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Nous pub­lions ce texte, con­stru­it à par­tir de témoignages recueil­lis dans le dis­trict de Sin­jar, libérée du con­trôle de Daech fin 2015.

Sinjar

Com­bat­tant yezi­di dans la ville de Sin­jar en ruine
pho­to ©PYB

La prise par Daech, de ces ter­ri­toires à grande majorité Yézi­die, avait don­né lieu à tueries, vio­ls et enlève­ments de femmes, en même temps qu’un exode d’une par­tie des pop­u­la­tions avait été facil­ité par les com­bat­tants du PKK venus à la rescousse, suite aux appels au sec­ours. L’attitude des troupes kur­des d’Irak, les Pesh­mer­gas, avait don­né lieu à polémique en août 2014, lors de ces mas­sacres com­mis par Daech.

Depuis, les Yezidis et leurs représen­tants poli­tiques et religieux ten­tent autant de faire recon­naître leurs droits que d’obtenir la libéra­tion des leurs, femmes et enfants, encore aux mains de Daech.

S’ils par­ticipent avec quelques com­bat­tantEs aux forces de libéra­tion et de pro­tec­tion dans la région, et aux côtés des forces du Roja­va, l’intégration et la coex­is­tence poli­tique dans le cadre du proces­sus en cours n’est pas aisée, au vu des con­tentieux de 2014 et précédents.
La ques­tion est récur­rente entre les mou­ve­ments Kur­des irakiens et syriens notam­ment, par contrecoup.

Alors, pourquoi pub­li­er un texte qui remue le couteau dans la plaie, plutôt qu’un autre qui décrirait depuis le dis­cours à l’ONU d’une représen­tante du peu­ple yezi­di, le com­bat pour la recon­nais­sance d’un génocide ?
Sim­ple­ment parce que le proces­sus en cours au Roja­va, con­struc­tion poli­tique frag­ile dans ce con­texte de guerre per­ma­nent et devant pour­tant pren­dre en compte exodes de pop­u­la­tions, con­tentieux his­toriques entre elles, n’autorise pas à cacher les prob­lèmes et les difficultés.

Le texte donne, par ses courts témoignages, qui datent déjà, et ses auteurs en pren­nent la respon­s­abil­ité, une ver­sion plutôt côtés kur­des des “diver­gences ».
Une toute petite pierre pour un débat qui mérit­erait qu’on insiste, ne serait-ce que pour ne pas oubli­er les tueries de 2014, et par­ler de l’avenir d’une minorité vio­lée qui réap­prend à sur­vivre. L’ar­ti­cle fut écrit en 2015.

Et pour met­tre cet arti­cle en miroir avec d’autres, sur la même ques­tion, une fois n’est pas cou­tume, vous trou­verez ensuite ici une série de liens utiles.


Les Yezidis ont-ils été abandonnés ?

Sin­jar city a été reprise des mains de Daech le 13 Novem­bre dernier par les forces kur­des (2015). Mal­gré la libéra­tion de la ville du nord de l’Irak, la pop­u­la­tion Yezi­di craint pour son avenir. En effet, cette com­mu­nauté minori­taire est prise dans des con­flits poli­tiques entre les dif­férents par­tis qui divisent les mou­ve­ments et entités kurdes.

Sin­jar City est un champ de ruine. La ville, libérée le 13 novem­bre dernier par les forces Kur­des, témoigne des com­bats pugilis­tiques menés con­tre Daech depuis près d’un mois. Les rues sont bar­rées par des mon­tagnes de gra­vats. Des volutes de fumées noires éma­nent encore des maisons en feu. Des camions vont et vien­nent pour sauver ce qu’il reste. Meubles, cou­ver­tures, fri­gos, sou­venirs y sont accrochés. Quelques anciens habi­tants retour­nent pour la pre­mière fois dans la ville après un an de déser­tion. Ils con­sta­tent l’ampleur des dégâts causés par la guerre et l’occupation de Daech depuis août 2014. “Ici, il y avait la mai­son de mon frère, il ne reste plus rien” lance un homme, acca­blé, en mon­trant un habi­tat décom­posé en une kyrielle de parpaings éclatés  “Elle a été bom­bardée pen­dant l’offensive, la mienne est à coté”. Un mur mitoyen a été emporté par la sec­ousse de la frappe.

Au cœur de ce théâtre sin­istre, de nom­breuses traces de l’Etat Islamique sont pro­gres­sive­ment décou­vertes : Des murs sont parsemés de graf­fi­tis dji­hadistes. “Moud­jahidines, soit patient” peut-on lire sur l’un d’eux. Une mosquée, recou­verte de coran en cen­dre, dégage une odeur de souf­fre jusque dehors. Un corps encore iden­ti­fi­able se décom­pose au soleil sur un amas de pierre. Cer­taines maisons regor­gent de tun­nels, de mines et de pièges en tous gen­res, ren­dant la réap­pro­pri­a­tion longue et périlleuse. “Cer­tains tun­nels font jusque 100m de long. Ils leur ser­vaient à se pro­téger des frappes aéri­ennes, à s’enfuir pen­dant les offen­sives ou encore à con­coc­ter leurs bombes arti­sanales” explique Kour­tay, offici­er de com­mu­ni­ca­tion du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK) à Shengal.

Sinjar

Beri­tan (à droite) est une com­bat­tante kurde du Roja­va, elle com­bat à Sin­jar aux côtés des yezidis
pho­to ©PYB

Les Yezidis rejoignent tous un camp. Cer­tains par con­vic­tion, d’autre par défaut. Dépourvus des ressources économiques, poli­tiques et mil­i­taires néces­saires à l’indépendance, cette com­mu­nauté minori­taire du nord de l’Irak a été entrainée dans un con­flit poli­tique qui la dépasse.

Par­mi les pesh­mer­gas, la cohab­i­ta­tion entre les dif­férentes com­mu­nautés est dif­fi­cile. En effet les Yezidis, con­sti­tu­ant la moitié de l’armée sta­tion­née dans le Sin­jar, com­bat­tent aux côtés des Kur­des, majori­taire­ment sunnites.
Leur reli­gion n’appartenant pas à celle du livre, cer­tains musul­mans rig­oristes au sein des pesh­mer­gas leur attribue le titre “d’adorateur du diable”.

Les Yezidis quant à eux, se sou­vi­en­nent que leurs prin­ci­paux oppresseurs à tra­vers l’his­toire sont les musul­mans, toutes eth­nies con­fon­dues. Mal­gré leur alliance face aux hommes du Daech, cette anci­enne querelle est tou­jours aus­si vive.
Le 20 novem­bre dernier, dans le vil­lage de Sowlakh, des pesh­mer­gas, Yezidis et Kur­des avaient pour mis­sion d’é­vac­uer les habi­tants, des arabes sun­nites, vers l’in­térieur du Kur­dis­tan. Pour les Yezedis, ces gens qui avaient vécu une quin­zaine de mois sous la coupe du Daech, ont soutenus les dji­hadistes dans le mas­sacre de leur pop­u­la­tion. Du point de vue des Kur­des, il fal­lait aider des civils, des “frères” musul­mans. Le désac­cord entre les pesh­mer­gas a dégénéré en échanges de coups de feu. L’escar­mouche a fait plusieurs morts et blessés de chaque côté.
Il s’ag­it d’un malen­ten­du entre frères. Cela n’au­ra pas plus d’im­pact, le prob­lème a été résolu. Les com­bat­tants mis en cause sont à présent côte à côte sur un check­point” explique Qas­sim Shesho, com­man­dant en chef des forces pesh­mer­ga dans la région. Selon la pop­u­la­tion locale, des cas sim­i­laires se sont déjà produits.

Sinjar

Aza­di (à gauche) à côté de com­bat­tants kur­des et yezidis
pho­to ©PYB

Une trahison impardonnable

Selon plusieurs témoignages des habi­tants de la ville, la veille du mas­sacre du 3 août 2014, les pesh­mer­gas ont prof­ité de l’ob­scu­rité pour se retir­er en ordre, de leurs posi­tions dans le Sin­jar. Plus nom­breux, mais moins bien armés, ils ont décidés, sans prévenir la pop­u­la­tion locale, de bat­tre en retraite. Lais­sant leur matériel sur place ain­si que plus de 3000 Yezidis qui tra­vail­laient en tant qu’a­gents de sécu­rité pour le PDK. Par­mi la pop­u­la­tion de Sin­jar, le sen­ti­ment de trahi­son est resté très fort. Qasim Shesho con­sid­ère que son prédécesseur, en charge au moment de l’at­taque, n’é­tait qu’un “lâche”.
Le 3 août j’é­tais là. Je n’ai vu aucun com­bat­tant du Daech, pas même de véhicules. J’ai vu les pesh­mer­gas s’en­fuir et aban­don­ner leur matériel, nous avons récupéré leurs armes pour ten­ter de résis­ter. Ils n’ont pas com­bat­tu, je pense que leur départ était prévu. Les kur­des se reti­raient, les Yezidis sont restés pour se bat­tre. Selon moi ils voulaient les laiss­er se faire tuer.” racon­te un ancien agent de sécu­rité du PDK.
Tous les kur­des n’ont pas aban­don­nés les Yezidis à leur sort funeste.

Les hommes du PKK sont arrivés en ren­fort pour com­bat­tre les dji­hadistes. C’est grâce à leur inter­ven­tion qu’un cor­ri­dor human­i­taire a pu être mis en place et ain­si bris­er l’encer­clement des pop­u­la­tions réfugiées dans la mon­tagne. Agit Kalani, com­man­dant par­mi les forces du HPG s’ex­prime sur les raisons de leur venue : “Nous sommes présents ici pour deux raisons, libér­er le Sin­jar ain­si que pour pro­téger sa pop­u­la­tion. C’est grâce à notre inter­ven­tion que les 3000 Yezidis aban­don­nés par le PDK on put être sauvé et c’est en coopéra­tion avec les Yezidis que nous avons réus­si à ouvrir le cor­ri­dor qui a per­mis aux réfugiés de sur­vivre au siège.” Une part impor­tante de la pop­u­la­tion Yezidis est très recon­nais­sante pour le rôle que le PKK joue dans la région. “Cela fait quinze mois que mes trois filles se bat­tent dans le YBS. Les hommes et les femmes du PKK sont venus nous aider, et si un jour, ils ont besoin de notre aide, ailleurs, mes filles iront se bat­tre à leurs côtés” explique Saeed Has­san, vivant dans le camp de réfugiés de Sair­dashty. Cepen­dant, pour d’autres, la recon­nais­sance exprimée est assez nuancée : “Nous remer­cions le PKK de nous aider à défendre notre peu­ple et notre terre. Mais main­tenant ils veu­lent rester, nous sommes très recon­nais­sants mais nous ne voulons pas être sous leur con­trôle.” souligne l’an­cien agent de sécu­rité du PDK.
Même si le PKK jouit d’une recon­nais­sance qua­si unanime au sein de la com­mu­nauté yézidis, un grand nom­bre d’en­tre eux se bat­tent pour­tant tou­jours au sein des Peshmergas.

Dersim, regarde sa ville dévastée photo ©PYB

Der­sim, regarde sa ville dévastée pho­to ©PYB

Selon Qasim Shesho “Les Yezidis qui aiment le PKK vien­nent de famille pau­vres et n’ont aucune édu­ca­tion. Même si pour cer­tains la con­fi­ance a été brisée avec les Kur­des, elle revien­dra. Seuls les Pesh­mer­gas sup­por­t­ent et pro­tè­gent les Yezidis. Nous avons du mal à faire con­fi­ance aux Kur­des mais le prési­dent Barzani est le seul qui nous aidera.” Cepen­dant il est bon de rap­pel­er que Qasim Shesho leader de la Force de défense du “Êzidîx­an” (HPE), a per­du une par­tie de sa légitim­ité face à ses hommes, son statut de com­man­dant fût remis en cause. C’est grâce à l’aide active du PDK qu’il s’est main­tenu aux com­man­des. La frac­ture scinde même la famille du leader Yezidis. Son neveu, Hey­dar Shesho a payé le prix de son oppo­si­tion au PDK. Les hommes de Barzani l’emprisonnèrent pen­dant une ving­taine de jours à cause de sa sym­pa­thie pour l’UPK et le PKK.

Si beau­coup de yezidis se bat­tent dans les rangs des Pesh­mer­gas, il s’ag­it plus de prag­ma­tisme que d’affinité poli­tique. En effet, con­traire­ment au PKK, tou­jours con­sid­éré comme organ­i­sa­tion ter­ror­iste par de nom­breux pays occi­den­taux, dont la France, le PDK pos­sède d’im­por­tantes ressources. D’un point de vue mil­i­taire, les hommes du gou­verne­ment région­al du Kur­dis­tan dis­posent de plus d’hommes, d’équipements mais surtout d’ar­gent. Ces fonds ne seront pas seule­ment utiles à l’en­tre­tien des forces armées, ils seront d’une grande util­ité pour les Yezidis afin de rebâtir leurs vil­lages et la ville dévastée de Sinjar.

Mal­gré leur engage­ment au sein des pesh­mer­gas, beau­coup de yezidis souhait­eraient avoir les moyens de se pro­téger eux mêmes afin d’éviter qu’un événe­ment comme celui du 3 août ne se repro­duise. Cet avis est partagé par le com­man­dant Agit Kalani du PKK : “Il serait bon pour les Yezidis qu’ils dis­posent d’une cer­taine autonomie au sein du Kur­dis­tan irakien.”
De nom­breux com­bat­tants et com­bat­tantes Yezidis ont rejoins les rangs du PKK, des pesh­mer­gas ou de l’alliance Shin­gal et con­tin­u­ent de se bat­tre pour un avenir louable. “On est ici pour pro­téger nos proches et nos ter­res après ce qu’il s’est passé l’année dernière» lance Sila­va jeune com­bat­tante du YBS. “Nous sommes de plus en plus fortes mais nous avons besoin de sou­tiens mil­i­taire et logis­tiques. Daech s’est doté de tech­niques effi­caces, de beau­coup de com­bat­tants et d’armes lour­des” explique une de ses amies.

Les con­flits armés s’éloignent des abor­ds de Shen­gal. La mis­ère et l’appréhension quant à l’avenir des Yezidis seront, elles, plus dures à déloger. “Je souhaite obtenir une pro­tec­tion nationale et inter­na­tionale. A ce moment là je pour­rais songer à un avenir pour ma famille” explique un réfugié Yezi­di. “Seule une aide venant de l’extérieur du pays peut nous récon­forter. Nous souhaitons un sou­tien mil­i­taire et un con­sul Yézidis indépen­dant qui peut représen­ter notre com­mu­nauté”.

C. T. et P.Y.B.


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