la péri­ode de mise en tutelle mil­i­taire, ils n’ont aucune rai­son de crain­dre les généraux.
Ils ne craig­nent plus les armes mais les plumes.
Parce que la plume atteint là où les armes ne le peu­vent pas – la con­science de la société.
Rien ne fait autant hor­reur au gou­verne­ment que la con­science de la société, parce qu’ils savent qu’ils ont fait des choses qui déchir­eraient cette con­science en morceaux et la ferait saigner.
Ils ont une peur du dia­ble que ne soit révélé leur vaste réseau de cor­rup­tion et de pots-de-vin.
C’est pourquoi ils ten­tent de con­train­dre chaque plume et chaque voix qui peut attein­dre la con­science de la société en la plaçant en otage d’un judi­ci­aire comateux.
Ils sont telle­ment anx­ieux de le faire que leur pro­cureur n’éprou­ve aucune gêne à écrire les mêmes allé­ga­tions non-fondées comme s’il n’y avait pas eu d’au­di­ences dans ce procès et comme si nous n’avions pas déjà réfuté ces allé­ga­tions bizarres.
J’é­tais rédac­teur en chef du jour­nal Taraf qui a pub­lié l’his­toire au sujet de la con­férence mil­i­taire Sledge­ham­mer, laque­lle, selon le pro­cureur, “n’é­tait pas une ten­ta­tive de coup”.
La con­férence de la Pre­mière armée men­tion­née dans cette mise en accu­sa­tion fut organ­isée par les généraux, au mépris des ordres de l’E­tat major.
Ils ont enreg­istré leurs dis­cus­sions eux-mêmes et ces enreg­istrements sont aujour­d’hui aux archives officielles.
Lors de cette con­férence ils ont claire­ment pro­jeté “d’ar­rêter des lead­ers poli­tiques”, “de lancer une guerre con­tre la Grèce pour obtenir l’ap­pui du pub­lic”, d’é­carter de leurs postes les maires dont les noms appa­rais­saient sur leurs listes, d’ar­rêter deux cent mille dis­si­dents qui s’op­poseraient à la tutelle mil­i­taire et de les enfer­mer dans les stades.
Selon le pro­cureur, ceci n’é­tait pas une ten­ta­tive de coup. Par con­tre, trois chroniqueurs devisant à la télé, con­sti­tu­ait une ten­ta­tive de coup.
Les dis­cus­sions des généraux tout comme notre con­ver­sa­tion à la télévi­sion sont aux archives officielles.
Trans­portons ces doc­u­ments ici et écou­tons les deux conversations.
Pour que les gens de ce pays puis­sent voir claire­ment quel est le con­cept de “coup” dans l’e­sprit d’un judi­ci­aire agonisant.
Nous par­lons de la con­férence Sledge­ham­mer organ­isée par des généraux parce que les pro­cureur avan­cent l’in­for­ma­tion de presse que j’ai pub­liée en 2010 con­cer­nant cette con­férence comme pre­mier élé­ment de preuve de ma par­tic­i­pa­tion dans la ten­ta­tive de coup du 15 juillet.
Per­me­t­tez-moi de le répéter et de le soulign­er pour que cela soit clair pour tout le monde.
La mise en accu­sa­tion avance un arti­cle de presse pub­lié en 2010, soit six ans avant le 15 juil­let comme le pre­mier élé­ment de preuve de ma par­tic­i­pa­tion dans le coup du 15 juil­let 2016.
Com­ment ai-je par­ticipé à un coup qui aurait lieu six ans plus tard en pub­liant un arti­cle de presse aus­si longtemps avant l’incident ?
Après avoir cité divers titres du jour­nal, voici pré­cisé­ment com­ment le pro­cureur explique com­ment je l’ai fait :
“Que le prévenu avait écrit au sujet de la ques­tion du plan de coup Sledge­ham­mer, donc l’en­quête Sledge­ham­mer avait été ouverte et ceux des officiers des forces armées turques qui ne fai­saient pas par­tie de l’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste furent radiés et rem­placés par ses mem­bres dans des posi­tions cri­tiques au sein des forces armées turques en con­séquence de ces sup­posées enquêtes…”
Lais­sez-moi vous traduire cet embrouillamini :
On pré­tend que j’ai procédé à une purge de ceux des officiers de l’ar­mée qui n’é­taient pas des mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion, aus­si con­nue sous le nom de FETO, et que je les ai rem­placés avec des mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion, propul­sant des mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion à des posi­tions clé au sein des forces armées turques par le biais d’en­quêtes en cours.
Il sem­blerait que je sois doté d’un pou­voir telle­ment extra­or­di­naire que je suis capa­ble d’opér­er une purge des officiers, de les rem­plac­er avec des mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion et de propulser ces mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion à des posi­tions clé.
Je fais tout cela.
Comme si je n’é­tais pas un écrivain mais le chef du per­son­nel des forces armées turques.
Il n’ex­iste pas de con­seil mil­i­taire supérieur, pas de gou­verne­ment, pas de pre­mier min­istre, pas de président.
Il n’y a que moi.
Pen­dant six ans, je place qui je veux dans la posi­tion que je veux au sein des forces armées.
C’est sur la base d’une accu­sa­tion aus­si dés­in­volte que je passe en juge­ment et que je fais face à une con­damna­tion en perpétuité.
Le pro­cureur sem­ble ne pas avoir lu ni les répons­es que j’ai fournies à ces accu­sa­tions lors des audi­ences précé­dentes ni la déci­sion de la cour con­sti­tu­tion­nelle selon laque­lle “un arti­cle de presse” ne pou­vait pas être con­sid­éré comme un crime.
Ou il les a lues mais ni mes expli­ca­tions ni la déci­sion de la cour con­sti­tu­tion­nelle ne l’intéresse.
Il a une mis­sion : empris­on­ner les opposants d’Erdoğan.
Pour ce faire il doit renon­cer à tout sen­ti­ment de honte et avancer comme preuve un non-sens aus­si ridicule.
Voilà pré­cisé­ment ce que je veux dire lorsque j’af­firme que le gou­verne­ment se sert du judi­ci­aire pour diluer et mas­quer les faits con­cer­nant le 15 juil­let, et tente de répan­dre la peur et la vio­lence avec ces fauss­es accusations.
Les manœu­vres dés­espérées du pro­cureur sont bien la preuve con­crète que le judi­ci­aire est aux portes de la mort.
Si les per­son­nes qui sont respon­s­ables du coup du 15 juil­let sont les mêmes que celles qui se sont chargées des purges et des pro­mo­tions au sein de l’ar­mée, alors le pro­cureur doit met­tre en exa­m­en les offi­ciels dont les sig­na­tures appa­rais­sent au bas des décrets de promotion.
En voyez-vous un seul dans ce tribunal ?
Tayyip Erdoğan dont la sig­na­ture est au bas de ces décrets de pro­mo­tion est-il au rang des prévenus ?
Non, il ne l’est pas.
Parce que le pro­cureur n’a cure de trou­ver les véri­ta­bles coupables.
Sa mis­sion est de pro­téger ceux qui sont vrai­ment respon­s­ables de la tour­nure des événe­ments tout en accu­sant ceux qui ne le sont pas, afin que la vérité ne soit pas dévoilée.
“Aucun besoin de preuve, nous pou­vons met­tre en exa­m­en et empris­on­ner à vie qui nous voulons.” Sa mis­sion est de répan­dre cette notion dans la société afin que les racines de la peur soient irriguées, que l’hor­reur soit ali­men­tée et la voie ouverte au gou­verne­ment oppresseur que souhaite Erdoğan.
Les allé­ga­tions bizarres du pro­cureur ne prou­vent pas que je suis coupable mais elles prou­vent que le judi­ci­aire est aux portes de la mort.
Pour­tant, le deux­ième élé­ment de “preuve” de mon “putschisme’’ est tout aus­si bizarre que le premier.
De toute évi­dence, le pro­cureur est à la fois paresseux et malveil­lant. Il n’a jamais lu nos mémoires en défense.
Selon le témoignage d’un témoin men­songer qui est car­ré­ment fraud­uleux et dont j’ai pu prou­ver qu’il est un menteur, Alaat­tin Kaya ser­vait de liai­son entre Fethul­lah Gülen, Mehmet Altan et moi-même.
Les dossiers de ce procès con­ti­en­nent les archives de nos con­ver­sa­tions télé­phoniques sur plus de dix ans.
Com­bi­en de fois avons-nous par­lé à cet homme Kaya dont on dit que nous l’avons con­tac­té “fréquem­ment”?
On dit que j’au­rais par­lé à Alaat­tin Kaya deux fois en dix ans, et que Mehmet Altan ne lui a par­lé qu’une seule fois.
Voilà ce que le pro­cureur appelle “fréquem­ment”.
Et il dépose cette allé­ga­tion dans la mise en accu­sa­tion comme preuve que nous avons exé­cuté le coup du 15 juillet.
Dans le dossier récla­mant que je sois empris­on­né à vie ceci appa­raît aus­si à titre de “preuve”.
En effet, comme l’a noté un reporter norvégien, cette mise en accu­sa­tion devien­dra l’un des doc­u­ments his­toriques de cette époque.
Selon le témoignage d’un autre témoin, il est di que Kaya est venu aux bureaux du jour­nal Taraf et m’y a apporté des doc­u­ment jusqu’au 17–25 décem­bre 2013.
Dans cette même mise en accu­sa­tion, le pro­cureur note que j’ai quit­té mon emploi au jour­nal Taraf en 2012.
Le pro­cureur ne lit même pas ce qu’il écrit lui-même.
Com­ment pou­vait-on apporter des doc­u­ments à votre tout dévoué en 2013 alors que j’avais cessé de tra­vailler pour le jour­nal en 2012 ?
Existe-t-il une expli­ca­tion raisonnable à cela ?
Le pro­cureur se préoc­cupe-t-il de paraître raisonnable dans ses accu­sa­tions à notre encontre ?
Non, il ne s’en préoc­cupe pas.
Le judi­ci­aire peut-il con­tin­uer d’ex­is­ter dans un tel non-sens ?
Il ne le peut pas.
Mais cela se passe ici ?
Oui.
Pourquoi cela se passe-t-il ?
Parce que le judi­ci­aire a été blessé par le gou­verne­ment et se trou­ve à l’ar­ti­cle de la mort.
Selon les allé­ga­tions du pro­cureur, il est dit que Kaya me vis­i­tait et que, suite à ces vis­ites, je cri­ti­quais l’AKP dans mes chroniques.
Il s’ag­it là de l’une de ces affir­ma­tions qui prou­ve hors de tout doute ce que j’affirme.
Le pro­cureur con­sid­ère le fait de cri­ti­quer l’AKP comme “la preuve de putschisme’’ et dit que je dois mourir en prison pour avoir fait cela.
Cette allé­ga­tion du pro­cureur est un résumé limpi­de de ce qui se passe dans ce pays depuis le 15 juillet.
Si vous cri­tiquez l’AKP on vous met en accu­sa­tion pour putschisme.
Cri­ti­quer l’AKP équiv­aut à un coup.
C’est aus­si sim­ple que cela.
Suite à ces allé­ga­tions, on présente mes trois chroniques comme “preuves de ma par­tic­i­pa­tion dans le coup.”
J’ai écrit une chronique sous le titre “La peur absolue” où j’ai dit “Je soupçonne que nous assis­tons au dernier acte d’une mau­vaise pièce. Cela aura été un peu coû­teux mais il est bon de savoir qu’elle tire à sa fin.”
J’ai déjà dit ceci dans ma déc­la­ra­tion précé­dente devant la cour :
C’est exacte­ment ce que je pense aujourd’hui.
Ce gou­verne­ment AKP tombera.
Un ordre comme celui-ci, dans lequel le judi­ci­aire et la jus­tice sont écrasés, ne peut pas se main­tenir éternellement.
La deux­ième chronique qu’on présente comme “la preuve” de mon putschisme porte le titre “Bat­tre à plate couture”.
Lais­sez-moi d’abord vous révéler quelque chose con­cer­nant cette chronique, quelque chose qui, je crois, appar­tien­dra à l’his­toire du droit.
Cette cour m’a inten­té deux procès dis­tincts à cause de cette chronique. Deux procès se déroulent devant la même cour au sujet de la même chronique. Cette chronique passe en juge­ment deux fois.
Dans ce procès-ci, cette chronique four­nit la preuve que je suis un sym­pa­thisant FETO et un “putschiste.’’ Dans l’autre procès, elle four­nit la preuve que je suis un “sym­pa­thisant PKK”.
Grâce à la même chronique, je deviens à la fois un putschiste appuyant FETO et un ter­ror­iste PKK.
Quelle est donc cette peur du mot écrit qu’ont ce gou­verne­ment et ces procureurs ?
Quel doit être l’é­tat d’e­sprit de quelqu’un, de quelle sorte de para­noïa doit-on être l’o­tage pour décel­er dans une seule chronique à la fois du putschisme et du ter­ror­isme, à la fois du fon­da­men­tal­isme religieux et du marxisme ?
J’ai écrit cette chronique en réac­tion aux mots suiv­ants d’Erdoğan : “S’il doit y avoir une guerre civile, qu’il en soit ain­si. Nous les bat­trons à plate cou­ture.” Dans cette chronique, j’ai dit qu’une guerre civile serait ter­ri­fi­ante, qu’il n’y avait rien là auquel on doive aspir­er, et je pour­suiv­ais en décrivant à quel point une guerre civile peut être véri­ta­ble­ment horrible.
Je dois dire que j’aime bien la manière dont le pro­cureur accuse cette chronique, j’aime les mots qu’il utilise pour le faire.
Dans cette chronique, on dit que j’ai util­isé une expres­sion “évo­ca­trice” d’une ten­ta­tive de coup. Voilà le mot : ” évocatrice.”
Une expres­sion “évo­ca­trice” d’une ten­ta­tive de coup ? Qu’est que c’est sup­posé vouloir dire ?
De quel crime s’ag­it-il là ?
Le pro­cureur ne s’ar­reête pas là, il poursuit.
Le fait d’avoir écrit cette chronique lui indique que j’avais une con­nais­sance préal­able du “plan d’ac­tion visant le com­plexe prési­den­tiel” et que je menaçais le prési­dent en évo­quant de plan d’action.
Une fois que le pro­cureur affirme “vous saviez à l’a­vance que le coup allait avoir lieu”, il devrait être tenu de prou­ver quand, com­ment, où et de qui j’avais reçu cette information.
Qui est venu me voir ? Quand, où and pourquoi cette per­son­ne est-elle venue et m’a-t-elle dit : “Nous allons bom­bardé le palais. Ecrivez une chronique et révélez cette information” ?
Quel genre de fêlé irait dire à un chroniqueur quel immeu­ble il compte bombarder ?
Le pro­cureur répond-il à ces questions ?
Bien sûr que non.
Il ne con­sid­ère même pas que de telles répons­es soient requises.
Le pro­cureur estime que son affir­ma­tion que j’ai util­isé “une expres­sion évo­ca­trice du coup” suf­fit comme preuve.
“Je crois que vous évo­quez le coup, Ahmet Bey. Main­tenant, allez en prison et mourrez‑y.”
Voilà ce que dit le procureur.
C’est de ce genre de malveil­lance dés­in­volte que je par­le lorsque je dis que “le judi­ci­aire est pourri”.
La troisième chronique déposée comme preuve de mon putschisme s’in­ti­t­ule “Mon­tezu­ma.’’
Com­ment suis-je un putschiste dans cette chronique ?
On dit que j’y ai pré­paré la société à la ten­ta­tive de coup en appelant Erdoğan un dic­ta­teur et en dis­ant qu’il quit­terait le gouvernement.
Vrai­ment, ces mots nous révè­lent l’é­tat actuel du judiciaire.
Selon le pro­cureur, cri­ti­quer Erdoğan, l’ap­pel­er un “dic­ta­teur’’ et dire qu’il quit­tera le gou­verne­ment est sem­blable à l’exé­cu­tion d’un coup d’état.
Si vous cri­tiquez Erdoğan, vous êtes un putschiste.
Erdoğan ne peut pas être critiqué.
C’est interdit.
Quiconque le cri­tique est jeté en prison.
Alors, la cri­tique de quelle sorte de leader est puniss­able par l’emprisonnement ?
Quelqu’un a‑t-il été accusé de putschisme et jeté en prison pour avoir cri­tiqué le prési­dent de la France, la reine d’An­gleterre ou le chance­li­er allemand ?
Non, personne.
Même ce bout de com­para­i­son suf­fit pour expli­quer la sit­u­a­tion ici.
Main­tenant, nous appro­chons un autre pic d’impudence.
Deux per­son­nes que l’on dit FETO’istes s’en­voient des mes­sages par textes.
Ils dis­ent que leurs droits ont été vio­lés et dis­cu­tent à savoir com­ment ils pour­raient ren­dre cette infor­ma­tion publique.
L’un d’en­tre eux dit: “ne pub­lions pas cette infor­ma­tion nous-même. Don­nons-la au seg­ment sénior et lais­sons-les la révéler.”
L’autre per­son­ne ne com­prend pas et demande “que veux-tu dire par le seg­ment sénior ?”
La pre­mière per­son­ne répond, “Les Altan, les Taha Aky­ols, les mem­bres du par­lement, les avo­cats dans l’académie.”
Il men­tionne d’autres noms aus­si, mais le pro­cureur qui verse ce doc­u­ment à notre dossier les efface et les cache.
Ain­si, il voile l’in­ten­tion des hommes de remet­tre ce rap­port à des intel­lectuels démoc­rates. Il tente de don­ner l’ap­parence qu’ils allaient le trans­met­tre à des per­son­nes spéciales.
Main­tenant, lorsque deux per­son­nes con­versent entre elles, ceux qu’ils men­tion­nent dans cette con­ver­sa­tion devi­en­nent-ils des putschistes qui doivent être con­damnés à perpétuité ?
Nous arrivons main­tenant aux remar­ques que j’ai faites sur Can Erz­in­can TV durant l’émis­sion ani­mée par Nazlı Ilı­cak et Mehmet Altan.
Tout d’abord, je veux dire ceci :
Mes remar­ques con­stituent presque qua­tre-ving-quinze pour­cent de la con­ver­sa­tion pen­dant cette émis­sion. Ilı­cak et Mehmet Altan n’ont pronon­cé que quelques phrases.
Si vous allez accuser quelqu’un pour cette con­ver­sa­tion, alors c’est moi que vous devez accuser.
Pourquoi accusez-vous Ilı­cak et Mehmet Altan ?
Vous les accusez parce qu’ils sont aus­si des dis­si­dents. Ce qu’ils dis­ent ou ne dis­ent pas dans les faits n’im­porte pas tellement.
Main­tenant je vous dresse la liste des expres­sions que le pro­cureur utilise pour accuser mes remarques:
“Util­isant de la rhé­torique…,’’ “faisant des com­men­taires …,’’ “avec ce genre de rhétorique…’’
En d’autres mots, je suis en train de com­met­tre le crime de “putschisme’’ par l’u­til­i­sa­tion de “rhé­torique’’ et “en faisant des commentaires’’.
Qu’est-ce qui con­stitue un coup d’é­tat dans l’e­sprit du procureur ?
On n’exé­cute pas des coups avec des “com­men­taires,’’ ils sont exé­cutés avec des armes.
Seule­ment dans les dic­tatures où la société est gou­vernée par la peur et la vio­lence con­sid­ère-t-on un “com­men­taire” comme une arme.
Mal­heureuse­ment, la Turquie est dev­enue un tel pays.
Je main­tiens ver­ba­tim aujour­d’hui la “rhé­torique’’ et les “com­men­taires’’ de cette conversation.
Quels sont donc ces com­men­taires “putschistes” ter­ri­fi­ants et cette rhé­torique que j’utilise ?
On dit que j’ai affir­mé que la con­férence Sledge­ham­mer tenue par la Pre­mière armée était une “ten­ta­tive de coup”.
Oui, et je le pense encore aujourd’hui.
Le Pre­mier min­istre et le pro­cureur en chef de la cour de cas­sa­tion le pensent aussi.
Seront-ils mis en exa­m­en, eux aussi ?
On dit que j’ai affir­mé qu’il n’y a pas de lib­erté d’ex­pres­sion en Turquie.
Mon Dieu! Quel acte ter­ri­fi­ant de putschisme!
Il n’y a même pas des miettes de lib­erté d’ex­pres­sion dans ce pays.
S’il y avait de la lib­erté d’ex­pres­sion, pourquoi com­para­î­trais-je pour “rhé­torique” et pour des “com­men­taires’’ ?
On dit que j’ai util­isé une rhé­torique “de type insulte” au sujet d’ Erdoğan.

Comme je l’ai déjà dit, pronon­cer des choses “de type insulte” ne con­stitue pas un crime.
Peut-on con­sid­ér­er quelqu’un comme un “putschiste’’ à cause de sa rhé­torique “de type insulte” ?
Cette émis­sion fut dif­fusée dans la soirée du 14 juillet.
Selon les mots du pro­cureur, j’au­rais déclaré dans cette émis­sion qu’il y allait y avoir un coup.
Ce sont les mots exacts du pro­cureur: “Il a déclaré qu’il y aurait un coup d’état.”
Même s’il n’est jamais mis en exa­m­en pour autre chose, il sera mis en exa­m­en pour cette phrase.
Parce qu’il s’ag­it d’un men­songe éhonté.
Il n’y a pas de phrase sem­blable dans mes remarques.
Il ne peut pas y en avoir.
Le pro­cureur est assis là. Qu’il pointe du doigt la phrase où je déclare qu’il va y avoir un coup.
Il ne peut pas la point­er du doigt.
Car il n’y a pas de telle phrase.
Le pau­vre mis­érable s’est tor­du dans tous les sens pour trou­ver un crime et comme il ne par­ve­nait pas à en trou­ver un, il a décidé d’en inven­ter un, et voilà ce qu’il a inventé.
Il profère un tel men­songe que le men­songe se révèle aussitôt.
Ne lui deman­deront-ils pas où est cette phrase ?
Ils le fer­ont un jour.
Il profère un men­songe, puis il con­stru­it son raison­nement sur ce mensonge.

Il a déclaré qu’il y aurait un coup, il n’au­rait pas pu savoir qu’il y aurait un coup s’il n’avait pas col­laboré avec les putschistes, donc il est aus­si un putschiste.’’ Voilà ce que dit le procureur.
Pre­mière­ment, il invente une phrase, quelque chose que je n’ai pas dit, puis il invente une accu­sa­tion sur la base de ce mensonge.
Et le pau­vre corps judi­ci­aire con­tin­ue à se tor­dre sur le sol aux portes de la mort.
Celui qui lui enfonce le har­pon au plus pro­fond des poumons n’est nulle autre que son pro­pre procureur.
Lors de cette émis­sion, j’ai dit ce que je répète depuis des années – que si vous retirez le con­trôle civ­il sur le mil­i­taire, vous ouvrez les portes à un coup.
Cela fait trente ans que je le dis. C’est exacte­ment ce que je pense aujour­d’hui aus­si. Est-ce un crime de le dire ?
Mon critère est-il erroné ?
Ne l’ai-je pas dit pen­dant toutes ces années ?
Lors de cette émis­sion, nous avons dit “il y aura des élec­tions dans deux ans” et nous avons passé des com­men­taires con­cer­nant ces élections.
Selon les doc­u­ments au dossier, ce procès a démar­ré suite à un tuyau anonyme.
L’in­for­ma­teur a écrit ceci dans sa let­tre de dénon­ci­a­tion : “Ils dis­ent qu’Erdoğan sautera dans deux ans. Com­ment peu­vent-ils le savoir ?”
Cette let­tre de dénon­ci­a­tion est au dossier.
L’in­for­ma­teur dit la vérité. J’ai bel et bien affir­mé qu’Erdoğan tomberait deux ans plus tard lors d’élections.
L’in­for­ma­teur ne sait pas que de dire cela ne con­stitue pas un crime.
Mais comme le pro­cureur, lui, sait qu’il ne s’ag­it pas d’un crime, il ment.
Alors, sommes-nous sup­posés dire qu’un procès fondé sur un men­songe est un procès libre ?
La vacuité de ce procès se révèle dans le fait que le pro­cureur doit se résoudre à mentir.
Si vous nous inten­tez un procès en déclarant : “Vous avez exé­cuté le coup du 15 juillet…Vous souhaitiez ren­vers­er l’or­dre con­sti­tu­tion­nel par la force et la vio­lence,” les men­songes seront votre seul recours.
En effet, nous avons devant nous une sit­u­a­tion des plus intéressantes.
Nous sommes si claire­ment inno­cents que même si le men­songe du pro­cureur n’é­tait pas un men­songe, nous ne pour­rions pas en être accusés.
Nous sommes sur un ter­rain telle­ment ferme que vous ne pou­vez même pas nous touch­er avec vos mensonges.
Même la phrase que vous avec con­coc­té comme étant notre “crime” n’est pas un crime. La cour de cas­sa­tion a un avis très claire là-dessus.
Elle dit “avoir la con­nais­sance préal­able du coup ne con­stitue pas un acte criminel”.
Si tel était le cas et qu’un tel crime exis­tait, le jour­nal­iste qui écriv­it qua­tre mois à l’a­vance qu’il y aurait un coup aurait dû être mis en exa­m­en avant tout le monde.
Mais il n’est pas pour­suivi. Nous le sommes. Pourquoi ?
Parce que celui qui a écrit au sujet du coup qua­tre mois à l’a­vance est l’un des flagorneurs d’Erdoğan et que nous sommes des dissidents.
Un seul criètre établit la “cul­pa­bil­ité” ou “l’in­no­cence” en Turquie de nos jours.
Si vous êtes un par­ti­san d’Erdoğan, quoi que vous fassiez, vous êtes inno­cent; allez abat­tre un homme si vous le souhaitez.
Si vous vous opposez à Erdoğan, quoi que vous fassiez, vous êtes coupable, quel que soit la fer­veur avec laque­lle vous défendrez la Loi.
Les Nations Unies ont décrit ceci comme “une par­o­die de procès”. Elles n’ont pas tort.
Ce procès vio­le la con­sti­tu­tion qui sauve­g­arde “la lib­erté d’expression”.
Ce procès vio­le la loi qui réclame la présence de la force et de la vio­lence comme élé­ments sine qua non pour le crime de “ten­ta­tive de ren­vers­er l’or­dre constitutionnel”.
Ce procès vio­le la jus­ti­fi­ca­tion de l’ar­ti­cle de loi en cause, qui dit que “l’élé­ment de force est inscrit dans cet arti­cle afin de pro­téger la lib­erté d’expression”.
Ce procès vio­le la cour de cas­sa­tion qui déclare : “La force et la vio­lence con­stituent les élé­ments de ce crime. Con­séquem­ment, la ten­ta­tive de ren­verse­ment de l’or­dre con­sti­tu­tion­nel doit être exé­cutée avec l’usage de la force et de la vio­lence; en d’autres mots, il doit y avoir un dérè­gle­ment de l’or­dre comme façon de forcer la volon­té des individus”.
En bref, ce procès se déroule de telle sorte qu’il vio­le la con­sti­tu­tion, les lois et l’avis de la cour de cassation.
Pour que toute per­son­ne soit mise en exa­m­en pour ce crime, il ou elle doit, soit avoir fait usage de “force et vio­lence” ou être en posi­tion de don­ner des ordres à quelqu’un pour qu’il “utilise force et vio­lence”, ou recevoir de tels ordres de quelqu’un.
Avons-nous fait usage de force et de vio­lence ? Non.
Avons-nous don­né des ordres à qui que ce soit d’u­tilis­er “force et vio­lence” le 15 juillet ?
Non.
Avons-nous reçu des ordres de quelqu’un d’u­tilis­er “force et vio­lence” le 15 juillet ?
Non.
Alors, dès le départ, cette cause n’au­rait jamais dû être enten­due. Il n’y a aucun élé­ment de com­mis­sion d’un crime.
Mais c’est cela qui est dan­gereux pour nous.
Nous com­para­is­sons pour nos vies dans un procès qui n’au­rait jamais dû avoir lieu.
Cela démon­tre qu’il n’y a pas de “judi­ci­aire” ici; que le judi­ci­aire est dans le coma.
Là où il n’y a pas de judi­ci­aire, il n’est pas facile d’avoir un procès équitable.
Nous sommes des otages aux mains d’un groupe qui ne respecte pas la con­sti­tu­tion et les lois.
Per­son­ne dans ce tri­bunal ne prend la con­sti­tu­tion, les lois et la cour de cas­sa­tion au sérieux.
Ce que nous dis­ons, ce que nous expliquons, ce que nous prou­vons n’at­teint pas les oreilles de ceux qui sont assis dans ce tribunal.
Nous sommes con­scients de ce fait, le reste du monde l’est aussi.
Tout ceux qui suiv­ent ce procès voient ici un rayon‑X de la Turquie.
Ce procès, annon­cé dans le monde comme “la mort du judi­ci­aire turc” en invi­tant la com­mu­nauté inter­na­tionale à ses funérailles, prou­ve à lui seul com­ment l’in­ci­dent du 15 juil­let est util­isé comme levi­er pour établir une dictature.
Tout comme le Par­ti union et pro­grès, qui a exploité l’in­ci­dent du 31 mars et n’a jamais per­mis qu’il y ait enquête à ce sujet, le gou­verne­ment actuel exploite au max­i­mum l’in­ci­dent du 15 juil­let et ne per­met pas d’en­quêtes sur les vérités du coup.
Mais alors, la dic­tature dont nous regar­dons les ban­des-annonces depuis le 15 juil­let peut-elle être fondée au moyen de procès comme celui-ci ?
Les vagues de peur déclenchées par ces procès mèneront-elles la bar­que du gou­verne­ment jusqu’aux rives de la dictature ?
Non, elles ne le fer­ont pas.
Parce que le fas­cisme est une affaire coûteuse.
Un gou­verne­ment de vio­lence et de peur ne peut pas sur­vivre sans argent.
Si vous voulez être le patron de la vio­lence et de la peur, vous devez pay­er les gens que vous écrasez; vous devez leur fournir un cer­tain niveau d’ai­sance pour qu’ils puis­sent tolér­er leur pro­pre lâcheté.
Parce qu’Erdoğan a con­duit l’é­tat et l’é­conomie à la ban­quer­oute, il n’a plus d’ar­gent dans ses poches.
C’est pour cela qu’il brade les pro­priétés du gou­verne­ment, les domaines, les ter­res et les fon­da­tions. Il essaie de lever suff­isam­ment de fonds pour le men­er jusqu’aux prochaines élec­tions, qu’il croit lui fourniront la dic­tature qu’il veut.
Tout comme Phileas Fogg dans Autour du monde en 80 jours Erdoğan aus­si manque de char­bon et il a ordon­né qu’on enlève une par­tie du vais­seau et qu’on le brûle pour que la bar­que atteigne son dernier port.
S’il arrive jusqu’au dernier port, il n’au­ra plus un vais­seau d’é­tat; il ne lui restera que son squelette inca­pable de flotter.
Il brûle l’é­tat pour attein­dre son but. Mais même cet argent ne suf­fit pas.
Les gens s’ap­pau­vris­sent de plus en plus. La livre turque perd de sa valeur. Les prix augmentent.
Alors, Erdoğan s’est emparé de la dernière arme qui reste aux politi­ciens incom­pé­tents – c’est-à-dire, le nationalisme.
Le nation­al­isme, la stu­pid­ité com­mune à toute l’hu­man­ité, c’est le com­bustible gra­tu­it de la politique.
Les gens aiment qu’on les con­sid­ère “méri­tants” du sim­ple fait de leur iden­tité de nais­sance, sans avoir fait le moin­dre effort dans la vie, sans avoir créer quoi que ce soit.
Lorsque le gou­verne­ment s’éloigne de la Loi, de la jus­tice et de la prospérité, les gron­de­ments du nation­al­isme augmentent.
Mais il n’est pas facile pour Erdoğan d’u­tilis­er ce com­bustible gratuit.
Afin d’en­flam­mer le nation­al­isme et récolter le sou­tien des nation­al­istes, il s’est mis à se bat­tre et à insul­ter toutes les nations.
Évidem­ment, à ce niveau, il se trou­ve dans une impasse.
La Turquie a besoin de l’en­trée de mil­liards et de mil­liards de dol­lars de l’é­tranger chaque année afin d’à peine survivre.
Com­ment obtien­dra-t-il tout cet argent des pays con­tre lesquels il se bat et qu’ils ago­nit d’insultes ?
Tant qu’il voudra fon­cer de l’a­vant avec la vio­lence, la peur et le nation­al­isme, il ne trou­vera pas l’ar­gent dont la Turquie a dés­espéré­ment besoin.
Et il va ouvrir les plaies de la pau­vreté – des plaies si pro­fondes qu’il sera inca­pable de les soign­er avec le nationalisme.
Tous les chemins menant à une dic­tature fas­ciste sont bloqués.
Les lead­ers de l’AKP con­sta­tent aus­si ces faits. Ils sont con­scients d’ap­procher la fin de leur gou­verne­ment. Ils com­men­cent à envis­ager les “derniers recours” qu’avait aus­si util­isé le Par­ti de l’u­nion et du pro­grès, qui con­siste à faire grimper la mise en terme de vio­lence jusqu’aux dimen­sions des meurtres de rue.
C’est pourquoi ils ont récem­ment décrété avec force de loi– et forte­ment résisté aux appels à des amende­ments – un décret qui ouvre la voie à “la décrim­i­nal­i­sa­tion des meurtres de dis­si­dents dans les rues”.
Les symp­tomes ter­ri­fi­ants de cette folie ont ébran­lé tout le pays, explosant dans l’e­sprit des gens comme une bombe.
Cela n’a pas seule­ment navré les dis­si­dents mais aus­si les électeurs plus clair­voy­ants de l’AKP.
Parce qu’il s’ag­it de rien de moins que d’in­scrire la guerre civile dans l’avenir de cette société.
Voilà pourquoi le sou­tien à l’AKP décline. Leurs votes ont diminué.
Voilà pourquoi, avec chaque jour qui passe, ils s’éloignent de plus en plus des par­ties clair­voy­antes de la société et ten­tent de se con­stru­ire une base au sein du lumpen qu’ils croient plus facile à tromper et à provoquer.
Et leur dis­cours et leur per­son­nel devi­en­nent de type lumpen.
Il en résulte qu’une anar­chie de type mafieuse et non-idéologique est en pro­gres­sion dans le pays. Dans toutes les par­ties du pays, nous voyons une aug­men­ta­tion de luttes lumpen, de raids de la pègre et de meurtres.
Je ne crois pas que la Turquie va per­me­t­tre que son gou­verne­ment con­tin­ue à suiv­re cette voie et à entraîn­er tout le pays à sa suite.
Le fait qu’Ab­dul­lah Gül, l’un des fon­da­teurs de l’AKP et son ancien prési­dent ait aus­si exprimé son objec­tion au dernier décret et insisté pour qu’il soit révo­qué révèle que la con­science du dan­ger et un sen­ti­ment de malaise aug­mente à la base de l’AKP.
Et parce que le judi­ci­aire a été tué, la pos­si­bil­ité de prévenir que le sol se dérobe, la pos­si­bil­ité de sauver la Turquie, et eux-même avec elle, est en train de se perdre.
Je vais répéter ce que j’ai dit dans la chronique qu’ils invo­quent pour m’accuser:
Nous arrivons à la fin d’une mau­vaise pièce de théatre.
La voie sur laque­lle ce pays a été placé par ce coup stu­pide et igno­ble, le chemin qui a été par­cou­ru en com­pag­nie d’un judi­ci­aire mort tout en lançant de vagues accu­sa­tions con­tre les dis­si­dents, tirent à sa fin.
Soit le gou­verne­ment se détourn­era de cette voie…
Ou sa pro­pre base, dont l’âme pour­rit dans la peur pren­dra con­science, avant même que les dis­si­dents le fassent, que plus de pour­ri­t­ure sig­ni­fie l’ex­tinc­tion, et fera tomber le gou­verne­ment pour cette raison.
Le gou­verne­ment tente d’im­pres­sion­ner l’op­po­si­tion et de jeter les dis­si­dents en prison, mais éventuelle­ment, la base même de l’AKP le fera tomber, la base qui a encore plus peur que les dis­si­dents mais qui a intéri­or­isé cette peur.
Per­son­ne ne voit quelles sortes de regrets, de craintes, d’in­quié­tudes, de colères et de décep­tions se sont accu­mulés en silence dans la base de l’AKP.
Les vrais risques pour Erdoğan ne se trou­vent pas dans les voix de ces opposants mais dans le silence de ses sympathisants.
Dis­ons-le à la manière de Shakespeare :
Erdoğan, méfie-toi de ce silence.
Dans ce silence, il y a les yeux des enfants affamés.
Les vis­ages livides des sans-emploi dont le teint est devenu d’une blancheur de cire.
Les regards affligés des pères à la tête bais­sée de gêne devant leurs enfants.
Les san­glots étouf­fés des mères malheureuses.
Peut-être y a‑t-il un moyen de faire taire ces voix.
Com­ment fer­ez-vous taire le silence ? Une société entière est malheureuse.
La Turquie regarde en fris­son­nant un gou­verne­ment devenu fou comme s’il s’agis­sait d’un homme sus­pendu au-dessus de l’abyme.
La rai­son d’être de procès comme celui-ci est de cacher ces faits aux yeux rem­plis de détresse de la société.
Un corps judi­ci­aire qui ne respecte pas la con­sti­tu­tion, les lois et la cour de cas­sa­tion, suit les ordres poli­tiques d’un gou­verne­ment et nous intente un procès afin de “nous tuer en prison”.
Une con­damna­tion à per­pé­tu­ité sig­ni­fie la mort en prison.
Ce qu’ils veu­lent pour nous, c’est la mort en prison.
L’His­toire nous a enseigné cer­tains faits.
Les despotes qui punis­saient leurs opposants de façon injuste ont été punis de la même façon, éventuellement.
Celui qui a envoyé les gens à la guil­lo­tine est mort sous la guil­lo­tine, celui qui a empris­on­né les gens fut envoyé en prison, celui qui a exilé les autres, fut exilé lui-même.
Le type de puni­tion qu’ils imposent ont été mar­qué comme le port d’ar­rivée sur les cartes mar­quant le pro­pre des­tin des despotes.
Main­tenant vous voulez me tuer en prison.
Je vous ai dit toute la vérité sur cette affaire et voilà ce que je vous dis :
Je suis prêt à mourir en prison. Et je vous demande :
Et vous ?
Êtes-vous prêt à mourir en prison, aussi ?
Parce que toute puni­tion que vous nous don­nerez sera comme une escale dans la carte de votre pro­pre destin.


Translation by Renée Lucie Bourges
iknowiknowiknowblog.wordpress.com
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