L’ap­pel de HDP Hiş­yar Özsoy, vice co-prési­dent du HDP, en charge des rela­tions inter­na­tionales, et député de Bingöl, traduit par Eti­enne Copeaux.


Chers amis,

J’e­spère que vous allez pour le mieux. Je vous envoie un long mes­sage, mais s’il vous plaît ayez la patience de le lire jusqu’au bout.

Comme beau­coup le savent, le prési­dent Erdoğan est en train d’im­pos­er un régime extrême­ment autori­taire aux peu­ples de Turquie. Il a instru­men­tal­isé la ten­ta­tive de coup d’E­tat du 15 juil­let pour con­solid­er son pou­voir, en élim­i­nant toutes les voix de l’op­po­si­tion dans le pays, il a désigné notre par­ti, le Par­ti de la démoc­ra­tie des peu­ples (HDP), comme la cible prin­ci­pale, car lors des élec­tions de juin et novem­bre le suc­cès que nous avons rem­porté a blo­qué son pro­jet de créa­tion d’un régime prési­den­tiel en accor­dant à notre par­ti un nom­bre de sièges au Par­lement suff­isant pour blo­quer le change­ment constitutionnel.

Son but main­tenant est de paral­yser notre par­ti avant l’éventuel référen­dum pour la créa­tion d’un sys­tème prési­den­tiel, ou avant des élec­tions anticipées qui se tiendraient en 2017, car il sait bien que le HDP peut à nou­veau obtenir des résul­tats décisifs.

Depuis notre suc­cès élec­toral en juin 2015, et surtout depuis la ten­ta­tive de coup d’E­tat du 15 juil­let 2016, Erdoğan a fait empris­on­ner des cen­taines de per­son­nes du HDP ou du par­ti-frère le BDP (Par­ti pour la paix et la démoc­ra­tie) : sim­ples mil­i­tants, dirigeants, maires élus, mem­bres de con­seils munic­i­paux. Il n’ex­iste aucune charge con­tre eux.

En instau­rant l’é­tat d’ex­cep­tion, Erdoğan est en train de polaris­er la société et d’ag­graver les con­flits eth­niques et sec­taires, ce qui aura pour effet de con­solid­er l’al­liance entre les ultra-nation­al­istes réac­tion­naires et les islamistes, alliance mise en œuvre après le coup du 15 juil­let, alliance qui abouti­rait à la mise en place d’une dic­tature sous cou­vert de « sys­tème prési­den­tiel de type turc ».

S’il atteint son but, Erdoğan ne va pas seule­ment s’en pren­dre aux Kur­des, aux Alévis, aux femmes, aux minorités et aux pau­vres en Turquie, il va désta­bilis­er le Proche-ori­ent, en par­ti­c­uli­er l’I­rak et la Syrie, et créer de graves prob­lèmes à l’Eu­rope en ter­mes de sécu­rité, d’af­flux de réfugiés, et d’économie.

Dans le pays il n’y a plus de lib­erté de la presse, de lib­erté académique, il n’y a plus de sys­tème judi­ci­aire juste et indépen­dant du pou­voir. Par sim­ple décret gou­verne­men­tal, plus de 170 médias ont été fer­més. Les médias alévis et kur­des ont été bal­ayés. Plus de 130 jour­nal­istes sont en prison, y com­pris des auteurs et intel­lectuels mon­di­ale­ment renommés.

Tout récem­ment, deux agences de presse kur­des et plusieurs quo­ti­di­ens kur­des ont été fer­més, et le rédac­teur en chef, des édi­to­ri­al­istes et jour­nal­istes du quo­ti­di­en Cumhuriyet, qui est favor­able au par­ti pro-kémal­iste CHP, ont été emprisonnés.

Des dizaines de mil­liers d’en­seignants et uni­ver­si­taires ont été licen­ciés ou sus­pendus, dont un nom­bre impor­tant sont des Kur­des ou sol­idaires des Kur­des. Ces per­son­nes n’ont absol­u­ment rien à voir avec la ten­ta­tive de coup d’E­tat. Plus de 80 000 fonc­tion­naires ont été sus­pendus ou licen­ciés. Plus de 80 000 per­son­nes ont été mis­es en déten­tion depuis le 15 juil­let, dont le moitié sont encore en prison à l’heure actuelle.

Le 30 octo­bre, Mme Gül­tan Kışanak et M. Fırat Anlı, élus démoc­ra­tique­ment co-maires de Diyarbakır, la plus impor­tante ville kurde de Turquie, ont été arrêtés et empris­on­nés. Un gou­verneur a été nom­mé par l’E­tat pour admin­istr­er la ville, ce qui porte à 28 le nom­bre de munic­i­pal­ités mis­es sous tutelle directe de l’E­tat. Actuelle­ment, une trentaine de maires kur­des, démoc­ra­tique­ment élus, sont en prison, et 70 ont été démis de leurs fonc­tions par le gou­verne­ment cen­tral. Mme Kışanak était députée et co-prési­dente du Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP). Ayla Akat Ata, anci­enne députée et porte-parole du Con­grès des femmes libres kur­des (KJA) a été arrêtée le même jour.

Mal­gré l’avis de la Com­mis­sion de Venise et du Comité des droits humains de l’In­ter-Par­lia­men­tary Union, le régime d’Er­do­gan a con­tin­ué de s’en pren­dre aux députés du HDP mal­gré l’im­mu­nité par­lemen­taire dont ils devraient béné­fici­er, et qui a été lev­ée en mai 2016.

Tout récem­ment, la police turque a agressé physique­ment nos députées Felek­nas Uca, Bes­ime Kon­ca et Sibel Yiği­talp devant la mairie de Diyarbakır, alors qu’elles protes­taient aux côtés de la pop­u­la­tion locale con­tre la mise en déten­tion des deux co-maires de la ville. Mme Uca a été grave­ment blessée au bras et hos­pi­tal­isée. Avant d’être au HDP, Mme Uca a été députée au par­lement européen durant deux sessions.

Le 1er novem­bre, un tri­bunal turc a imposé l’in­ter­dic­tion de voy­ager à l’é­tranger à notre co-prési­dente Mme Figen Yük­sek­dağ. Le 2 novem­bre, la Cour de cas­sa­tion a approu­vé une sen­tence de dix mois de pris­ons pronon­cée con­tre Mme Yük­sek­dağ, en rai­son d’un dis­cours pronon­cé en 2012, sous pré­texte de « pro­pa­gande terroriste ».

Le 3 novem­bre, Fer­hat Encü, député (HDP) de Şır­nak, s’est vu con­fis­quer son passe­port à l’aéro­port d’Is­tan­bul, alors qu’il par­tait pour Brux­elles. C’est, de fait, une inter­dic­tion de voy­ager qui a été pronon­cée à son encon­tre. Les médias pro-AKP ont pré­ten­du que M. Encü « allait s’en­v­ol­er pour Brux­elles, un foy­er du ter­ror­isme ». Env­i­ron trente mem­bres de la famille de M. Encü, de sim­ples vil­la­geois, ont été tués près du vil­lage de Robos­ki (Kur­dis­tan turc) par un raid aérien en décem­bre 2011. C’est prob­a­ble­ment parce qu’il a par­ticipé à un mou­ve­ment de protes­ta­tion aux côtés de la pop­u­la­tion du vil­lage, con­damnant le mas­sacre et exigeant jus­tice pour les vic­times, que M. Encü est inter­dit de voy­ager. Il est accusé de « pro­pa­gande terroriste ».

Le 3 novem­bre, la police et des mil­i­taires ont investi le domi­cile de notre députée de Şır­nak, Mme Aycan İrmez, et ont insulté les mem­bres de sa famille.

Main­tenant qu’il a arrêté ou démis de nom­breux maires kur­des, le régime d’Er­doğan et de l’AKP pré­pare l’ar­resta­tion des députés du HDP, et très prob­a­ble­ment ses co-prési­dents. Il existe 103 charges con­tre Sela­hat­tin Demir­taş, notre co-prési­dent, en rai­son du con­tenu de ses dis­cours. Les charges sont tou­jours les mêmes : pro­pa­gande terroriste.

Nous vivons une époque étrange en Turquie. Il n’y a plus que deux camps dans le pays : soit vous êtes pour Erdoğan et l’AKP, soit vous êtes pré­ten­du­ment un sou­tien des putschistes du 15 juil­let, ou un ter­ror­iste, ou un traitre – sou­vent les trois en même temps. Erdoğan ne laisse aucune place à une troisième pos­si­bil­ité, tout doit être noir ou blanc. Mais nous, en tant que HDP, nous occupons la zone grise, et c’est intolérable aux yeux d’Erdoğan.

Ce qui est devant nous est plus grave encore. S’il vous plaît, débat­tez de la sit­u­a­tion en Turquie, en par­ti­c­uli­er des pres­sions sur les maires kur­des, sur les députés du HDP et de la répres­sion sur les médias, dans le cadres de vos par­tis, de vos organ­i­sa­tions et insti­tu­tions, et agis­sez sans délai.

Au moment où je ter­mine cette let­tre (il est 1h 27 du matin, ce 4 novem­bre), je reçois des mes­sages m’in­for­mant de l’ar­resta­tion de M. Fer­hat Encü. J’ap­prends que la police encer­cle le domi­cile de notre co-prési­dente Figen Yük­sek­dağ, de notre député de Şır­nak Ley­la Bir­lik, et de notre député de Diyarbakır Ziya Pir. La guerre d’Er­doğan con­tre le HDP est en train de pren­dre une tour­nure dif­férente et extrême­ment dangereuse.

Paix et solidarité !

Hiş­yar Özsoy, député de Bingöl, vice co-prési­dent du HDP, en charge des rela­tions inter­na­tionales, député.

Pour l’in­stant, compte tenu des infor­ma­tions disponibles, ce député ne fig­ure pas sur la liste des incar­cérés d’hier…

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