Le célèbre jour­nal­iste et romanci­er Ahmet Altan a com­paru hier, jeu­di 2 mars, devant la 32e cour pénale d’Is­tan­bul, pour la dernière audi­ence d’une affaire où des remar­ques, lors d’un pro­gramme télévisé en sep­tem­bre dernier, lui valent d’être accusé de diffama­tion envers le président.

En déten­tion pro­vi­soire depuis sep­tem­bre pour un autre dossier, Ahmet Altan a déclaré qu’on devrait aban­don­ner les charges con­tre lui, en prenant pour exem­ple un juge­ment con­cer­nant Erdoğan lui-même.

Ses remar­ques sur Bugün TV, chaîne aujour­d’hui fer­mée, étaient des cri­tiques dirigées con­tre Erdoğan : le romanci­er pointait le fait que le prési­dent dépas­sait le cadre con­sti­tu­tion­nel et agis­sait, de son pro­pre aveu, comme un prési­dent «de fac­to» doté de pou­voirs exé­cu­tifs renforcés.

Assis­tant à l’au­di­ence de la 32e cour pénale d’Is­tan­bul par visio­con­férence, depuis la prison de Silivri, Ahmet Altan a illus­tré son cas avec un scé­nario. En imag­i­nant que lui, le romanci­er, se serait engagé en poli­tique et aurait été élu président.

« Si un cri­tique lit­téraire vient à me dire que j’ai écrit un roman abom­inable, que je suis un écrivain épou­vantable, sera-t-il jugé pour avoir insulté le prési­dent ? Que je sois prési­dent fait-il de la cri­tique de mes romans un crime ? Est-ce qu’être prési­dent me place au-delà de toute cri­tique ? Ne serait-ce pas un tour de passe-passe conçu pour con­tourn­er la loi, que de vouloir faire des cri­tiques de mon roman un acte de diffama­tion envers le président ? »

Ses cri­tiques à l’é­gard du prési­dent, a expliqué Ahmet Altan, ne peu­vent pas être con­sid­érées comme une insulte. D’ailleurs, il le souligne. En fin de compte, le prési­dent devrait être d’ac­cord avec lui. N’est-ce pas ce que prou­ve la défense présen­tée par les avo­cats d’Er­doğan en avril 2016 ? Le prési­dent devait alors se défendre devant un tri­bunal pour avoir insulté les uni­ver­si­taires, à la suite d’une plainte pour diffama­tion déposée par l’émi­nent pro­fesseur de sci­ences poli­tiques Baskin Oran.

Dans leur plaidoirie, les avo­cats d’Er­doğan allaient jusqu’à le défendre… en s’ap­puyant sur les textes de la Cour con­sti­tu­tion­nelle et de la Cour européenne des droits de l’homme ! Relisons les. Que dis­aient-ils ?  Que la lib­erté d’ex­pres­sion, ce sont aus­si « des infor­ma­tions ou des idées qui offensent, choquent ou dérangent l’é­tat ou une par­tie de la pop­u­la­tion, et que sans elles, il n’y a pas de société démoc­ra­tique. » Il fal­lait oser !

« Je suis évidem­ment d’ac­cord avec Erdoğan sur cette ques­tion », déclare avec le sourire Ahmet Altan. Et il ne manque pas de le rap­pel­er. La cour a finale­ment jugé que les pro­pos d’Er­doğan ciblant les uni­ver­si­taires turcs, y com­pris avec des mots aus­si forts que «igno­rants», «traîtres» ou «immoraux», ne con­sti­tu­aient pas un crime . Et la plainte d’O­ran a été rejetée.

S’il y a égal­ité devant la loi, si tout indi­vidu  est traité de la même façon, alors les accu­sa­tions lancées con­tre lui devraient elles aus­si être rejetées, con­clut Ahmet Altan. « À moins que les lois ne soient pas les mêmes selon les per­son­nes, si Recep Tayyip Erdoğan, moi-même et les 80 mil­lions de citoyens turcs sont égaux devant la loi, cette procé­dure judi­ci­aire devrait être rejetée, ou du moins se con­clure par un acquit­te­ment, en accord avec la défense très juste d’Erdoğan. »

Le prési­dent a d’abord retiré sa plainte con­tre Altan, ayant fait le geste de retir­er toutes les plaintes pour diffama­tion fin Juil­let, mais ses avo­cats ont annon­cé que la plainte était maintenue.

Pour Ömer Faruk Karagüzel, l’av­o­cat qui représen­tait Erdoğan à l’au­di­ence ce jeu­di, les pro­pos qu’a tenus Ahmet Altan en déclarant que le prési­dent a dépassé les lim­ites de la con­sti­tu­tion ne sont pas argu­men­tés. Ses remar­ques, à la télévi­sion, allaient selon l’av­o­cat au-delà de la cri­tique. Il les con­sid­ère comme de la diffama­tion, et réclame donc punition.

Le juge­ment a été repoussé au 20 juin.

Le pro­cureur exige jusqu’à 4 ans et 8 mois de prison, en ver­tu de l’ar­ti­cle 299 du code pénal turc qui con­cerne les insultes envers le président.


(Ce texte a été écrit en s’appuyant sur la version anglaise parue sur le site P24. Par Anne Rochelle)
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