Le décret n° 686 du 7 févri­er 2017, prononce le licen­ciement à nou­veau de 4 464 employéEs du secteur pub­lic. 2 585 dans l’é­d­u­ca­tion nationale, 49 au min­istère de l’in­térieur, 417 à la sécu­rité nationale, 893 au sein de la gen­darmerie, et, comme de cou­tume les uni­ver­si­taires n’y échap­pent pas : 330 femmes et hommes sont mis­ES sur la touche…

Notons que dans les 330 uni­ver­si­taires, 184 sont des sig­nataires de l’Appel de la paix.

Dans ce dernier lot de 330, se trou­ve le Pro­fesseur Ibrahim Kaboğlu, Prési­dent du Départe­ment prin­ci­pal de Droit Con­sti­tu­tion­nel de l’U­ni­ver­sité de Mar­mara à Istan­bul, et et Pro­fesseur. Öget Öktem Tanör, une doyenne de 82 ans, con­sid­érée comme “légendaire” dans les milieux universitaires.

Öget Öktem Tanör est la pre­mière neu­ropsy­cho­logue de Turquie, une femme d’une richesse et d’une énergie incroy­able. Nous voudri­ons donc vous par­ler d’elle, hélas à l’oc­ca­sion d’un décret par­mi tant d’autres, qui liq­uide la matière grise et la richesse intel­lectuelle, mais aus­si humaine, frap­pant sans dif­férenci­er uni­ver­si­taires ou guicheti­er, femme ou homme, jeune  ou âgé, châ­tiant ain­si cerveau qui pense, langue qui par­le, mains qui tra­vail­lent, et détru­isant du jour au lende­main la vie de mil­liers de familles.

Si Öget fait par­tie du lot, ce n’est pas pour rien. Et si Öget est con­sid­érée comme “légendaire” ce n’est pas pour rien non plus.

Rien que ce petit extrait d’une inter­view très com­plete, réal­isée par Aktuel Psikolo­ji, en octo­bre 2016, vous met­tra au parfum.

Lais­sons la parole à Öget :

Dès mes 15 ans, j’ex­pri­mais mon intérêt pour la neu­ropsy­cholo­gie et la neu­rolo­gie com­porte­men­tale, bien sûr, sans en con­naitre les ter­mes, je dis­ais à mes par­ents, tous les deux doc­teurs en médecine, avec mes mots enfan­tins :“Que se passe dans le cerveau, quand un être humain porte son atten­tion à quelque chose ? que se passe dans notre cerveau quand nous apprenons quelque chose et que nous l’en­reg­istrons dans notre mémoire ? Moi, je veux appren­dre tout ça !”. Ain­si j’an­nonçais à mes par­ents que je souhaitais faire des études de médecine… Et, mes par­ents me répondaient qu’on n’en­seignait pas ce genre de choses en médecine.

Bien sur, j’é­tais aus­si curieuse pour les autres domaines de la médecine, et j’é­tais égale­ment con­sciente que je serais heureuse d’aider les patientEs.

J’ai per­du ma mère, lorsque j’avais 16 ans. Au lycée, comme je par­lais bien devant le pub­lic et j’écrivais des belles dis­ser­ta­tions en lit­téra­ture, mes pro­fesseurs m’ori­en­taient tou­jours vers le droit, ils/elles me forçaient même… A la fin du lycée, j’ai de nou­veau par­lé avec mon père de ma très forte curiosité pour ‑avec les ter­mes d’au­jour­d’hui- “le lien entre les neu­ro-sci­ences et les com­porte­ments”, et répété que je voulais aller en “médecine”. Et encore une fois, mon père m’a répon­du que je ne trou­verai pas cet enseigne­ment en médecine et que je ferais mieux d’aller en droit. Je me suis alors inscrite à la fac­ulté de droit. Je me sou­viens très bien, que le pre­mier jour déjà, assise dans l’am­phi, je me dis­ais avec tristesse “Qu’est-ce que je fais ici, ma place est en médecine !” J’ai ter­miné le droit et je suis dev­enue assis­tante dans le départe­ment de droit con­sti­tu­tion­nel. Mais, dès la deux­ième année de droit, je suiv­ais avec grand plaisir, les cours de neu­rolo­gie, de psy­chi­a­trie, à l’U­ni­ver­sité de médecine Çapa et lisais les manuels universitaires.

Après avoir ter­miné mes études de droit, j’ai de nou­veau sol­lic­ité mon père pour la médecine, mais il m’a dit que ce n’é­tait plus pos­si­ble. Je suis donc par­tie à New York avec une bourse. Là-bas, j’ai fait une psy­ch­analyse pen­dant un an et demi, et j’ai été con­va­in­cue qu’il n’é­tait pas du tout “scan­daleux” de chang­er de métier.

Mais, mon psy­ch­an­a­lyste m’a dit que ce que je voulais appren­dre ne dépasserait pas une page (et je sais aujour­d’hui que ce n’é­tait pas vrai), m’a donc con­seil­lé de pass­er plutôt par la voie de psy­cholo­gie que par la médecine. A mon retour, j’ai de nou­veau sol­lic­ité mon père, et ma demande a été de nou­veau refusée. J’ai donc suivi le con­seil de ma psy­chi­a­tre. Le Directeur du départe­ment de la psy­cholo­gie de la Fac­ulté de let­tres a accep­té que fasse un doc­tor­at, à con­di­tion de suiv­re tous les cours pen­dant 2 ans, et de pass­er un exa­m­en. Mon père n’a rien dit. Alors, j’ai donc com­mencé à suiv­re les cours de psy­cholo­gie. La deux­ième année, le départe­ment de la psy­cholo­gie m’a demandé comme assis­tante. J’ai alors fait un pas­sage latérale de l’as­sis­tanat de droit à la psy­cholo­gie. Durant la toute pre­mière année de mon assis­tanat, j’ai fait la demande de cours de psy­cholo­gie et de phys­i­olo­gie, et j’ai com­mencé à l’enseigner.

Plus tard, suite au coup d’E­tat de 1971, vers la fin 1972 mon mari1et moi, avons été oblig­és de quit­ter la Turquie avec de faux passe­ports. Nous sommes devenus des exilés poli­tiques en Suisse, à Genève. J’ai appris le français en un an, et j’ai com­mencé à suiv­re des cours sélec­tion­nés dans le pro­gramme du départe­ment de psy­cholo­gie de l’U­ni­ver­sité de Genève. J’ai fait enfin une vraie ren­con­tre avec la neu­ropsy­cholo­gie. En 1974, après l’am­nistie déclarée par le gou­verne­ment Ece­vit [CHP], nous sommes ren­trés au pays. Avec un grand coup de chance, j’ai appris que la Fac­ulté de médecine de Cer­rah­paşa allait ouvrir un doc­tor­at  aux diploméEs de psy­cholo­gie, à con­di­tion de suiv­re cer­tains cours de médecine et de défendre une thèse. En plus, c’é­tait des matières que j’ado­rais ! Neu­rolo­gie, psy­chi­a­trie, phys­i­olo­gie, anatomie… Je me suis tout de suite inscrite, et j’ai com­mencé mes études en 1975. J’ai sat­is­fait ma soif de savoir autant que je souhaitais, j’ai étudié plein de matières de médecine, et en même temps je me suis for­mée dans la neu­ropsy­cholo­gie. J’ai présen­té un doc­tor­at en 1981. Ensuite, en 1983, un pro­fesseur m’a ouvert une pos­si­bil­ité de tra­vail à la Neu­rolo­gie à Çapa. Et j’y ai fondé le pre­mier lab­o­ra­toire de neu­ropsy­cholo­gie en Turquie.

Au départ, les départe­ments de psy­chi­a­trie, neu­rolo­gie et neu­rochirurgie se sont intéressés à la neu­ropsy­cholo­gie et ont com­mencé à me deman­der mon avis sur leurs patientEs. Ensuite Cer­rah­paşa et d’autres hôpi­taux de Bakırköy, ont com­mencé à m’en­voy­er leur patientEs. Plus tard la “renom­mée” de la neu­ropsy­cholo­gie a dépassé la ville d’Is­tan­bul. Les départe­ments de neu­rolo­gie des uni­ver­sités de Bur­sa, Izmir, Ankara, ont com­mencé à envoy­er leurs psy­cho­logues pour des stages. J’ai for­mé donc, en “appren­tis­sage”, 12 per­son­nes comme neu­ropsy­cho­logues. Nous avons accueil­li d’autres sta­giaires plus tard, mais je pense que j’ai for­mé ces 12 per­son­nes d’une façon “totale”. C’est comme cela que je suis dev­enue “le père fon­da­teur” du domaine de neu­ropsy­cholo­gie en Turquie.

A la lec­ture de cette pre­mière par­tie d’in­ter­view, on con­state que dès les années 1970, la république turque mal­me­nait et menaçait ses uni­ver­si­taires, pour des raisons poli­tiques. Le “savoir” impres­sionne donc tout autant les “mil­i­taires” d’hi­er  que les “big­ots nation­al­istes” d’au­jour­d’hui, parce qu’il est source d’é­man­ci­pa­tion, alors que l’ig­no­rance est source de pou­voir pour celui qui l’entretient.


Appel à con­tri­bu­tion : L’in­ter­view d’Ak­tüel Psikolo­ji con­tin­ue sur le Neu­ropsy­cholo­gie, qui reste un domaine peu con­nu du pub­lic y com­pris pour les kedi néo­phytes. Nous savons que nous avons des lec­tri­ces et lecteurs qui tra­vail­lent sur ce sujet, et cer­tainEs, fran­co-turcs/ques con­nais­sent inévitable­ment et sou­vent per­son­nelle­ment Öget. Si vous êtes par­tantEs pour traduire la suite de l’in­ter­view, eh bien, contactez-nous !


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