Kedistan publiant le New York Times, on aura tout vu… Mais le reportage énonce pourtant entre les lignes, toute l’ambiguïté de la position américaine, tout en décrivant une réalité pour une fois non vue côté armée turque.
Manbij est annoncée comme deuxième cible officielle par le gouvernement turc. Et pour ce faire, Erdogan coalise des factions hétéroclites réunies sous le label à géométrie variable “armée syrienne libre”. Il avait en conséquence adressé aux forces américaines présentes dans la région un message leur demandant clairement de “quitter” Manbij. Ce reportage montre qu’il n’en est rien.
Voilà pourquoi des titres alarmistes parlent de “confrontation possible”.
Sans explication, les bombardements aériens turcs se sont fait moins intensifs depuis 24h00. Russes et Américains n’ont fourni aucune déclaration pour l’expliquer. Erdogan parle d’un sommet nécessaire avec la Russie et l’Iran dont la date sera annoncée en tant voulu. Le régime Bachar lui, soutenu par ces derniers vient de relancer une nouvelle offensive contre Idleb (nord-ouest), et a renforcé les bombardements contre l’enclave de la Ghouta, près de Damas,où plus de 170 civils ont été tués. Mortelles représailles contre le fait qu’un avion russe ai été abattu et son pilote tué…
(Note du vendredi 9 à minuit : les bombardements à basse altitude ont repris sur le centre d’Afrin)
Sachant que les offensives turques et alliés djihadistes s’enlisent déjà devant la très forte résistance FDS à Afrin et ailleurs, et que le jeu diplomatique n’est pas favorable à Erdogan, toujours “ennemi officiel de Bachar”, on ne peut qu’interpréter les menaces des ministres turcs et d’Erdogan que comme une tentative de jouer sur les divergences d’orientation entre le Pentagone et le gouvernement Trump.
Les victimes civiles et les combattantEs tombées contre l’offensive “rameau d’olivier” apprécieront ces grandes manoeuvres…
Cet article ne peut éviter “l’hommage aux troupes et aux officiers”, très américain. Le côté “les américains sont partout chez eux” transpire à chaque ligne. Et les sous-entendus sur les différences possibles entre Arabes et Kurdes, concernant les combattants, visent à cacher l’embarras de la position américaine sur le “terrorisme du PKK”. Mais il en ressort que les militaires américains défendent là des intérêts qui sont stratégiques, et dépassent le simple cadre de respect d’une coalition. Les Etats-Unis jouent une carte face à l’omniprésence russe en Syrie et ne céderont pas face au pion Erdogan.
Cet article remontera sans doute le moral de ses lecteurEs américainEs démocrates et combattra la honte qui se faisait jour, face aux images de massacres d’Erdogan. En ce sens, c’est aussi une propagande bienvenue.
Les forces du Rojava ne doivent donc pas tourner le dos à ses “alliés”, qui demain, soyons en sûrs, exigeront des comptes à leur tour, vis à vis du mouvement kurde et de son projet politique.
La paix en Syrie n’est pas pour demain. Et la relance d’Erdogan donne alibi à tous d’avancer encore sur le chemin des impasses politiques ou des prétentions géostratégiques, et leur cortège de victimes et de réfugiéEs.
Mercredi, les soldats des Forces Spéciales américaines
arrivent à l’avant-poste sur la ligne de front en Syrie du nord.
Crédit Photo Mauricio Lima pour The New York Times
Publié le 7 février sur New York Times
Sur la ligne de front en Syrie du nord
les Etats-Unis et la Turquie se dirigent vers une confrontation tendue
Par Rod Norland
Correspondant et photographe du New York Times, voyageant avec des généraux américains en Syrie du nord, il a visité une ville où un conflit armé est dorénavant possible entre les Etats-Unis et la Turquie.
MANBIJ, Syrie — Deux généraux américains de haut rang sont venus sur la ligne de front à l’extérieur de Manbij ce mercredi, arborant des drapeaux américains surdimensionnés sur leurs véhicules, au cas où les forces pro-turcs juste au-delà du no man’s land, à cent mètres, ne réalisent pas de qui il s’agissait.
“Nous sommes fiers de nos positions ici, et nous tenons à ce que tout le monde le sache,” a dit le Major général Jamie Jarrard, commandant des opérations spéciales pour la coalition dirigée par les Etats-Unis en Iraq et en Syrie.
Si le message n’était pas clair pour la Turquie déjà, le commandant général de la coalition qui accompagnait le général General Jarrard, le Lt. Gen. Paul Funk, a été plus précis. “Si vous nous frappez, nous répondrons de façon aggressive. Nous nous défendrons.”
Le voyage était le premier de ce type sur le front en Syrie du nord par des officiers américains depuis que le président turc a menacé d’attaquer la ville de Manbij, la décrivant comme un bastion de terroristes et demandant aux forces américaines de l’évacuer.
Mais les américains ont refusé, créant le potentiel sans précédent d’un conflit armé entre deux alliés de l’OTAN, les Etats-Unis et la Turquie – dernière en date des retourvenments dans la guerre syrienne de 7 ans.
Cette partie du nord de la Syrie fut envahi par les militants de l’état islamique pour un temps. Les Etats-Unis et leurs alliés, des combattants kurdes syriens, ont collaboré pendant plus d’un an pour les en déloger.
Lt. Gen. Paul Funk, à gauche, parle à un soldat des Forces spéciales américaines, à l’avant-poste à Manbij.
Crédit Photo Mauricio Lima pour The New York Times
Mais au cours de cet effort, les Etats-Unis ont causé la colère de la Turquie, laquelle considère depuis longtemps les kurdes comme des ennemies. Maintenant, les turcs tournent leurs armes contre les kurdes, créant les conditions pour une bataille possible avec les américains.
Le général Funk portait un pistolet automatique en bandoulière sur sa veste. Alors qu’il se tenait debout sur le toit recouvert de sacs de sable, les trois étoiles sur son uniforme aurait été facilement visible avec des jumelles depuis le site des milices syriennes alignés avec la Turquie de l’autre côté de la ligne de front. Il était entouré de soldats des forces spéciales, et des combattants arabes et kurdes du Conseil militaire de Manbij, l’autorité gouvernmentale dans la région.
Les deux généraux sont arrivés au poste frontière à bord de véhicules non armés, entouré de plusieurs vehicules anti-mines, ainsi que des Land Cruisiers des soldats des forces spéciales, munis d’antennes, de pneus de rechange et de jerrycans sur leurs toits.
Manbij est la position la plus occidentale occupée par les américains alignés aux forces démocratiques syriennes des insurgés combattant l’état islamique.
Il n’est pas hors du commun de faire parade du drapeau américain dans cette ville. Les véhicules militaires américains arborent habituellement leurs drapeaux durant ce qu’ils appellent des patrouilles de désescalade à travers la ville et la province de Manbij. Les patrouilles sont si fréquentes que les enfants ont appris à reproduire le tortillement du pouce et du petit doigt popularisé par les soldats américains.
Des femmes revêtues du tchador sourient et saluent les convois de la main, et, selon les habitants, les soldats américains visitent même les bazars populeux à bord de véhicules non armés, se promenant à pied avec seulement leur arme personnel – un comportement inhabituel dans tout endroit à risque d’une attaque par l’armée islamique. “Je me sentirais très à l’aise n’importe où en Syrie du nord,” a dit le général Jarrard.
De la même façon, la relation entre les américains et le Conseil militaire de Manbij est cordiale et détendue, et les américains vantent ses efforts pour rétablir un gouvernement stable. Debout sur le toit en première ligne, le général Funk s’est adressé au commandant du conseil militaire Muhammed Abu Adel: “La défaite permanente de Daech est la mission la plus importante de ce groupe,” a‑t-il dit au commandant Adel, un kurde, bien que la majorité de ses combattants soient des arabes de la localité. “C’est entre vos mains maintenant, et vous faites du bon travail. Une seule équipe, le même combat.”
Le commandant Adel l’a remercié et il a dit qu’il espérait que la force de frappe aérienne des américains continuerait d’aider ses troupes. Le général ne lui a pas répondu directement.
Une convoi des Forces Spéciales américaines à l’extérieur de Manbij,
où les forces américaines soutiennent les combattantEs kurdes syrienNes.
Crédit Photo Mauricio Lima pour The New York Times
Le soutien américain à Manbij a alarmé la Turquie de façon toute particulière. Elle mène une campagne militaire pour reprendre la ville d’Afrin contrôlée par les kurdes à 80 kilomètres à l’ouest, tout en poursuivant une campagne de relations publiques particulièrement virulente afin de menacer Manbij et causer le départ des américains, afin que les milices syriennes alignées sur les forces turques puissent la reprendre des alliés kurdes des américains.
Marid, le président Recep Tayyip Erdogan de Turquie a à nouveau critiqué le soutien américain de Manbij. “Ils nous disent, ‘Ne venez pas à Manbij.’ Nous irons à Manbij afin de rendre ces territoires à leurs propriétaires légitimes” a déclaré Mr. Erdogan discours un discours devant son parti. Le vice-premier ministre est allé aussi loin que de suggérer que les troupes américaines à Manbij portent l’uniforme des forces kurdes de protection du peuple, YPG, déclarant qu’ils pourraient devenir des cibles de ce fait.
Les Y.P.G. dominent les zones kurdes du nord de la Syrie et constituent la composante principale des forces démocratiques syriennes, les alliés des américains dans la lutte contre l’état islamique, aussi connu sous ses acronymes de ISIS et Daech.
Mais, insistent les américians et les kurdes, à Manbij, le Conseil militaire de Manbij constitue la force défensive. Le conseil est un allié des forces démocratiques syriennes, mais il est indépendant et composé en majorité de combattants arabes.
Les turcs décrivent les YPG comme étant une version du parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, un groupe séparatiste considéré comme étant une organisation terroriste par les Etats-Unis et l’Europe.
“Si nous sommes des terroristes” a dit le commandant Adel durant la visite des généraux mercredi, “alors, d’accord, à ce compte-là, tous les pays membres de la coalition et ces soldats américains ici présents sont aussi des terroristes ?” La coalition anti-Daech menée par les américains comptent 70 pays parmi ses membres.
Les turcs disent que le conseil militaire de Manbij n’est qu’un déguisement des YPG. Les américains et les kurdes disent que le conseil est un allié des forces démocratiques syriennes dominées par les kurdes, mais que la plupart de ses combattants sont des arabes de la localité.
L’armée américaine a tenté de convaincre la Turquie que les forces de Manbij sont des alliés fiables, et importants dans la bataille contre Daech ailleurs. Auparavant, les américains organisaient des rencontres entre les officiers militaires turcs et ceux de Manbij pour tenter de les convaincre, mais ces rencontres ont cessé cette année. Le général Funk a dit que les turcs avaient refusé l’inviation à Manbij cette année.
Combattants du Conseil militaire de Manbij qui s’entretiennent près d’un groupe de soldats des forces spéciales américaines à l’avant-poste des lignes de front près de Manbij.
Crédit Photo Mauricio Lima pour The New York Times
Le mois dernier, le président Erdogan a fait montre de furie lorsque les américains ont annoncé qu’ils formaient une force de protection frontalière de 30,000 combattant dans la zone contrôlée par les kurdes, afin de combattre Daech à long terme, en utilisant les forces démocratiques syriennes. Le 20 janvier, les turcs ont répondu en lançant l’attaque contre Afrin, et menaçant de poursuivre au travers de la Syrie du nord. “Les Etats-Unis prétendent qu’ils ont nettoyé la Syrie de Daech,” a dit Mr. Erdogan mardi. “Alors pourquoi sont-ils [les américains] encore ici?”
Les américains disent que la bataille contre Daech est loin d’être terminée en Syrie, même si le groupe a été repoussé des zones urbaines telles que Manbij, que les américains et leurs alliés syriens ont libéré durant l’été 2016.
Les américains ont juré de demeurer à Manbij et de soutenir leurs alliés. Mais les forces américaines à Manbij ne comptent que quelques centaines de soldats parmi les quelques 2 000 combattants sur l’ensemble de la Syrie du nord, surtout des troupes des opérations spéciales. On estime le nombre des turcs et de leurs milices alliées, l’armée syrienne libre combattant autour d’Afrin, à quelques 20 000 au total. Les turcs et les américains ont tous deux des forces aériennes importantes dans la région.
Même si les turcs ne mettent pas leurs menaces à exécution, la bataille à Afrin a causé un tort indirect à la lutte contre Daech menée par les américains. Les forces syriennes démocratiques ayant déplacé des combattants vers Afrin, ils ont affaibli la campagne anti-Daech plus à l’est.
“Il est illogique que pendant que nous combattons Daech, l’ennemi mondial là-bas, les turcs nous attaquent à Afrin,” a dit Shervan Derwish, porte parole pour le conseil militaire de Manbij. “Nous avons dû minimiser notre lutte contre Daech, en réduisant nos forces là-bas afin de défendre Afrin.”
Le conseil militaire, soutenu par les troupes américaines des opérations spéciales et une couverture aérienne, ont vaincu Daech à Manbij en août 2016, pour ensuite établir un gouvernement administratif local qui contrôle la région depuis. “Avant notre arrivée, c’était l’autoroute des terroristes islamistes ici, en route pour leur califat physique partout dans le monde”, a dit le général Jarrard.
Le conseil demeure une partie importante de la lutte contre Daech, avec plusieurs de ses combattants aux côtés des forces américaines dans la partie est du pays, où se trouvent les dernières poches de contrôle de Daech.
Les décideurs politiques américains s’inquiètent au sujet du conflit à Afrin et des menaces contre Manbij, craignant une dégradation de leurs alliés kurdes et arabes.
“Je crois que notre préoccupation principale est que tout ce qui peut perturber la concentration de tous sur Daech et sur l’élimination complète de son caliphat physique – et nous en sommes proches, très proches – ce que personne n’aurait pu imaginer il y a un an – tout ce qui nous perturbe ou nous font quitter ce prix des yeux, n’est pas bon”, a dit le général Jarrard.
Le général Funk a dit que les américains préfèrent “maintenir leur concentration sur l’ennemi devant nous et le faucher – c’est beaucoup plus facile que de regarder dans plusieurs directions à la fois”.
À Manbij, l’inquitétude intitiale suite aux menaces turques s’est dissipée quand la campagne contre Afrin – que les turcs avaient juré d’envahie en quelques jours, s’est prolongé dans une troisième semaine.
Le gouvernement civil local est établi selon les principes du leader séparatiste kurde, Abdullah Ocalan, emprisonné en Turquie: une égalité imposée des femmes dans la vie civile et militaire, et un environementalisme radical.
Selon les turcs, les kurdes ont imposé un système de gouvernement à Manbij qui se s’accordent pas avec les valeurs conservatrices et traditionnelles de la société. Cependant, de leur côté, les militaires américains disent que les kurdes et leurs alliés ont réussi à amener la stabilité. “Il y a en plusieurs qui les mettent à égalité avec le PKK, mais je n’ai vu aucune indication de cela tout au long de ma relation avec eux,” a dit le général Jarrard.
Il ne fait pas de doute que la majorité des combattants de Manbij sont des arabes, mais leurs principaux leaders sont turcs avec une formation dans les YPG. Le leader du conseil militaire de Manbij, Muhammed Abu Adel, est Kurdish, tout comme Mr. Derwish, le porte parole influent du conseil, qui affiche une large photo d’ Abdullah Ocalan sur le mur dans son bureau.
“Ce qui m’apparaît étrange, c’est que la Turquie, en tant que membre de l’OTAN, nous fait la guerre au nom du jihad, mais nous ne sommes rien d’autres que des démocrates,” a dit Mr. Derwish. “Dans notre société, les femmes sont libres, nous avons l’égalité et la démocratie. Et c’est nous qu’ils veulent détruire.”
Le général Funk, un veteran de l’ Iraq et d’autres déploiements, dit que la Syrie a été “merveilleuse” en comparaison. “Les gens cherchent à retrouver leur vie normale”, a‑t-il dit. “Tant que les gens vont continuer à travailler ensemble sur ce gouvernement local et ce contrôle local, je vois de l’espoir.”
Translation by Renée Lucie Bourges
iknowiknowiknowblog.wordpress.com
Images dans l’article : depuis leur source sur New York Times
Translation by Renée Lucie Bourges
iknowiknowiknowblog.wordpress.com
On North Syria’s front line, the United States and Turkey eye one another Click to read