Ronahi TV, partenaire de Kedistan, Stêrk TV et News Channel, trois chaînes kurdes émettant via Eutelsat, sont sous menace de fermeture, à la demande du gouvernement turc.
Ce n’est pas une nouveauté, ni un étonnement. Le régime turc a décidé de faire taire toutes les voix discordantes, en mettant les journalistes en prison, en rendant impossible le travail de journalisme, en mettant sous scellés les portes des journaux, magazines, imprimeries, distributeurs, en fermant les radios et les chaînes télé à l’intérieur… Il continue en censurant les réseaux sociaux, et en allant jusqu’à bloquer l’encyclopédie Wikipédia dans toutes ses langues, en exigeant le retrait de textes qui ne plaisent pas… et en jouant de la réal-politique des Etats européens, dont la France, pour faire interdire la diffusion par satellite de chaînes qui échappaient à son contrôle.
Cela n’est pas nouveau non plus, la guerre d’usure dure depuis 2016. Nous vous renvoyons aux publications de Kedistan en lien ci-dessous, ainsi qu’à des vidéos, pour l’année écoulée, et tentons ici d’éclairer ce qui se déroule derrière cette 2ème offensive du gouvernement turc.
A noter, comme pour l’an dernier, la célérité avec laquelle une société européenne obéit aux injonctions du régime turc.
Créée en France en 1977, en tant qu’Organisation Inter Gouvernementale, dans le but d’améliorer le réseau téléphonique européen, puis privatisée en 2001 — bien que l’OIG demeure afin de veiller à ce que ses principes soient respectés par la société anonyme — Eutelsat continue d’utiliser la fameuse inscription sur la liste “terroriste” du PKK, pour protéger ses intérêts financiers et ses marchés. Et cela semble convenir aux gouvernements français et européens.
Qu’en est-il de cet imbroglio ?
- Le flux d’IMC TV depuis le satellite TÜRKSAT avait cessé une première fois le 28 février 2016.
IMC TV s’est éteinte comme une bougie d’anniversaire (28 février 2016)
- Ensuite, “obscurcissement d’écran” comme on dit en Turquie, pour Med Nûçe TV, le 3 octobre 2016. Comme la vidéo ci-dessous en témoigne, les journalistes de IMC TV ont suivi la “coupure” en live, avant que leur flux soit coupé à son tour, le lendemain.
- Et une vidéo de la chaîne, jusqu’ici non diffusée, qui parle d’elle même.
- Nous avions également annoncé fin septembre 2016, le retrait d’une dizaine de médias kurdes de TürkSat, satellite de Turquie, notamment IMC TV et Zarok TV, cette dernière étant une chaîne de dessins animés pour les enfants kurdophones…
Etat d’urgence : 10 chaines de télévision supprimées (29 septembre 2016) et IMC TV : fermée en live (5 octobre 2016)
- Une demande avait été faite auprès d’Eutelsat, afin de fermer définitivement les deux chaînes kurdes. Med Nûçe TV avait donc été fermée le 3 octobre 2016 et Newroz TV le 11 Octobre. Il s’en était suivi de nombreuses manifestations et rassemblements de protestations et des dénonciations de la part des organisations de médias, organisations politiques et parlementaires..
- Le Tribunal de commerce de Paris avait décidé le 17 novembre que Med Nûçe et Newroz TV devaient recommencer à émettre, que la fermeture était illégale, car Eutelsat ne devait pas respecter les demandes de la Turquie mais celles des pays où les sociétés sont enregistrées, en l’occurence, la Belgique pour Med Nûçe, par exemple.
- Il s’agissait d’accusations de violations des conventions européennes, et aucune preuve de “crime” ni de “violence” n’avait été trouvée.… Eutelsat a été condamné à indemniser Med Nuçe à hauteur de 5000€, + 10 000€ pour chaque jour de retard. Eutelsat a fait appel de cette décision. Les indemnisations n’ont pas été perçues et les chaînes n’ont pas repris pour autant leur diffusion, car la procédure judiciaire est toujours en cours.
- News Channel, possédant une licence en Italie, a pris le relais de l’information début décembre 2016.
La liberté d’expression violée au nom des alliances commerciales
Dans une interview publié sur ANF, le journaliste Maxime Demiralp (Azadî) souligne que la décision d’Eutelsat concerne directement la liberté d’expression et ajoute : “C’est un coup donné à la liberté de la presse. Par ailleurs, il est question d’une complicité avec un pays qui est considéré comme le plus arriéré concernant la liberté d’expression. Cette décision se base sur une alliance commerciale. Une sale alliance… Dans les démocraties, une alliance avec un régime qualifié de régime répressif, voire dictatorial, peut être sujette à recours devant la justice. Dans le cas actuel, avec cette décision à l’encontre des médias kurdes, Eutelsat ne bafoue pas seulement la liberté d’expression, mais commet un délit. A la fois pour la violation des libertés, mais aussi en s’alliant avec un tel régime. Dans un passé récent, une entreprise de ciment en Syrie a été sujette à la justice pour avoir travaillé avec Daesh. La complicité d’Eutelsat avec la Turquie, devrait être considérée de la même façon.”
Le silence de l’Europe
Maxime, précise qu’en Turquie les libertés de la presse et d’expression reculent de jour en jour, “Malgré cela si personne ne conteste en Occident, cela veut dire que la démocratie y recule aussi. Le problème ne concerne pas que les Kurdes. C’est un problème général de démocratie. Cette entreprise a de sérieuses accointances avec la Turquie. Les structures de la communication militaire et policière passent aussi par Eutelsat. C’est la dimension économique. Quant à la dimension politique, elle est exprimée par le silence total des Etats face à cette sale alliance. Et les médias kurdes en sont victimes. Comment est-ce possible qu’Eutelsat qui a été condamné par le tribunal, puisse continuer les mêmes pratiques ? D’où prend-il cette force ? Le silence de l’Europe démontre le poids de ses alliances commerciales avec la Turquie. De fait, la liberté de presse est devenue une relation commerciale. Celui qui a les moyens sacrifie ceux qui restent…”
On combat Daesh, oui ou non ?
Maxime rappelle que Ronahi TV est la voix du Rojava, et des forces qui y combattent Daesh, “Dans ce sens, la décision d’Eutelsat est en contradiction avec les différentes forces qui combattent Daesh, notamment la France. La Turquie attaque le Rojava, de toutes les façons possibles, et la demande de fermeture de Ronahi TV fait partie de ces attaques.”
Une mobilisation à plusieurs dimensions
“Lors de la tentative de fermeture, l’année dernière, des organisations de presse, des syndicats et des parlementaires avaient réagi. Ce mécanisme de solidarité peut jouer à nouveau pour soutenir les médias kurdes, et ce, avec encore plus de forces, pour briser le silence des politiques et des gouvernement occidentaux. Et le premier moyen pour réveiller cette solidarité est une mobilisation sociale. Parce que cela concerne également les employés de ces médias, sans oublier que ces médias sont la voix du peuple. Si les mécanismes institutionnels et organisationnels internationaux ne se mettent pas en action, l’action devrait venir de la pression sociale.”
Appel à la mobilisation
Le mercredi 3 mai, un premier rassemblement de protestation s’est déroulé devant le siège d’Eutelsat à Paris. D’autres rendez-vous sont prévus :
• Rassemblement : Samedi 6 mai à 16h Place de la République à Paris
• Conférence de presse : Les responsables et employéEs des médias menacés interviendront devant le siège d’Eutelsat, situé au 70 Rue Balard, 75015 Paris à 13h, le mardi 9 mai.
• Point d’information : Du 9 au 11 mai, du 11h à 17h, des permanences seront tenues dans un stand qui sera installé à proximité du siège d’Eutelsat, pendant ces trois jours, afin d’informer, de sensibiliser l’opinion publique et d’élargir la mobilisation.
C’est donc le moment d’être solidaires !
• Une pétition est également mis en ligne. Vous pouvez soutenir la mobilisation dès maintenant en suivant ce lien.
Communiqué de presse
L’opérateur européen de satellites Eutelsat veut une fois de plus interrompre la diffusion des chaînes de télévision kurdes, en se soumettant aux ordres venant du régime répressif turc. Cette position du groupe français le place parmi les ennemis de la liberté d’expression aux yeux de l’opinion publique. Le 14 avril 2017, le premier opérateur européen de satellite a demandé auprès des distributeurs la suspension des diffusions de trois chaînes télévisions kurdes, Stêrk TV, News Channel et Ronahi TV. La première qui dispose d’une licence en Norvège diffuse des programmes en langue kurde dans plusieurs dialectes ; la deuxième ayant une licence en Italie est diffusée en majorité en langue turque et la troisième dont la licence est suédoise se concentre sur Rojava avec des programmes en kurde, en arabe et français. Cette dernière est née après la révolution de Rojava. Les programmes de toutes ces télévisions sont diffusés en Europe.
La décision d’Eutelsat que nous considérons comme une attaque inacceptable intervient dans un moment très délicat pour liberté de la presse en Turquie. Un pays dirigé par un président qui détient tous les pouvoirs et réprime toute forme d’opposition. La Turquie est aujourd’hui la plus grande prison au monde pour les journalistes avec plus de 150 journalistes incarcérés. Depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, au moins 156 médias ont été fermés et environ 2.500 journalistes ont perdu leur travail, d’après Amnesty International. RSF a de son côté placé la Turquie au 155ème rang sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse. La Turquie figure ainsi parmi les pays où la liberté de presse est la plus bafouée. Pour l’association des droits humains IHD, la Turquie n’a jamais connu de pire année que 2016 concernant les droits humains depuis 1999, l’année où les négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ont été lancées. Au moment où ce régime est dénoncé de toutes parts, la position d’Eutelsat au côté de la répression visant le droit à l’information s’avère très préoccupante. Elle illustre surtout une complicité impardonnable qui devrait être condamnée fermement. Le groupe français Eutelsat ne contribue pas seulement à la répression contre la liberté des médias, il se rend complice et devient un instrument de la répression aux mains du régime turc. La répression exercée en Turquie est aujourd’hui exportée en Europe. Elle est un danger non seulement pour les médias kurdes, mais pour toute la démocratie européenne et les valeurs sur lesquelles est fondée l’Union européenne.
En novembre 2016, Eutelsat a déjà été condamné par le tribunal de commerce de Paris qui a ordonné de rétablir la transmission des programmes des chaînes kurdes Med Nûçe et Newroz TV, « sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ». La diffusion de ces deux chaînes avait été interrompue en octobre dernier à la demande des autorités turques, au moment où plus de vingt chaînes de télévision et stations de radios avaient été suspendues par les autorités turques. Malgré la condamnation devant la justice, Eutelsat ne rechigne pas à récidiver. Il faut une condamnation juridique et une réaction politique plus forte pour dissuader ceux qui collaborent avec les régimes de répression et qui mettent en danger la liberté d’expression et de la presse. Ces droits fondamentaux ne peuvent pas être marchandés.
Nous condamnons fermement la répression à l’égard des médias kurdes et de la liberté de la presse dans son ensemble. Nous appelons les médias européens et les organisations de défense de la liberté de presse, ainsi que les gouvernements à dénoncer cette atteinte dangereuse contre les médias kurdes.Stêrk TV • Ronahi TV • News Channel
Nous suivrons avec attention donc… Et ne doutons pas que les organisations syndicales de journalistes, et en premier lieu en France le SNJ-CGT dont certainEs kedi sont membres, relaieront cet appel…
Lors des protestations contre la fermeture de Med Nûçe et Newroz TV.
Paris, Octobre 2016
Documents annexes
RTÜK
Conseil Suprême de la radio et de la télévision
Date de la session 01/03/2017
Objet : La diffusion destinée au territoire turc depuis l’étranger (Ronahi TV)
Le conseil, après avoir examiné le dossier n°5432 et ses annexes daté du 26 février 2017, du Département des relations internationales, et après en avoir discuté, a conclu que la chaîne Ronahi TV, bien que n’étant pas une société établie en Turquie, et n’étant pas titulaire d’autorisation accordée par le conseil suprême de la radio et de la télévision (RTÜK), et n’utilisant pas d’infrastructure de connexion satellitaire relevant de la responsabilité de la Turquie, diffusait des émissions entièrement ou principalement destinées au territoire turc.
Le conseil a aussi noté que la dite chaîne diffusait fréquemment des programmes consacrés aux discours des cadres dirigeants de PKK/KCK, qui est une organisation inscrite sur les listes d’organisations terroristes de l’UE, et aux actes de terrorisme perpétrés par PKK/KCK en Turquie, et des programmes en concordance avec les objectifs de cette organisation. Il a notamment constaté que les séquences d’images et déclarations diffusées exaltaient le terrorisme, qualifiant les organisations terroristes comme toutes-puissantes, justifiaient leurs actes, reflétaient les caractéristiques horrifiantes et terrifiantes des organisations terroristes, présentaient les actes de terrorisme, ses auteurs et ses victimes de manière à servir les objectifs de terrorisme, et qu’ils incitaient à la violence ou la haine raciale.
Par conséquent, le conseil a conclu que la chaine Ronahi TV était en liaison avec l’organisation terroriste PKK/KCK et qu’elle diffusait des programmes soutenant ses activités.
Vu que l’évaluation du contenu des émissions de la chaîne de télévision, ayant comme logo Ronahi TV, en application de l’article 29–3 de la loi 6112 sur la Création d’entreprises de radio et de télévision et leurs services de médias incombe à RTÜK, le Conseil, en tenant notamment compte des arrêts de principe de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière, a décidé à la majorité, contre le vote contraire du Conseiller M. Ersin Öngel, d’autoriser le cabinet du Président du conseil, à accomplir tout acte et prendre toutes les mesures nécessaires afin d’interdire et d’entraver la transmission des émissions de cette chaîne, et de faire parvenir cette décision du Conseil aux sociétés qui retransmettent la diffusion des émissions de celle-ci, ainsi qu’aux autorités de régulation de l’audiovisuel des pays concernés.
La traduction du courrier d’Eutelsat à Tomaz Lovsen, directeur responsable du support satellitaire. Vous y noterez la phrase qui semble anodine sur la réservation des droits d’Eutelsat sur les suites… où elle couvre ses arrières…
EUTELSAT
à Tomaz Lovsen Directeur du STN (Satellite Telecommunications Network)
14 avril 2017
Monsieur Le directeur Lovsen,
Nous vous écrivons au sujet des chaînes de télévision Stêrk TV et Ronahi TV diffusées par le multiplex, sur notre Hot Bird 138 satellite, dont vous êtes opérateur.
Le 24 Mars 2017, Eutelsat a reçu une demande formelle du Conseil Suprême de la radio et de la télévision de la République de Turquie (RTÜK), pour suspendre la diffusion des chaînes en question, pour le motif qu’elle violent les conventions Européennes et les lois de la République de Turquie.
Nous avons joint en annexe, pour information, une copie de la mise en demeure adressée par le RTÜK. Et sa version en anglais suivra.
Conformément aux termes et conditions de l’accord de Service conclu entre nos sociétés, nous vous rappelons que tous les services transmis via la capacité satellitaire doivent se conformer à toutes les lois applicables et aux règlements dans lesquels ces services sont disponibles. Une clause express, prévoit que vous arrêtiez toute retransmission dans le délai d’une heure, sur demande d’Eutelsat. Eutelsat a pouvoir juridique devant toute autorité compétente, pour interrompre ou suspendre le service d’une chaîne de télévision donnée.
En conséquence, nous venons officiellement, par la présente, vous demander de supprimer les chaînes de télévision “Sterk TV et Ronahi TV” dans le multiplex, conformément à nos accords.
Nous espérons que cette question fera l’objet de votre plus grande attention.
Veuillez noter que Eutelsat est contrainte de réserver expressément tous ses droits sur les suites du sujet.
Cordialement
Edouardo Silverio
Secrétaire de la Compagnie & Du Conseil Général du groupe