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Fatoş İrven, ou “İrwen” (avec l’orthographe kurde, tel qu’elle a l’habitude de l’utiliser), femme, kurde, enseignante et artiste a été jetée en prison suite à une décision du tribunal, sans preuves, et au titre de la loi “anti-terroriste”, bien sûr.
Nous soulignons toujours que Zehra Doğan, n’est pas la seule à subir ce sort en tant qu’artiste, et que si pour elle cela se double d’une accusation pour publication comme “journaliste”, le dénominateur commun sur le fond concerne pour toutes le statut de femme kurde libre et insoumise à l’Etat turc.
Lors de sa première incarcération à la prison de Mardin, Zehra Doğan avait rencontré elle aussi un fameux “témoin secret”. Une femme que l’on avait fait signer contre elle une déposition en blanc, après mauvais traitements. Fatoş İrwen est incarcérée aujourd’hui dans la même prison que Zehra. Elle sera donc privée, comme toutes les autres femmes de cette prison de “sécurité”, de tout matériel dit “de loisirs”.
Vecdi Erbay a rencontré Niyazi İrven, le frère de Fatoş. Voici la traduction de son interview publié le 20 septembre sur Gazete Duvar.
Vous trouverez, en fin d’article, également, un petit aperçu de différentes œuvres de Fatoş, que Kedistan tient à partager en soutien. Il s’agit d’une forme d’art conceptuel contemporain.
Fatoş İrven, artiste et enseignante s’est rendue le 9 septembre dernier à l’aéroport de Diyarbakır. Elle venait de passer les fêtes Kurban (Aïd) avec sa famille à Diyarbakır. Elle devait rentrer par l’avion du soir, à Istanbul, où elle vit depuis des années et travaille encore comme enseignante, dessine et participe à des expositions. Il restait peu de temps pour la reprise des activités scolaires, et les préparatifs d’une nouvelle exposition l’attendaient.
A l’aéroport, avant de prendre l’avion, elle a présenté sa carte d’identité au policier. Elle s’attendait à ce que celui ci y jette un coup d’oeil, et qu’il lui tende pour la rendre. Mais le policier a dit : “Par ici… Il y a un ordre d’arrestation à votre encontre.”
“Quand Fatoş m’a appelé, il était autour de 21h” exprime son frère Niyazi İrven en parlant de cette soirée. “Fatoş m’a dit au téléphone, ‘ils me gardent, venez cherchez mes affaires’. Nous sommes allés en urgence à l’aéroport. Les policiers ne nous ont pas informés du pourquoi ils avaient pris Fatoş, mais ils nous ont permis de parler avec elle. Fatoş non plus, ne savait pas pourquoi elle était arrêtée. Ensuite, ils l’ont emmenée au commissariat. Pendant que nous essayions de trouver où elle était amenée, Fatoş nous a appelé à nouveau : ‘il m’emmènent en prison” nous a‑t-elle annoncé. Nous étions étonnés, nous ne comprenions pas ce qui se passait, les avocats non plus.”
Nous discutons avec Niyazi İrven, de l’arrestation de Fatoş, dans un café. Je lui demande “Vous n’avez pas pensé du tout au procès ouvert en 2013 ?”. “Non répond-il, ni Fatoş, ni nous n’avons pensé au fait qu’elle serait recherchée en liaison avec ce procès.”
En plein milieu d’un affrontement…
Selon les propos de Niyazi İrven, Fatoş İrven, en 2013, pour un problème de santé oculaire était allée à un hôpital se trouvant à Dağkapı. Sur la route de retour, le bus qu’elle avait pris, s’est retrouvé au milieu d’un affrontement entre la police et des manifestants. Le chauffeur de bus, ouvrit alors les portes et demanda aux voyageurEs de descendre, en disant “Je ne peux plus avancer au-delà”.
Fatoş İrven et tous les voyageurEs sont descendus du bus. La police est intervenue avec usage de gaz et canons à eau, et a arrêté de nombreuses personnes. Fatoş İrven en faisait partie. Niyazi, précise “Fatoş est restée alors deux ou trois jours en garde-à-vue.”
Fatoş İrven fut relâchée quelques jours après, mais un procès resta ouvert à son encontre. Elle fut accusée de “résistance contre la police, opposition à la loi sur les manifestations et rassemblements, propagande pour organisation terroriste, appartenance à une organisation terroriste”.
Peu de temps après, ayant vécu une en garde-à-vue, elle fut suspendue de ses fonctions. Elle ne pu retrouver son travail que cinq mois plus tard. Fatoş enseignant à Istanbul, ce procès ouvert à Diyarbakır fut alors suivi par ses avocatEs sur place.
Seule artiste dans une famille nombreuse
Fatoş İrven, que son frère Niyazi décrit comme “elle aimait beaucoup son travail et ses élèves”, est née dans le quartier Sûr de Diyarbakır (Amed). Elle a grandi dans une famille nombreuse, et elle a passé toute son enfance et sa jeunesse dans le quartier Melik Ahmet.
Son intérêt pour la peinture, entrouvre pour Fatoş, les portes de la section de dessin de l’Université de Dicle. Après avoir obtenu son diplôme, elle est affectée à Batman. Elle travaille quelques années à Batman, puis elle demande son affectation à Diyarbakır. Ensuite, sa passion la fait déménager à Istanbul, la capitale de l’Art. Elle est admise dans les milieux artistiques et elle participe à de nombreuses expositions dans les pays étrangers.
Niyazi İrven, “Fatoş est une amoureuse de la peinture” raconte-il, “Elle disait à la maison, ‘s’il y a un incendie un jour, sauvez d’abord mes œuvres et mon matériel’. Personne dans la famille, n’a pu la dissuader de peindre. Mon père fut pour elle d’un grand soutien moral et financier. Il taquinait parfois Fatoş, en lui disant ’ tes œuvres qui vont nous rendre riches’.”
Niyazi affirme qu’il aime particulièrement certaines œuvres de Fatoş et explique l’attachement de sa sœur aux arts plastiques, “J’aimais beaucoup quelques une de ses œuvres. J’ai beaucoup insisté mais elle ne me les a pas données. Elle disait, ‘Ces œuvres n’ont pas été faites pour rester prisonnières des maisons. Je veux qu’elles soient exposées et vues dans des salles d’exposition’ et elle voulait que l’Art puisse être atteint par tout le monde.”
Déposition de témoin secret
Avec Niyazi İrven, nous retournons au sujet du procès qui s’est terminé avec la condamnation de sa sœur. En parlant de ce sujet, son expression change. Son visage souriant, en parlant de l’enfance, le travail d’enseignant et d’artiste de Fatoş, dès qu’on aborde sa condamnation, s’obscurcit. “Ma sœur a subi une injustice, mais nous ne savons pas à qui, ni comment en parler” dit-il.
Il dit qu’il y aurait eu une déposition de “témoignage secret” contre Fatoş İrven, et il continue “Le témoin secret aurait déclaré à la police qu’elle jetait des pierres sur les policiers. Le juge aurait demandé des preuves, photographies, vidéos, tout ce qu’on peut trouver. Il n’y eu rien de tout cela. Malgré cela, ils ont condamné une enseignante, une artiste, sur une déclaration d’un témoin secret. Ce tribunal a décidé cela. Disons que c’est possible. Comment se fait-il que la Cour de cassation puisse confirmer une condamnation qui ne s’appuie sur aucun délit prouvé ?”
Ils [la famille, les avocatEs] se préparent maintenant à solliciter le Tribunal constitutionnel. Niyazi İrven n’a pas d’espoir dans le fonctionnement des institutions judiciaires. “Avant qu’elles ne traitent le dossier de ma sœur, des années se passeront, et peut être que d’ici là, elle sera même sortie.”
Niyazi İrven a rendu visite à Fatoş, la semaine dernière, à la prison de Diyarbakır, “Son moral est bon, mais le fait de savoir qu’elle fera de la prison pour rien l’ennuie.” dit-il.
Je demande à Niyazi İrven “A‑t-elle commencé à peindre en prison ?” Pour faire entrer du matériel de dessin, il faut faire une requête auprès de l’administration de la prison. Niyazi répond “On saura dans les jours à venir. Fatoş ne pourra pas rester sans peindre. J’espère qu’il n’y aura pas de problème et qu’ils l’autoriseront à peindre”. Il ajoute qu’il lui a apporté dans sa dernière visite, des papiers blancs, “Au moins elle peut dessiner au crayon, pour s’occuper”.
Niyazi İrven annonce également, que les œuvres de Fatoş, qui ont déjà été exposées dans les pays européens, notamment en Italie et en Allemagne, seront bientôt dans une nouvelle exposition mixte. Celle-ci est prévue pour le mois de septembre à Istanbul, dans la galerie TÜYAP. “Ses amiEs nous ont appelé et nous ont fait part de leur souhait d’exposer les œuvres de Fatoş au TÜYAP. Nous avons, bien sûr, dit oui. Fatoş l’aimerait aussi.”
Fatoş İrven, enseignante et artiste sera emprisonnée, en tenant compte des aménagements de peine, environ 2 ans. Sans qu’il y ait une quelconque preuve de crime, juste sur une déposition d’un témoin tenu secret.
En soutien à Fatoş…
Quelques-unes de ses œuvres…
• Exposition mixte “Post-Peace”
24 février — 7 mai 2017 • Wüstem bergischer Kunst (WKV) — Stuttgart
“Kırk Kere Söylersen…” (“If You Say It Forty Times…”, “Si tu le dis quarante fois…”)
2017 | HD video | 5′05″ | En turc, avec sous titrages en anglais
Son : Sergio González Cuervo | Traduction : Aslı Özgen Tuncer, Sevil Tunaboylu, Fatoş İrven | Titres : Selj & Sinan
• Exposition mixte “Bize Ait Bir Oda” (Référence à “Une chambre à soi” deVirginia Woolf )
Mai 2017 • Ark Kültür — Istanbul
“Göç Çiçekleri” (Les fleurs d’exil)
• Exposition mixte “Hayat Normale Dönüyor” (La vie redevient normale)
Janvier/février 2016 • Beyoğlu Stüdyo Açık — Istanbul
Fatoş İrwen participe à l’événement avec une vidéo filmée d’une performance, dans laquelle elle brode ses paumes :
“Nous devons d’abord libérer nos mains… Nous pouvons à nouveau broder la Terre avec nos mains libérées. La réponse que nous donnerons depuis la Terre, au pouvoir qui se place dans les cieux, et qui prétend venir des cieux, doit être nos mains.”
…et la vidéo se trouve ici
• Exposition mixte “Yeryüzünün Sınırları” (Les frontières de la Terre)
Février 2016 • Karşı Sanat, Istanbul
Une photo de la performance de Fatoş, intitulée “Tuz” (Sel)
• Exposition mixte, “EVvel Mekan içinde” (Il était un lieu/maison)
Le 28 janvier 2011 • Dans une maison habitée…
“Kapı Aralığı” (Entrebaillement de porte)
Dans cette initiative collective à laquelle de nombreux-ses artistes ont pris part, la performance de Fatoş İrven, a attiré beaucoup l’attention. Pour cette performance, l’artiste s’habillait, se préparait, se maquillait, dans une chambre à coucher obscure, dont la porte était entre-ouverte. Une mise en situation de voyeurisme pour les spectateurs/trices, dont les réactions et l’étonnement servaient de jauge, pour mesurer l’importance de l’intimité.
“DarkDeep” par Fatoş İrwen