Entre­tien pub­lié ini­tiale­ment sur le blog Ne Var Ne Yok le 30 mai 2017

Entre­tien avec Tama­ra, une cama­rade kurde d’une ving­taine d’années. Elle a passé plus d’un an dans la prison pour femmes de Diyarbakır (Amed) avant d’être relaxée puis relâchée. 

Elle nous racon­te le quo­ti­di­en car­céral et l’organisation col­lec­tive qui per­met d’être tou­jours en lutte à l’intérieur.

Bon­jour, peux-tu nous-dire pour com­mencer quand tu es entrée en prison, et com­bi­en de temps tu es restée, et de quoi tu étais accusée ?

J’y suis entrée à l’automne 2015, après avoir fait qua­tre jours de garde à vue où les flics m’ont vio­lem­ment tabassée. Ensuite, je suis passée devant le tri­bunal. J’ai été accusée de faire par­tie de l’organisation des YDG‑H [Mou­ve­ment de la jeunesse patri­o­tique révo­lu­tion­naire]. Je suis restée un an et 3 mois en prison. Et après, j’en suis sor­tie après le deux­ième juge­ment qui a eu lieu. A la troisième audi­ence, le tri­bunal a déclaré que j’étais non coupable, ils n’ont pas trou­vé quoi que ce soit sur moi. On m’a pris un an et 3 mois de ma vie.

Du coup, tu t’es retrou­vée dans la prison pour femmes de Diyarbakır ?

Oui, j’étais dans la prison de Diyarbakır, de type E, là où les femmes mil­i­tantes sont emprisonnées.

C’est dans le cen­tre de la ville ?

Oui, c’est au centre.

Et à l’intérieur de la prison, com­ment c’est organ­isé ? Com­bi­en sont-elles par cel­lules ? Com­ment se déroule la détention ?

On était 35 per­son­nes. Per­son­ne ne peut faire ce qu’il veut au dedans. Toutes les per­son­nes enfer­mées le sont pour des raisons poli­tiques. L’ambiance est plutôt chou­ette entre nous, tout le monde s’écoute, on essaye toutes de con­tin­uer la vie comme on peut. S’il y a un prob­lème, on s’arrête, on en dis­cute et on s’explique, sans jamais se bagar­rer. On fait tout en com­mun. Il y a dif­férentes tâch­es au quo­ti­di­en, et on fait tout en com­mun. Cha­cune se respon­s­abilise là-dessus pour le col­lec­tif, et pour que ce qui doit être fait le soit. On fait tout ensem­ble. Par exem­ple, les regards sont très dif­férents sur nous, les pris­on­nières poli­tiques. Les gar­di­ens et les mil­i­taires n’ont pas du tout le même regard sur nous que sur les autres détenuEs. Ils sont plus durs et stricts avec nous. Mais à l’intérieur, il y vrai­ment une super lutte col­lec­tive. Par rap­port à l’ennemi, ton com­porte­ment est très net. Il y a vrai­ment une façon de faire. On ne s’ef­face pas à l’intérieur. On sait ce qu’on a faire. Par exem­ple, s’il y a un prob­lème avec les matons, s’ils nous cri­ent dessus ou bien nous insul­tent, et ça ne se passe que rarement, et si ça arrive, on se met directe­ment en lutte con­tre cela. C’est sûr que nous sommes enfer­méEs à l’intérieur, on se fait fouiller, réprimer, mais ils savent que s’ils com­men­cent à créer plus de prob­lèmes, on ne va pas laiss­er faire. Et ils ont cette crainte-là.

Est-ce que tu peux apporter quelques pré­ci­sions ? Une journée type com­ment ça se passe ? Par exem­ple, est-ce que la nour­ri­t­ure est pré­parée col­lec­tive­ment dans la cel­lule ? Est-ce que vous faites tout vous-même ? Est-ce qu’il y a des jours où vous ne voyez car­ré­ment pas les gar­di­ens ? Et enfin, par rap­port à l’espace de la prison, est-ce que vous pou­vez sor­tir quand vous voulez en promenade ?…

Une journée nor­male. On se lève col­lec­tive­ment à 7h30, c’est nous qui déci­dons de nous lever à cette heure-là. La rai­son c’est que quand ils vien­nent nous compter, ils ne nous voient pas en pyja­ma ou mal réveil­lées. C’est notre dis­ci­pline, c’est notre règle : ils ne peu­vent pas nous voir en sit­u­a­tion de « faib­lesse ». Quand ils vien­nent nous compter, nous avons déjà pris notre petit déje­uner, les lits sont faits… On se tient de cette manière-là.

A part cela, on met beau­coup à prof­it notre temps d’incarcération pour appren­dre et se poli­tis­er davan­tage, ou faire évoluer notre con­science. On se donne des heures pour lire des bouquins, et après on dis­cute avec les amies autour des livres que les unes ou les autres ont lus. On fait juste des paus­es pour manger, mais on revient rapi­de­ment à nos lec­tures pen­dant des temps de silence col­lec­tif. Il y a aus­si des temps un peu plus formels, où nous nous répar­tis­sons cer­tains livres pour en faire après des présen­ta­tions devant toutes les autres. Cha­cune a une sorte de respon­s­abil­ité dans les tâch­es de la journée. Enfin, le soir, de 19 heures à 22 heures, c’est sou­vent une autre plage de lec­ture, où on met plus l’accent sur com­ment on essaye de se chang­er soi-même. Ou alors on regar­dait des films sur l’histoire des luttes. Il y a des amies qui con­nais­saient ces films et qui nous les présen­taient. Celles qui ont envie de les regarder le font, en bas, dans la salle prévue, et les autres restent à lire dans la cellule…

Et pour ces livres et ces films, tout ren­tre ? Il n’y a pas de censure ?

Si, il y en a ! Avant, quand il n’y avait pas l’état d’urgence, on fai­sait une liste de films qu’on don­nait à l’organisme édu­catif lié à l’administration péni­ten­ti­aire. Jusque là tout se pas­sait selon nos propo­si­tions. On se retrou­vait avec toutes les détenues des autres blocs et on regar­dait et on débat­tait des films que l’on avait vu. Et depuis le 15 juil­let, avec la ten­ta­tive de coup d’État etc., etc… nos listes de films ont été refusées. Puis l’État est venu pren­dre nos archives de films dans toutes les pris­ons. Et les seuls films qu’ils nous pro­posent désor­mais sont des films qui n’ont rien à voir avec l’histoire des luttes et des mou­ve­ments sociaux.

La sor­tie en prom­e­nade se fait libre­ment ? Vous pou­vez cir­culer dans quels espaces ?

On a un espace de deux étages. En bas, il y a le réfec­toire, et ce n’est pas nous qui pré­parons les repas, sauf les kah­valtı, les petits déje­uners. Et là-haut, il y a les espaces pour dormir et lire. Pour la prom­e­nade, on peut y aller libre­ment, et la cour est ouverte à 6 heures le matin, et elle ferme à 16 heures en hiv­er et à 19 heures en été. Mais on reste pas mal à l’intérieur.

prison

Prison de Diyarbakır

En France, ce n’est pas le cas. C’est par jour une à deux prom­e­nades de deux heures ! C’est l’incarcération mod­erne ! A ce pro­pos, est-ce que l’État essaye de met­tre en place l’encellulement indi­vidu­el, comme c’est le cas en France ?

Oui, cela existe. Ce sont des cel­lules d’isolement. Par exem­ple, il y a quelques temps, une amie qui était enfer­mée s’est prise la tête avec le com­man­dant, alors qu’elle devait être emmenée aux urgences. Comme d’habitude, c’est elle qui a été vue comme étant la coupable, et elle a eu trois jours de puni­tion en cel­lule d’isolement. Comme la copine a des prob­lèmes de cœur, elle s’est plainte d’être mise au mitard. Face à cette sit­u­a­tion on pou­vait écrire des plaintes. Mais une fois que je suis sor­tie de prison, je n’ai pas pu suiv­re la suite de l’affaire, car elle a été déplacée dans une autre prison.

Cela sig­ni­fie que vous pou­vez vous plain­dre à l’administration pénitentiaire ?

Nous pou­vons par­ler avec le directeur et lui dire ce que nous avons à lui dire. Nous pou­vons nous retrou­ver avec les amies de la deux­ième cel­lule, dis­cuter de nos plaintes et reven­di­ca­tions, puis les porter au directeur. Et notam­ment deman­der que l’amie mise à l’isolement soit relâchée et remise avec nous.

Du coup, de manière générale dans les pris­ons de Turquie, ils n’essayent pas d’imposer des cel­lules indi­vidu­elles pour tout le monde ? Pour cass­er, juste­ment, toute cette sol­i­dar­ité collective…

Toutes les pris­ons sont dif­férentes d’une région à l’autre. Il y a les pris­ons de « type E » comme celle où j’étais, où on est en surnom­bre. Mais il y a aus­si les « type F », ce sont les pires : ils/elles sont seule­ment trois par cel­lule ou seulEs. Les amiEs qui y sont arrivent quand même à faire des deman­des pour chang­er de cel­lule et ne pas rester tou­jours avec les mêmes codétenuEs. Enfin, il y en a qui sont restéEs dix ans toutE seulE, à l’isolement. En dehors des amiEs guéril­la qui ont été pris en train de pré­par­er quelque chose ou pris blessé.e, et qui ont pris des peines pou­vant aller jusqu’à dix ans au min­i­mum à l’isolement, il n’y a peu de per­son­nes qui se retrou­vent seulEs en cellule.

 Turquie • “Prison de type F”, qu’est-ce que c’est ?

Mais là, en ce moment en Turquie, vu que c’est l’état d’urgence et qu’il y a eu beau­coup de purges, il n’y a plus trop de place. Je con­nais un cama­rade qui a pris dix ans à l’isolement, mais vu qu’il n’y plus de place, ils ont finale­ment mis deux autres per­son­nes dans la même cellule.

Dans la prison où tu étais, y avait-il un bâti­ment pour les hommes ? Et y a‑t-il une sépa­ra­tion qui est faite avec les pris­on­niers de « droit com­mun », c’est-à-dire ceux qui ne sont pas là pour des raisons poli­tiques ? Est-ce que c’est des bâti­ments dif­férents ? Est-ce que les « poli­tiques » sont mis par organisation ?

Moi, par exem­ple, là où j’étais, c’était dans un bâti­ment pour femme de type E. Les hommes sont dans un autre bâti­ment. Ceux qui sont là pour des his­toires de drogues ou de crimes, ceux qui ne sont pas « poli­tiques » sont d’un côté, et les hommes mil­i­tants sont d’un autre. Comme pour les femmes. Et, par­mi les poli­tiques, ils font le tri, et ne met­tent pas ensem­ble les Daechiens et les révo­lu­tion­naires. Nous ne croi­sons qua­si­ment jamais les cama­rades hommes enfer­més dans l’autre bâti­ment, c’est très rare. Après les purges du 15 juil­let 2016, l’État a aus­si enfer­mé des gülenistes accusés de la ten­ta­tive de putsch, mais on ne les a pas vu non plus. C’est très cloisonné.

Et, par exem­ple, les pris­on­nierEs du MLKP [Par­ti com­mu­niste marx­iste-lénin­iste turc, pro-kurde] Sont-ils mélangés avec vous ?

Les ESP [les mem­bres du par­ti social­iste], par exem­ple, et les MLKP sont avec nous. Toute l’extrême-gauche est ensem­ble. Toutes les per­son­nes accusées de « ter­ror­isme », en fait.

Rien à voir, mais pour ce qui est des luttes à l’intérieur, quelles formes ça prend ? Des grèves de la faim ? Des révoltes et des mutiner­ies, où toute la prison est incendiée ? Est-ce qu’il y a des évasions ?

Là, en ce moment, il y a des grèves de la faim pour un cer­tain nom­bre de reven­di­ca­tions sur les con­di­tions de déten­tions notam­ment. Des fois, ça marche, des fois ça ne marche pas, et par­fois cer­tainEs meurent. C’est pour se faire enten­dre. Il y a aus­si des actions où l’on scan­dent des slo­gans pen­dant un cer­tain temps dans la prison. Mais les man­i­fes­ta­tions de sou­tien organ­isées à l’extérieur c’est plus sou­vent pour les pris­on­niers con­damnés pour crime… Et les éva­sions, c’est très rare. La dernière qui a eu lieu, c’était en type D, où 6 cama­rades ont réus­si à s’échapper. C’était l’an dernier. C’était super, ils n’ont pas été repris, et après, ils ont envoyé le bon­jour depuis Qandil.

Et la lutte à l’extérieur ? Les proches, les amiEs, la famille, com­ment ren­trent-ils en sol­i­dar­ité ? Arrivent-ils à met­tre la pres­sion sur l’administration pénitentiaire ?

Il y a les vis­ites, les coups de télé­phone, où bien enten­du tu ne peux pas par­ler libre­ment. Comme pour les par­loirs « fer­més », tu es écouté, et donc tu ne peux pas être men­tale­ment naturel. On préfère les vis­ites « ouvertes », c’est-à-dire autour d’une table, où on peut se racon­ter plus tran­quille­ment ce que l’on veut. C’est mieux. Par mois, il y a 3 par­loirs « fer­més » par mois et un « ouvert ». Et par semaine, 10 min­utes de télé­phone. Mais depuis l’état d’urgence, les par­loirs ouverts n’ont lieu plus qu’une seule fois tous les deux mois, et le télé­phone c’est toutes les deux semaines. Tu finis par par­ler juste une minute avec les per­son­nes qui t’appellent. Faut que tu fass­es vite vite, une minute avec ta mère, une avec ta sœur, une autre avec le frère, l’autre minute avec la nièce…ça devient fatiguant. Pour nous et pour nos familles… Comme la famille est loin, et qu’il n’y a plus eu de vis­ite ouverte, ben t’es for­cée d’utiliser le télé­phone. Ou d’écrire du cour­ri­er, mais comme vous savez, il y a beau­coup de gens aus­si qui ne savent pas lire, ni écrire surtout chez la généra­tion de nos par­ents, nos grands-par­ents. Pour ce qui est de la sol­i­dar­ité, par exem­ple, quand il y a des grèves de la faim, ça génère un mou­ve­ment à l’extérieur, les familles se bougent et organ­isent du sou­tien avec les asso­ci­a­tions. Et cela fait beau­coup de bruit à l’extérieur. Par exem­ple, si je fais une grève de la faim, j’ai 7 frères et sœurs qui vont enten­dre et se bouger pour moi. Et 35 pris­on­nières, avec leurs familles et leurs amis, ça démul­ti­plie. Et si on regarde tous les gens en prison en ce moment, on est des mil­liers, et donc, si on fait le cal­cul, ça fait beau­coup de gens qui se mobilisent pour les pris­on­nierEs. Par­fois il y a des man­i­fes­ta­tions de sou­tien devant la prison, notam­ment après que les jour­nal­istes relaient le fait qu’il y a des grèves de la faim à l’intérieur. Une fois aus­si, à l’intérieur, les pris­on­nières avaient décidé de refuser les vis­ites et les par­loirs, et du coup, la presse et les familles venaient faire des inter­ven­tions devant. Il y a ce genre d’actions de solidarité.

On a l’impression que c’est un peu comme une fatal­ité la prison au Kur­dis­tan. Par exem­ple, en France, régulière­ment, il y a des gross­es émeutes et des révoltes, des mutiner­ies. Et là, d’après ce que tu nous racon­tes, ça peut don­ner l’impression que « c’est comme ça, donc on va pass­er du temps à se con­sci­en­tis­er, à lire, etc. » C’est une ques­tion un peu provoc’, mais c’est pour mieux com­pren­dre… Et, on bien est d’accord, que même s’il y a des mutiner­ies et des révoltes, les pris­ons sont tou­jours là, elles n’ont pas dis­parues, et il y a tou­jours du monde enfer­mé dedans…

Si tu fais une action, il faut que tu pens­es à la final­ité de ton action. Qu’est-ce que tu veux faire ? Il faut vrai­ment réus­sir à penser avec du recul. Il y a aus­si, par exem­ple, le fait que dans nos pris­ons pour femmes, il y a des mamans et il y a sou­vent des enfants avec nous. Un cer­tain nom­bre des per­son­nes enfer­mées l’ont été pour des petites choses. Tu ne peux pas penser juste à tout cass­er, tout brûler, il y a des gens. Per­son­ne n’aime les pris­ons, qui aime être entre 4 murs ? Là-bas, il y a une vie. Tu es dans une prison, tu ne peux pas seule­ment dire « il faut que je sorte d’ici », on est des mil­liers dedans. Idéologique­ment, tu es obligé d’évoluer. Ce moment de dif­fi­culté, tu dois le pren­dre autrement. Ce que tu n’arrives pas à penser dehors, là, à l’intérieur, c’est le moment d’y réfléchir avec tous les gens que tu y ren­con­tres. Ce moment dif­fi­cile de l’enfermement, c’est l’occasion d’y trou­ver un intérêt. C’est un peu une chance d’avoir ce temps-là. Il y a plein de gens qui n’ont pas pu lire de livre au cours de leur vie, et c’est à cette occa­sion là qu’il com­mence à lire. Per­son­ne n’aime la prison. La prison, c’est les gens qu’il y a dedans, c’est les amiEs qui sont là, et finale­ment c’est grâce à eux/elles que tu te tiens, grâce aux livres que tu lis, grâce aus­si à la lutte et à la force des gens que tu tiens, que tu arrives à tenir. Je sais pas, la prison, en Turquie, n’est pas pareil à l’intérieur que ce qu’elle donne à voir de l’extérieur. A l’intérieur, c’est autre chose, voir les 4 murs de l’intérieur c’est autre chose. J’ai été habituée aux pris­ons depuis que je suis toute petite, par les vis­ites notam­ment. A l’intérieur, si tu veux absol­u­ment faire une action, tu es obligé de voir ça large. Tu ne peux pas sim­ple­ment tout cass­er et brûler. Tu ne peux pas faire une action juste par rap­port à ce qu’il te passe par la tête. Mal­gré tout ce qui te passe par la tête, tu ne peux pas faire ça tout seul. Il y a l’organisation col­lec­tive, il faut pren­dre les déci­sions ensem­ble. On doit être d’accord les unEs avec les autres. Il y a ce cadre là. Si une déci­sion doit être prise, c’est col­lec­tive­ment ! Et par­mi nous, quelques-unEs ont la respon­s­abil­ité de ce qu’il se passe col­lec­tive­ment à l’intérieur. Alors, si une action est lancée, et que c’est prob­lé­ma­tique pour les enfants et leurs mères par exem­ple, ce seront ces per­son­nes là qui seront tenues pour respon­s­ables. Il y a un espèce de sys­tème et de fonc­tion­nement quand même à l’intérieur, il ne faut pas l’oublier.

Sais-tu com­bi­en de per­son­nes sont enfer­mées en ce moment ?

Il y a telle­ment de gens qui sont arrêtés… Je n’en sais rien. Il y a de nou­velles incar­céra­tions pour raisons poli­tiques tous les jours. Dans notre vie, la prison, c’est un lieu. C’est soit la prison, soit la mort. C’est un lieu où l’on s’arrête. Com­bi­en il y a‑t-il de per­son­nes enfer­mées ? On n’ar­rive même pas à suiv­re… Des jeunes enfants jusqu’aux grand-mères, tout le monde y passe, il n’y a même plus de lim­ite pour les âges. On avait un petit de 3 ans et une « maman » de 70 ans. On essaye d’avoir des chiffres un peu pré­cis, mais ça va trop vite…

Ou pour le dire dans l’autre sens : com­bi­en de familles au Kur­dis­tan n’a pas un de ses mem­bres en prison ?

Je pense que dans chaque famille kurde, il y a un des mem­bres soit dans la guéril­la, soit en prison, soit tué par l’État. Évidem­ment que toutes les familles sont touchées.

Main­tenant que tu es sor­tie de prison, de quelle manière vas-tu con­tin­uer à lutter ?

C’était vrai­ment une autre péri­ode la prison. Main­tenant que je suis sor­tie, et que j’ai repris ma vie, ça fait un peu bizarre. Bizarre de me retrou­ver avec des amiEs avec lesquelLEs je peux par­ler nor­male­ment. C’est telle­ment dif­férent quand tu es à l’intérieur. Une fois que tu es dehors, tu as l’impression que tu vois plus cette lumière, cette force col­lec­tive de manière aus­si intense, à chaque minute. Ça te fait comme une petite blessure. Mais pour moi, j’ai l’impression d’être en lutte tout le temps. Ce n’est pas juste une péri­ode. C’est pas quelque chose d’une heure, d’une semaine. En ce moment, c’est dif­fi­cile de se pro­jeter. La poli­tique en Turquie, tous les mois ça change. Mais la lutte c’est tout le temps.

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AmiEs con­tributri­ces, con­tribu­teurs tra­ver­sant les pages de Kedis­tan, occa­sion­nelle­ment ou régulièrement…