Le même reportage sur unE réfugiéE pour­rait être réal­isé dans des cen­tres d’ac­cueil pro­vi­soires, dans la rue, ou sur des “jun­gles” improb­a­bles… ici en Europe. Dans le con­texte du sem­blant d’ac­cueil européen, la ques­tion des enfants est encore différente.

Soit ils ont dis­parus par mil­liers, en mer, sur la route, et les chiffres sont effarants. Soit ils (des garçons majori­taire­ment) se retrou­vent mineurs isolés en errance, ou proie, pour elles, de trafics…

Pour les par­ti­sans de la solu­tion de “l’héberge­ment sur place” des réfugiéEs de guerre, comme solu­tion qui répond au “pas de ça chez nous”, voici une illus­tra­tion des résultats…


Alors que nous venions en Jor­danie, j’ai vu un vieil homme. Il était mort. Son fils était mort aussi.
Quand nous n’avions pas d’eau, je pen­sais que nous seri­ons enter­rés dans le sol comme eux. J’avais si peur”

Cette jeune fille de Hama, dans le cen­tre de la Syrie, onze ans — racon­te calme­ment son temps dans le “désert” — un terre-à-terre aride entre la Syrie et la Jordanie.

Nous n’avions rien à manger pen­dant une semaine, juste un peu de pain dur et de tomates pour­ries. Ma mère nous en a don­né un peu tous les jours. Comme nous n’avions pas d’eau, je pen­sais que nous allions mourir comme le vieil homme “, explique-t-elle, à l’in­térieur d’un camp surpe­u­plé d’Azraq, près d’Am­man en Jor­danie, où s’en­tassent plus de 35 000 réfugiés syriens.

Pour Zeinah, c’é­tait la troisième fois dans sa courte vie, qu’elle pen­sait qu’elle allait mourir.

La pre­mière fois, ce fut lorsque des hommes avec des armes à feu sont venus chez elle et qu’ils ont emmené son oncle.
“C’é­tait le Ramadan. Quand j’ai enten­du que nous pou­vions manger, j’é­tais telle­ment heureuse. Ensuite, beau­coup d’hommes por­tant des fusils sont venus chez moi et ont essayé de pren­dre mon oncle. Il y avait des armes partout. Ils m’ont poussée, comme ma mère, et j’ai essayé de me réfugi­er vers ma tante. Ensuite, les hommes avec des armes à feu se sont répan­dus dans notre quartier.”

La mère de Zeinah écoute atten­tive­ment. Elle s’in­quiète de sa fille depuis le jour où ils ont bom­bardé l’école.

Nous avons enten­du des bombes près de l’é­cole, puis des coups de feu. Les enseignants devaient garder les enfants dans la cour, ils ne pou­vaient pas les ramen­er à la mai­son. Nous avons dû atten­dre des heures pour voir nos enfants”, dit-elle en regar­dant fix­e­ment au sol.
La jeune fille aux yeux bleus aime regarder les grandes filles et jouer avec ses poupées.

Elle dit qu’elle ne veut plus jamais enten­dre le bruit des tirs, mais pour les jeunes filles qui vivent dans les camps de réfugiés, en plein essor en Jor­danie, un nou­veau dan­ger menace.

Selon les sta­tis­tiques pub­liées par “Plan Inter­na­tion­al Ire­land”, toutes les deux sec­on­des, une jeune fille comme Zeinah est for­cée au mariage, comme d’autres enfants à tra­vers le monde.

En Turquie, au Liban et en Jor­danie, des mil­liers de jeunes filles se mari­ent et devi­en­nent mères avant d’ar­riv­er à leur quinz­ième anniversaire.
Les jeunes filles qui s’oc­cu­pent des cica­tri­ces psy­chologiques de la guerre civile syri­enne lut­tent main­tenant pour faire face à la mater­nité dans des camps de réfugiés bondés où les normes cul­turelles et les préoc­cu­pa­tions économiques ont abouti à ce que les tra­vailleurs human­i­taires appel­lent main­tenant “une épidémie de mariages d’enfants”.

Col­in Lee, directeur du pro­gramme Moyen-Ori­ent de “Plan Inter­na­tion­al”, est orig­i­naire de Droghe­da, en Jor­danie. Il tente d’empêcher les jeunes filles de se mari­er avec des hommes jusqu’à trois fois leur âge.
“Le niveau de la dette par­mi les familles syri­ennes est énorme. Cela a mené à beau­coup de prob­lèmes, y com­pris le mariage des enfants et le tra­vail des enfants “, déclare-t-il.
“La ten­dance a aug­men­té dans la région, mais la sit­u­a­tion économique est dés­espérée. Lorsque vous êtes là depuis cinq ou six ans, l’aide human­i­taire se ter­mine. Il n’y a pas beau­coup d’op­tions ouvertes aux familles. Il devient un mécan­isme d’adap­ta­tion et il est hor­ri­ble que les gens l’u­tilisent”. Il explique avoir sou­vent plaidé la cause de la bataille human­i­taire con­tin­ue néces­saire pour sauver les filles per­dues de Syrie.

Sara avait 15 ans quand elle s’est mar­iée. Main­tenant, mère de deux garçons, l’en­fant de 22 ans pour­rait être con­fon­due avec la sœur aînée de ses fils. Sara a déclaré que la pres­sion de la famille l’avait amenée à per­dre son enfance.

Un ami de ma tante voulait une femme pour son fils. À l’o­rig­ine, ils allaient épouser ma sœur aînée, mais c’est alors qu’ils m’ont choisie. Je ne sais pas pourquoi. J’avais seule­ment 15 ans et il avait 22 ans. Tout le monde me dis­ait qu’il était un homme bon et qu’il tra­vail­lait dur”, a‑t-elle déclaré dans un cen­tre de “Plan” pour les réfugiés à East Amman.
Etu­di­ante de 15 ans (en deux­ième année d’é­tudes) , Sara déclare qu’elle était l’une des dernières filles de sa classe, mais qu’elle prévoy­ait d’aller jusqu’à la neu­vième (troisième année).
“En Syrie, ils veu­lent que les filles épousent les jeunes. Les hommes préfèrent pren­dre une jeune fille afin qu’ils puis­sent l’élever et l’en­traîn­er pour être ce qu’ils veu­lent. Je devais arrêter d’aller à l’é­cole. Je voulais ter­min­er la 9ème année, mais mon mari a dit non. Il m’a retiré mon télé­phone mobile. Je n’avais pas de télé­phone pen­dant sept ans.”
La colère de Sara face à sa sit­u­a­tion est vis­i­ble, alors qu’elle écarte le fils qui a du mal à sor­tir de ses bras. Para­doxale­ment, c’est l’en­fant qu’elle désir­ait dés­espéré­ment après trois ans de mariage.
“Je suis allée chez le médecin alors que je n’é­tais pas enceinte. Ce sont nos tra­di­tions, et je savais que ce serait ma vie. Je savais que je devais avoir un enfant. Ma famille a déclaré que je ne pou­vais pas con­tin­uer l’é­cole, de même que mon mari. Je devais accepter cela, mais je ne savais pas com­bi­en ce serait dif­fi­cile. Quand j’avais mon bébé et qu’il pleu­rait, je ne savais pas quoi faire. Je pleu­rai avec lui. Je me sen­tais sans espoir. C’é­taient les enfants qui éle­vaient des enfants.”

Comme Sara, Nour s’est mar­ié quand elle était en huitième année. Le jeune homme de 21 ans a fui la Syrie, avec son épouse, enceinte de sept mois, et son enfant le plus âgé. La mère des deux enfants paraît beau­coup plus jeune que son âge, et par­le timide­ment en expli­quant son tra­vail en tant que jeune tra­vailleuse dans le camp.
“En Syrie, je n’ai pas tra­vail­lé. Les femmes n’ont pas tra­vail­lé, elles se sont mar­iées et ont des enfants, mais j’aime tra­vailler. Par­fois, c’est dif­fi­cile mais ça me fait du bien. J’ai enduré beau­coup, donc je peux tra­vailler dur. J’ai marché dans le désert pen­dant neuf heures sans nour­ri­t­ure ni eau quand j’é­tais enceinte. Je pen­sais que j’al­lais mourir. À bien des égards, je suis con­tente de vivre.”
Nour rêve du jour où ils pour­ront quit­ter le camp et avoir une vie nor­male. “J’aimerais avoir une seule occa­sion pour moi et pour ma famille. Je n’ai pas eu de lib­erté de déci­sion, j’ai man­qué mon édu­ca­tion. Je ne lais­serai pas vivre ma fille de la même manière”, a t‑elle dit.

Dans l’aire de jeu aux couleurs vives de “Plan”, Zeinah joue avec ses amis dans le jardin, incon­sciente de ce que l’avenir pour­rait apporter. Sa famille a eu des dif­fi­cultés finan­cières depuis qu’ils ont quit­té la Syrie et un mariage de leur fille pour­rait sig­ni­fi­er fournir une dot. Dans leur esprit, l’idée que cela pour­rait leur apporter une pro­tec­tion con­tre les vio­lences sex­uelles se répand dans les camps.
“Plus de 75% de tous les réfugiés syriens sont des femmes, qui ont per­du leur prin­ci­pal revenu en rai­son de la guerre. Les gens subis­sent beau­coup de pres­sion finan­cière et beau­coup voient le mariage des enfants comme un moyen de pro­téger leurs filles, alors que la guerre con­tin­ue de per­turber les moyens de sub­sis­tance et que l’in­cer­ti­tude règne”, explique Cia­ra Jor­dan de Plan Ireland.

Pour Sara, se mari­er à 15 ans la dépouil­lait de ses choix et de ses chances pour un avenir meilleur. Elle aime ses enfants, mais se sent comme si sa jeunesse lui avait été volée. Alors que son fils pleure, elle se moque de sa situation.

J’é­tais un morceau de papi­er blanc vierge, mais alors j’ai été frois­sé et jeté dans la poubelle”

Depuis la sec­onde Guerre mon­di­ale, le monde n’a jamais fait face à telle crise des réfugiés : il y a plus de per­son­nes en déplace­ment aujour­d’hui que jamais. Mais der­rière ces chiffres fig­urent des femmes, des hommes et des enfants.

Les femmes et les enfants ont 14 fois plus de chances de mourir dans une crise human­i­taire qu’un adulte.

Chaque année, des mil­lions de filles à tra­vers le monde sont for­cées à se mari­er avec des hommes, par­fois deux ou trois fois leur âge. Et cela aug­mente con­sid­érable­ment en rai­son de la migra­tion mas­sive, dans le monde entier.

Nor­ma Costello

 
Traduit à par­tir d’un arti­cle de la jour­nal­iste Nor­ma Costel­lo,  pub­lié en anglais, dans les pages du jour­nal Gazete Şûjin

Nous avons pen­sé qu’une tra­duc­tion fran­coph­o­ne était indispensable.

Vis­itez son site per­son­nel, vous en con­naîtrez davan­tage sur elle et ses engagements.


La France entre autres pays d’Eu­rope par­le de “crise des migrants”, d’in­va­sion par les “réfugiés”, et des plateaux télé s’in­vec­tivent à coup de chiffres qui, com­parés à ceux des régions du Moyen Ori­ent où s’en­tasse la mis­ère des guer­res, sont grotesques. Les accords con­clus avec la Turquie por­tent leurs fruits empoi­son­nés, et les noy­ades aug­mentent en Méditer­ranée depuis 2017, tout comme les crimes con­tre les humains qui se cachent der­rière la façade lybi­enne. Quelques mil­liers de “migrants” devi­en­nent une mon­tagne insur­montable, tant le mot “accueil” brûle les lèvres.

Les réfugiéEs, mau­vaise con­science des géo-poli­tiques européennes et inter­na­tionales, ont des his­toires humaines que beau­coup s’évertuent à faire oubli­er. Et les “pal­abres” entre laïcs ortho­dox­es, posi­tifs ou xéno­phobes ont belle allure lorsqu’elles con­tribuent à ré-hauss­er les murs de l’Eu­rope, que ne pour­ront franchir désor­mais ces enfants réfugiéEs…


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