Plus que jamais, il nous faut d’ur­gence des ren­con­tres, débats et pro­jets com­muns réu­nis­sant les opposants aux gou­verne­ments belliqueux et hyper-mil­i­taristes au Moyen-Orient. 

En Israël comme en Turquie, il est urgent de soutenir les opposants qui sont les seuls à pou­voir pos­er les bases d’une paix démoc­ra­tique dans la région.


Revenant d’un voy­age en Israël et en Pales­tine, on ne peut que partager le dés­espoir des Pales­tiniens et le décourage­ment des opposants israéliens de gauche devant cette poli­tique mono­lithique du gou­verne­ment de Netanyahu (et de ces prédécesseurs) à main­tenir cette occu­pa­tion aus­si cru­elle qu’in­sen­sée des ter­ri­toires pales­tiniens au nom d’un principe de défense, légitimé spir­ituelle­ment (sinon his­torique­ment) par une folle vision mystico-religieuse.

En France, peut-être plus qu’ailleurs, le sou­tien de la Pales­tine est ancré dans les mœurs de toutes les gauch­es ain­si que la bien-pen­sance bobo, ce qui fait qu’on est plutôt bien vu à Ramal­lah. Com­ment cette sym­pa­thie s’ex­prime-t-elle ? Par des man­i­fes­ta­tions sujettes à des déra­pages, des ren­con­tres entre adhérents d’a­vance d’ac­cord entre eux, un boy­cott sélec­tif des pro­duits israéliens, (non au hou­mous de super­marché, oui aux muni­tions, à l’élec­tron­ique). Le BDS , force est de con­stater, ne sem­ble ni avoir appau­vri Israël, ni assisté les Pales­tiniens. Ajouter à cela des col­lo­ques ou meet­ings sou­vent mal pré­parés qui se ter­mi­nent en échanges d’in­sultes, par manque de débat réelle­ment con­tra­dic­toire où des argu­ments opposés auraient dû se con­fron­ter dans une écoute respectueuse. Une sim­pli­fi­ca­tion imbé­cile voudrait con­sid­ér­er Israël en dou­ble de l’Afrique du Sud, mais Mah­moud Abbas n’a rien d’un Man­dela, le Hamas et le Hezbol­lah ne sauraient se com­par­er à l’ANC. De plus, dans la moin­dre alter­ca­tion, on bute fatale­ment sur l’as­so­ci­a­tion anti­sion­isme- anti­sémitisme que craig­nent tant les insti­tu­tions juives offi­cielles telles que le CRIF, mais qui finit par avoir une réal­ité auprès de cer­tains pas­sion­nés qui repren­nent, sans s’en ren­dre compte, des argu­ments anciens du com­plot juif mon­di­al tiré du célèbre faux rédigé par l’Okhrana, les ser­vices secrets de la Russie tsariste en 1901, Les Pro­to­coles des Sages de Sion, par ailleurs traduits en arabe et sou­vent con­sid­érés comme authen­tiques. La réac­tion à toute attaque visant le peu­ple israélien est pour­tant trop sou­vent assim­ilée par des politi­ciens à une nou­velle ten­ta­tion d’ex­ter­mi­na­tion totale. Peut-on par­ler, comme l’a fait l’his­to­rien améri­cain Nor­man Finkel­stein con­tro­ver­sé, d’une cer­taine exploita­tion de la Shoah comme arme idéologique autorisant des abus préven­tifs con­tre les Pales­tiniens con­sid­érés une men­ace per­pétuelle ? En tout cas, des sur­vivants de la Shoah ont man­i­festé con­tre de pareilles manip­u­la­tions au moment de la cam­pagne con­tre Gaza.

Et pour­tant, ce n’est pas en Pales­tine que l’on ren­con­tre de pareilles man­i­fes­ta­tions anti-juives, même si cet apartheid entre pop­u­la­tions pales­tini­ennes de la Cisjor­danie occupée et Israël fait de sorte que les seuls Juifs que les pre­mières ren­con­trent sont des mil­i­taires ultra-armés et ceux qu’ils pro­tè­gent, des colons religieux, vivant dans un con­fort incon­nu de l’autre côté. Et quelques intellectuel.l.e.s juifs de la dias­po­ra venus man­i­fester leur sou­tien. Idem pour les jeunes soldat.e.s israéliens effec­tu­ant leur ser­vice mil­i­taire : pen­dant trois ans de leur vie (deux pour les filles), les Pales­tiniens sont présen­tés comme l’en­ne­mi irré­ductible, la men­ace per­ma­nente avec lesquels toute dis­cus­sion est impos­si­ble. Une issue est-elle même imaginable ?

Empor­tant avec moi l’ex­cel­lent essai d’Anne Brunswic Bien­v­enue en Pales­tine, chroniques d’une sai­son à Ramal­lah, force est de con­stater que la sit­u­a­tion n’a pas changé depuis sa paru­tion en 2004, si ce n’est que le dés­espoir et l’ex­as­péra­tion n’ont fait qu’empirer et s’ex­ac­er­ber. De plus, les Israéliens ne peu­vent plus se ren­dre en Cisjor­danie, ce qui les prive d’une expéri­ence en direct des douloureuses injus­tices du quo­ti­di­en, en par­ti­c­uli­er des innom­ma­bles check points, où règne l’ar­bi­traire dans toute sa féroc­ité, même si ces réal­ités sont acces­si­bles dans un bon nom­bre de films israéliens et médias locaux nulle­ment cen­surés. Il est facile d’ou­bli­er la guerre dans un de ces restau­rants bondés en bord de mer  à Jaf­fa. Rien de plus dif­férent que l’am­biance sor­dide de la Cisjor­danie occupée, cernée de tout côté par des murs de béton, des miradors, les bâtiss­es pro­prettes des colonies, fournies, elles, en per­ma­nence en eau et élec­tric­ité. Entre la perte de con­fi­ance totale envers l’Au­torité Pales­tini­enne de Mah­moud Abbas, perçu comme un régime façon Vichy, de plus cor­rompu jusqu’à la moelle, un sou­tien mit­igé à Hamas et le refus endur­ci de tout ce qui vient d’Is­raël, la sit­u­a­tion est réelle­ment désolante, mais aus­si explo­sive. Les Israéliens bercés au cre­do sion­iste ultra­na­tion­al­iste, fausse­ment ras­surés par le blindage mil­i­taire sécu­ri­taire, peu­vent se bouch­er les oreilles et se ban­der les yeux, ils vivent à côté d’une bombe à retardement.

En vue de l’in­ef­fi­cac­ité des réac­tions européennes finale­ment gen­til­lettes, dont le boy­cott BDS sem­ble être le plus vir­u­lent, faut-il se résign­er à atten­dre le pire, autrement dit l’ex­plo­sion sous forme d’une guerre encore plus vio­lente que les précé­dentes qui entraîn­erait le reste de la planète dans son sil­lage ? Il n’est pas sûr que la pop­u­la­tion pales­tini­enne démoc­ra­tique en sorte gagnante.

Les solu­tions ne vien­dront pas de l’ex­térieur : c’est aux Pales­tiniens de décider de leur sort, en dehors de l’ingérence néo-colo­niale des grandes puis­sances. Il en est de même pour la pop­u­la­tion israéli­enne dont il faut aider et encour­ager les opposants aux gou­verne­ments au pou­voir, d’au­tant qu’ils sont les seuls à dia­loguer avec les Pales­tiniens. Ces con­tes­tataires, qui certes ne con­stituent qu’une minorité, sont en par­tie représen­tés à la Knes­set par un petit par­ti poli­tique d’ex­trême gauche, Meretz. Créess dans le sil­lage des ONG d’op­po­si­tion con­nues et déjà anci­ennes comme La Paix Main­tenant, ou Femmes en Noir,  il existe actuelle­ment une foule d’as­so­ci­a­tions citoyennes et mil­i­tantes très actives, et au moins une uni­ver­sité où de véri­ta­bles dis­cus­sions sur les sujets les plus épineux sont non seule­ment pos­si­bles, mais encour­agées, l’u­ni­ver­sité Ben-Guri­on à Beer­she­va. Entre autres, B’T­se­lem , cen­tre unique d’in­for­ma­tion sur les droits humains dans les ter­ri­toires occupés, Break­ing the Silence , une organ­i­sa­tion de vétérans de l’ar­mée israéli­enne qui témoignent con­tre l’oc­cu­pa­tion, the Par­ents’ Cir­cle qui réu­nit des familles pales­tini­ennes et israéli­ennes ayant per­du des enfants, Com­bat­ants for Peace qui rassem­ble des anciens com­bat­tants israéliens et pales­tiniens, y com­pris dans des actions de non-vio­lence telles que le camp col­lec­tif de Sumud, démoli par l’ar­mée israéli­enne. Ce sont ces opposants qui se sont érigés courageuse­ment con­tre le raz de marée nation­al­iste haineux lors de la ‘Journée de Jérusalem’ de la semaine dernière qui célébrait le cinquan­te­naire de la con­quête de la ville dite sainte, à la suite de la Guerre des Six Jours de 1967.

Ces groupes sont unis par des reven­di­ca­tions qua­si­ment con­sen­suelles : retour aux fron­tières d’a­vant 1967, déman­tèle­ment de toutes les colonies, la vieille ville de Jérusalem ren­due à un futur état pales­tinien, droit de retour sym­bol­ique des Pales­tiniens, au moins une com­pen­sa­tion pour la perte des ter­ri­toires et recon­nais­sance de la respon­s­abil­ité d’Is­raël. Un bon nom­bre d’en­tre eux s’in­sur­gent con­tre le cadre théocra­tique sur lequel le pays est fondé (comme l’I­ran d’ailleurs) et ques­tion­nent la légitim­ité du pro­jet sion­iste lui-même. Certes, il y a des con­tra­dic­tions, des inco­hérences, trahissant des restes, par­fois, d’une men­tal­ité néo-colo­niale en objec­ti­vant l’autre, mais c’est juste­ment une rai­son pour encour­ager le débat, l’au­to-cri­tique et un lien act­if avec des mil­i­tants pales­tiniens alliés, œuvrant dans la même direction.

Pour soutenir effi­cace­ment le peu­ple pales­tinien, il faut con­tribuer à démon­ter les rouages de leur oppres­sion en agis­sant aux côtés de ceux qui l’op­posent de l’in­térieur, à savoir dans le pays colonisa­teur, même si ceux-ci ne con­stituent qu’une petite minorité de la pop­u­la­tion. Ce n’est pas pour rien qu’Er­do­gan se soit débar­rassé en pri­or­ité de son oppo­si­tion en Turquie.

En Israël, la solu­tion de deux états fait ici con­sen­sus chez les opposants, mais aus­si de plus en plus dans la pop­u­la­tion, lasse des décen­nies de guerre et d’in­sécu­rité. Pour cer­tains, le déséquili­bre évi­dent de cette propo­si­tion doit n’en faire qu’une mesure tem­po­raire en atten­dant, à long terme, la créa­tion d’un seul état israé­lo-pales­tinien. Pour d’autres, les haines accu­mulées ne mèn­eraient qu’à une guerre civile des plus féro­ces, comme au Liban en pire .

En tous cas, la solu­tion ne se trou­ve ni dans la destruc­tion de l’É­tat d’Is­raël ni dans le refus d’une patrie pales­tini­enne. Dans un cas comme dans l’autre, presque trois généra­tions ont gran­di avec une notion iden­ti­taire qui s’est aigu­isée au cours des années, à savoir l’ap­par­te­nance à une his­toire nationale et un des­tin per­son­nel qui s’ex­pri­ment par une appar­te­nance col­lec­tive. Mais com­ment réc­on­cili­er ces his­toires croisées sans tomber dans le tra­vers du mil­i­tan­tisme nation­al­iste et guer­ri­er, ques­tion que se posait déjà autre­fois le grand his­to­rien pales­tinien, Edward Saïd. Le nation­al­isme est dev­enue une option per­son­nelle aujour­d’hui chez tant de jeunes, y com­pris en Europe de l’Est et au Moyen-Ori­ent, ce qui sert à nor­malis­er l’in­tolérance et une réécri­t­ure oppor­tuniste du passé.

La sit­u­a­tion israé­lo-pales­tini­enne n’est pas sans rap­pel­er celle de la Turquie, même si les dra­peaux turcs déco­rant des échoppes de Ramal­lah (à cause du sou­tien apporté par Erdo­gan au Hamas) trahissent une absence de prise con­science com­par­a­tive : les Kur­des à l’heure actuelle vivent une sit­u­a­tion qui invite une com­para­i­son avec celle des Pales­tiniens, et le com­porte­ment de Netanyahu, toutes pro­por­tions gardées, se rap­proche par cer­tains aspects de celui Erdo­gan, devenu aujour­d’hui dic­ta­teur nation­al­iste, s’ap­puyant sur la reli­gion. D’un côté comme de l’autre, l’op­po­si­tion laïque est dis­créditée  et en Turquie, pire encore, sys­té­ma­tique­ment per­sé­cutée et empris­on­née, en par­ti­c­uli­er le HDP pro-Kurde qui réu­nit les suf­frages des minorités turques, y com­pris les Arméniens et les Juifs. En Turquie, tout ves­tige d’un état démoc­ra­tique a dis­paru à par­tir de la lev­ée de l’im­mu­nité par­lemen­taire des députés visés par des procé­dures judi­ci­aires, en par­ti­c­uli­er celles con­cer­nant le sou­tien au PKK et aux groupes pro-kurdes

Israël a fail­li con­naître un sort com­pa­ra­ble quand les par­tis de droite ont voulu lever l’im­mu­nité des par­lemen­taires arabes.  La mesure a été stop­pée et il reste encore, pour le moment, un espace démoc­ra­tique en Israël, unique dans la région, dont il faut prof­iter pour soutenir les opposants et les con­tes­tataires avant qu’ils ne soient élim­inés pour laiss­er le champ libre à la dom­i­na­tion totale d’une droite répres­sive, ultra-militarisée.

Plus que jamais, des ren­con­tres, débats, col­lo­ques et pro­jets com­muns réu­nis­sant Pales­tiniens et Israéliens de gauche sont urgents pour con­tr­er les vel­léités d’un gou­verne­ment en train de vir­er à l’ex­trémisme. Tout comme ceux qui se tien­nent actuelle­ment avec des dis­si­dents turcs exilés et des mil­i­tants kur­des. Le boy­cott des uni­ver­sités israéli­ennes ne sert que la droite et le pou­voir, il faut garder le con­tact avec ceux qui peu­vent encore réfléchir et exercer leur influ­ence. De même que les uni­ver­si­taires turcs dis­si­dents, les mem­bres du HDP et les par­tis kur­des démoc­ra­tiques en Turquie comme au Roja­va ont besoin de notre sou­tien con­tre la peste qua­si­ment brune qui s’é­tend sur le pays. Ensem­ble, ces opposants turcs et israéliens, surtout ceux de la jeune généra­tion à la recherche de véri­ta­bles alter­na­tives, sont les seuls à pou­voir étein­dre l’in­cendie qui men­ace la région.


Car­ol Mann Auteure invitée de Kedis­tan, soci­o­logue et his­to­ri­enne, spé­cial­isée dans l’é­tude du genre et con­flit armé, chercheure asso­ciée au L.E.G.S. à Paris 8, direc­trice de l’as­so­ci­a­tion “Women in War” www.womeninwar.org. Dernier ouvrage pub­lié “De la burqa afghane à la hijabista mon­di­al­isée”, l’Har­mat­tan, 2017.
Arti­cle re-pub­lié à par­tir de son blog Médi­a­part

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