Fer­hat Encü est député, élu de Şır­nak, pour le HDP. Il est en déten­tion depuis le 4 novem­bre 2016. Il a été arrêté au même moment que 9 autres députés, dont les Co-prési­dentEs du HDP Sela­hat­tin Demir­taş et Figen Yük­sek­dağ. Aujour­d’hui, une peine de per­pé­tu­ité incom­press­ible a été demandée à son encontre.

Le procès ouvert à l’en­con­tre de Fer­hat con­cerne en fait les suites du “Mas­sacre de Robos­ki”. Le 28 décem­bre 2011, les avions de l’armée turque ont bom­bardé et tué 34 jeunes, à la fron­tière de la tur­co-iraki­enne, près du vil­lage Ulud­ere (Robos­ki en kurde).

Roboski

Voici un aperçu rapi­de des deux enquêtes ouvertes : une sur le mas­sacre com­mis à Robos­ki, et une autre à l’en­con­tre des familles des vic­times, y mêlant Fer­hat Encü.

Roboski

Funérailles des vis­times de Roboski

Les familles en colère

Après le mas­sacre, une enquête avait été ouverte par le Pro­cureur de la République de Şır­nak… à l’en­con­tre de 31 per­son­nes dont Fer­hat Encü et les proches des vic­times du mas­sacre de Robos­ki, pour “agres­sion” sur Naif Yavuz, le Gou­verneur d’U­lud­ere, qui s’é­tait ren­du le 31 décem­bre, 3 jours après le mas­sacre, près des familles des vic­times pour “présen­ter ses condoléances”.

Il n’est pas dif­fi­cile de com­pren­dre que le gou­verneur, représen­tant de l’E­tat, n’é­tait pas le bien­venu dans un lieu de con­doléances après une tuerie causée par l’ar­mée turc…
L’ac­cueil a été naturelle­ment… difficile…

[vsw id=“2hVkAI0Y8MA” source=“youtube” width=“640” height=“344” autoplay=“no”]

Fer­hat Encü a lui même per­du son frère Ser­hat Encü, ain­si que 9 mem­bres de sa famille dans ce massacre.

A l’ou­ver­ture de l’en­quête, 16 des 31 “accusés” avaient été placés en garde-à-vue, puis retenus en prison pen­dant plusieurs mois.

L’enquête sur le Massacre de Roboski

Con­cer­nant le Mas­sacre de Robos­ki et le meurtre des 34 vil­la­geois, une enquête avait bien été ouverte le 5 jan­vi­er 2012, un mois après le mas­sacre, mais jouant au ping-pong entre divers tri­bunaux, depuis 5 ans, celle-ci n’a pas encore abouti à un juge­ment réel.

D’abord, après une déci­sion de “con­fi­den­tial­ité sur l’en­quête”, elle est prise en main le 5 août 2012, par le Pro­cureur de République de Diyarbakır. Celui-ci, suite à une déci­sion de “non com­pé­tence”, a trans­féré le dossier le 11 juin 2013 au Pro­cureur de l’E­tat-Major “com­pé­tant” pour avoir causé “la mort par nég­li­gence”. Le Tri­bunal mil­i­taire a décidé 6 mois plus tard, le 7 jan­vi­er 2014, d’un non-lieu. Les familles des vic­times de Robos­ki ont fait par l’in­ter­mé­di­aire de leurs avo­cats, un recours en appel de cette déci­sion. Leur recours a été refusé le 20 juin 2014. Le 18 juil­let, les familles et leurs avo­cats ont sol­lic­ité à nou­veau la Cour Con­sti­tu­tion­nelle. La Cour a refusé le dossier con­cer­nant la mort de 34 civils, pré­tex­tant que dans les doc­u­ments, il man­querait les procu­ra­tions de 3 des 53 avo­cats ayant signé la demande… Les familles, déter­minées dans leur demande de jus­tice, pour­suiv­ent leur lutte depuis 2011 par tous les moyens légaux. Elles ont sol­lic­ité donc le 24 août 2016 la Cour Européenne des Droits Humains. Notons en pas­sant, que c’est Fer­hat Encü lui même, qui a sol­lic­ité la Cour Européenne au noms de ces familles…

Ferhat Encü

Fer­hat Encü et la liste des vic­times de Roboski

Qu’en est-il de la situation de Ferhat Encü ?

Fer­hat a été arrêté et placé dans la prison de Kandıra, dans le cadre de l’en­quête. Il est accusé d’a­gres­sion com­mise, lors des protes­ta­tions con­tre la présence du Gou­verneur dans le lieu de con­doléances. Il aurait don­né “un coup de pied” à celui-ci…

Suite à l’en­quête, un procès a été ouvert le 9 novem­bre 2016, c’est à dire 5 ans après le Mas­sacre de Robos­ki et les con­doléances agitées… Le réquisi­toire a été reçu et approu­vé par le Tri­bunal de Şır­nak, et une demande de “per­pé­tu­ité incom­press­ible” est pronon­cée à l’en­con­tre de Fer­hat. Rap­pelons en pas­sant, que cette peine se sub­stitue la peine de mort après la sup­pres­sion de celle-ci en juil­let 2004 en Turquie. Il est accusé de “ten­ta­tive de meurtre sur une per­son­ne publique dans l’ex­er­ci­ce de sa fonc­tion”. Dans le dossier, le Gou­verneur de l’époque Naif Yavuz appa­raît comme “plaig­nant”.

Pour la même enquête, Fer­hat, avait été mis en garde-à-vue 6 fois de suite, inter­rogé et remis en lib­erté. Ensuite, Fer­hat Encü, député depuis 2015, ayant l’im­mu­nité par­lemen­taire, son cas avait été séparé du dossier, et une requête avait été envoyée au Par­lement, pour qu’il soit jugé. Après la lev­ée de l’im­mu­nité des députés du HDP le 20 mai 2016, pour deux dossiers dif­férents qui le con­cer­nent, dont celui de Robos­ki, Fer­hat a été arrêté, et son cas a été de nou­veau joint au dossier ini­tial. Pour des ques­tions de “sécu­rité”, a annonce la Jus­tice, le procès a été trans­féré du Tri­bunal de Şır­nak au tri­bunal de Diyarbakır. Ce dernier annon­cera dans les jours à venir, la date d’une prochaine audience.

Un réquisi­toire pré­paré par le Pro­cureur de Şır­nak, en cinq jours, en vitesse éclair, accuse le groupe, de “ten­ta­tive de lyn­chage” sur le Gou­verneur lors de sa vis­ite de con­doléances, “avec util­i­sa­tion de pier­res, bâtons, poings”… La thèse du Pro­cureur pré­tend aus­si que les policiers et gardes accom­pa­g­nant le Gou­verneur ont été égale­ment blessés et noti­fie que le Gou­verneur a fourni un rap­port de médecin légiste. Ce rap­port atteste pour­tant con­stater sur la vic­time seule­ment “de légères blessures soignées avec une sim­ple intervention”.

Le coup de pied”, une symbolique forte en Turquie

Pour le com­pren­dre, remon­tons à la cat­a­stro­phe de Soma. Un acci­dent dû aux con­di­tions de sécu­rité non sat­is­faisantes dans la mine avait couté la vie de 301 mineurs. Les proches des vic­times sous le choc et en colère, avaient dénon­cé le manque de sécu­rité dans la mine, et protesté vive­ment, à l’ar­rivée de Tayyip Erdoğan, Pre­mier Min­istre à l’époque, venu sur les lieux. Lors des protes­ta­tions, pen­dant que Erdal Kocak­bıyık, un jeune mineur qui avait per­du ses proches et cama­rades, était main­tenu par les forces de sécu­rité, Yusuf Yerkel qui n’est autre qu’un des con­seillers du Pre­mier Min­istre, lui avait asséné un vio­lent coup de pied. La pho­to de ce geste, qui en dit bien plus long qu’un coup de pied, avait fait le tour du monde et éveil­lé la colère. Quant au con­seiller, il n’a jamais été inquiété, ni retiré de ses fonc­tions. Mais le mineur avait été con­damné à 543 livres turques d’a­mende (136€) pour avoir endom­magé un véhicule blindé (!) sur lequel des dégâts de 2000 livres turques (500€) auraient été déclarés. Notons en pas­sant, sans aucune attes­ta­tion ni con­stat dans le dossier.

Cette image de “coup de pied” étant restée gravée dans la mémoire col­lec­tive du pays, le coup de pied attribué à Fer­hat Encü prend tout un autre sens…

L’im­punité des con­seillers, et proches, pour des faits de vio­lence, des dirigeants, n’est pas chose nou­velle. Tayip Erdoğan lui même avait don­né l’ex­em­ple, en insul­tant lors de sa vis­ite à Soma, un jeune proche de mineur, en le trai­tant de “graine de juif”, après l’avoir giflé.

Ain­si, ont été soigneuse­ment listées une à une, de pseu­dos “affaires”, con­tre des éluEs d’op­po­si­tion et en par­ti­c­uli­er des députéEs, ces dernières années, jusqu’à aboutir aux deman­des de “lev­ée d’im­mu­nités par­lemen­taires” d’a­vant putsch man­qué de juil­let.

L’é­tat d’ur­gence, et la dis­pari­tion de l’é­tat de droit qu’il offi­cialise, per­met donc des “juge­ments” et pronon­cés de con­damna­tions pro­pres à décapiter toute oppo­si­tion au coup d’é­tat civ­il d’Er­doğan. Il s’ag­it d’une poli­tique délibérée, qui fait que le HDP par­le à juste rai­son de “géno­cide poli­tique”. La même poli­tique d’érad­i­ca­tion se mène par exem­ple dans un autre domaine, celui de l’é­gal­ité homme/femme, et de l’ex­er­ci­ce démoc­ra­tique des pou­voirs partagés… La des­ti­tu­tion, puis l’emprisonnement des co-maires femmes, suite à des “dossiers” instru­its, nou­veaux ou anciens, visant là aus­si à détru­ire une pra­tique poli­tique com­mune et inno­vante et des con­quètes fémin­istes obtenues suite à une lutte menée depuis plusieurs années par exem­ple. Nous y reviendrons.

Ferhat Encü ne peut être livré à l’injustice dans l’indifférence générale. C’est lui aussi un otage du régime, une victime expiatoire pour ne jamais avoir à rendre de comptes sur les crimes.


Ajout du 20 jan­vi­er 2017 : Lib­erté con­di­tion­nelle pour Fer­hat Encü con­cer­nant le procès Robos­ki. Mais il restera der­rière les bar­reaux pour un autre procès.… UBU…

Ajout du 15 févri­er 2017 : Fer­hat Encü a été libéré sous con­trôle judiciaire.


Eng­lish: Fer­hat Encü, expi­a­to­ry vic­tim of injus­tice. Clic to read

Traductions & rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Translation & writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.