Nous avons lu il y a peu, des analyses au sujet de “la guerre des villes” au Kurdistan turc, faisant état d’une “guerre perdue par le PKK” dans un cas, “d’une guerre inutile” dans d’autres.
Loin de nous l’idée de faire une exégèse complète, ou de pseudos-intentions du PKK, ou d’un échec militaire face aux forces de répression du régime Erdogan. Nous pensons simplement que cela ne s’analyse pas en ces termes, et que cette réalité ne peut être coupée de la période des années 1990 entre autres, tout comme de celle des quelques années qui ont précédé la rupture unilatérale des discussions sur le processus de paix, par Erdogan en 2015.
La dimension “jeunesse” de cette résistance armée est aussi le lien qui fait le pont entre présent et passé proche.
Immédiatement après l’attentat de Suruç, et une réaction punitive de la branche armée du PKK (Une action punitive qui avait été conduite (…) contre deux policiers qui coopéraient avec le gang de l’EI à Ceylanpinar…disait un communiqué PKK de l’époque), l’AKP brisait unilatéralement le cessez le feu et le processus de paix et de négociations, déjà bien mis à mal par le gouvernement. C’est le début de la relance de la campagne électorale par la guerre.
Le régime AKP venait de subir un avertissement dans les urnes, en juin de la même année, avec le très bon score électoral du HDP, vu la situation politique début 2015. Ce score était important et largement massif, dans les régions et zones à majorité kurde, mais pas que. Et on se doit de l’interpréter dans les régions où les municipalités étaient gérées par des élus de l’opposition démocratique, que comme le résultat d’une confiance donnée et amplifiée, et surtout pratiquée. Dans ces régions, en effet, et pour la première fois, les “communes” étaient gérées avec des co-maires (un homme, une femme à égalité) et avec mise en place de “conseils” élargis aux représentants de toutes les minorités. Bien sûr, on était encore loin du “communalisme” qui est une des propositions inscrites au coeur du projet de confédéralisme démocratique. Et même si ce projet a été élaboré à l’instigation du leader du PKK, il dépasse aujourd’hui de loin la confidentialité de décisions internes de partis ou mouvements, et donc le PKK lui même.
C’est donc la pratique démocratique qui s’est reportée en 2015, vers le vote HDP, entre autres, aux élections nationales de juin.
Dans le même temps, une bonne partie de la jeunesse kurde, peu “électoraliste”, regardait ailleurs. Elle était engagée sur place, à la fois dans la résistance à l’oppression militaire et policière toujours présente, malgré la situation de “processus de paix”, et dans l’organisation des quartiers et de la vie sociale, avec le souvenir douloureux et permanent des deuils familiaux, des histoires de déracinement, de meurtres et tortures… Ce n’est absolument pas schématiser que de décrire les historiques de l’immense majorité des familles arrivées “en ville”, suite aux destructions de villages des années 1990, comme élément majeur dans la détermination politique collective de beaucoup de jeunes, combattants de la première heure, dès le début des états de siège décrétés par le régime Erdogan en 2015. Et dire qu’il s’agit là “d’ukases” du PKK pour les envoyer combattre, c’est justement ignorer cette détermination qui dépasse de très loin les frontières de l’organisation militaire du PKK.
Il est très difficile, alors que ce débat n’a pas lieu au grand jour, de savoir quels furent les éléments déterminants, qui motivèrent les appels, décisions et combats, entre à la fois, les “déclarations d’autonomie” de zones du Kurdistan turc, la mise en place de la politique des “fossés”, éléments d’auto défense des quartiers et des villes, face aux offensives militaires qui n’ont pas tardé, dès la rupture du “cessez le feu”, et enfin les “consignes” politiques et militaires en provenance du PKK. Dans ces conditions, parler d’échec du PKK dans “la guerre des villes”, est totalement réducteur, et plus accusatoire qu’éclairant.
Oublier tout d’abord que cette “guerre des villes”, n’est pas la réponse proportionnée aux déclarations d’autonomie, mais bien une politique délibérée du gouvernement AKP pour polariser la société civile et réouvrir les plaies béantes, afin de se garantir un retour des choses sur le plan électoral, c’est ne rien comprendre à la politique d’Erdogan. Cette guerre n’est tout simplement pas celle du PKK, ou d’on ne sait quelle aile de “faucons” en son sein. Croire ensuite que les jeunes combattantEs qui se sont dresséEs contre les états de sièges sont des soldats obéissants aux ordres venus d’en haut, c’est corroborer la thèse “nationaliste” et gouvernementale, des combattantEs coupéEs des populations et justes “terroristes”. Cette thèse va jusque dans les rangs kémalistes en Turquie, rappelons-le, et justifie aujourd’hui tous les “états d’urgence”.
Oublier qu’aux élections suivantes, une partie des voix de cette jeunesse combattante ne sont pas allées vers le second processus électoral, et que ces voix se sont élevées “contre l’Etat”, c’est ne pas comprendre non plus la radicalité “politique” du mouvement kurde, pas toujours contenue par les “partis”.
La guerre des villes a bien eu lieu, et se poursuit… Le PKK n’y était pas un cheval de Troie.
Les forces disproportionnées de l’armée turque, des milices supplétives, de la police et de la gendarmerie sur-équipées, ont, par des massacres, des destructions, des exactions et des crimes, conduit la résistance à esquiver désormais le combat sous “état de siège”. Cela autorise-t-il à sous entendre que cette résistance fut inutile, préjudiciable aux populations, et rejetée par elle ? Que cette “guerre perdue” réfute encore davantage une “stratégie militaire” du PKK ?
Cela revient à dire que la “force de l’Etat turc” disqualifie à l’avance la résistance militaire, et allons‑y, pendant qu’on y est, l’idée même d’utilisation de la violence, pour un processus politique. Les populations n’avaient qu’à tendre l’autre joue.
Voici la traduction d’un témoignage, diffusé par l’agence de presse JINHA, parmi tant d’autres, que peut recueillir tout journaliste s’il se rend sur place.
Mevlide Yılmaz a dû quitter son domicile, après la résistance qui avait commencé en décembre 2015, contre le “siège”. Elle revient dans la rue où le couvre-feu avait été imposé, et regarde sa maison du haut de bâtiments dans le quartier Alipaşa ; elle attend le jour où elle retournera habiter à Sur.
La résistance, qui a duré 103 jours dans le quartier Sur de Diyarbakır, est devenue inoubliable pour beaucoup de gens. Mevlide Yılmaz en fait partie. Mevlide a dû quitter sa maison dans le Quartier Savaş. Elle ne peut toujours pas rentrer dans la rue où se trouvait son domicile, en raison du couvre-feu maintenu. Elle regarde sa maison tous les jours.
Mevlüde nous a montré comment les “creuseurs” étaient près de chez elle avec le doigt et dit: “Ma maison était juste derrière les fossés. J’ai regardé la destruction d’ici pendant des mois. Bien sûr, je savais que le tour de ma maison allait venir. Maintenant, je regarde ma maison pourtant restée en assez bon état; cependant, elle sera détruite demain. Ils démolissent tous les foyers, mais ils ne savent pas que nous ne laisserons pas faire, pas détruire totalement Sur, et que nous allons y retourner.
Je ne pourrai jamais oublier la douleur sur le visage des jeunes, même si les âges passent. Je regarde les maisons démolies, je souhaite à tous les jeunes d’être encore en vie aujourd’hui. Et on n’a rien gagné. Je pense à ce que je vais sentir en rentrant dans Sur lorsque le siège sera levé. Il y a le sang de la jeunesse qui a coulé dans toutes les rues; nous allons les sentir même si cela a apporté toutes ces ruines. ”
Mevlide attend le jour où elle retournera à Sur afin de respecter la parole faite à la jeunesse. Elle dit: “J’ai donné ma parole aux jeunes, et je vais revenir à Sur. L’Etat pense continuer cette destruction, mais la situation sera la même lorsque le siège sera levé. Ils ont mis des pierres en bloc à l’entrée de chaque rue. Nous souffrons tous de ne pouvoir entrer dans nos rues. Ils devraient lever l’interdiction immédiatement “.
Cherchez bien, vous en trouverez des centaines d’autres du même genre, qui démontre l’attachement et la reconnaissance des populations aux jeunes combattantEs, même dans la détresse extrême d’aujourd’hui. Car ce sont tout simplement leurs enfants, et pour celles et ceux vivants, leur avenir.
Il n’était pas dans notre intention de faire le tour d’un débat qui a de réelles racines. Le mouvement kurde devra tirer les enseignements de cette suprématie militaire et policière de l’Etat turc, de la coupure dans la société turque, bien visible et accentuée depuis le putsch manqué… Ce n’est pas aux “journalistes de le faire péremptoirement”, à notre sens, surtout en Europe.
Avoir l’à priori également de refuser de prendre en considération la main de paix tendue malgré tout, en permanence par les mouvements démocratiques, y compris suite à la rencontre dernière avec Öcalan, c’est aussi condamner toute la société civile turque à la guerre inéluctable, en jugeant à l’avance tout mouvement pour la paix mensonger et manipulé… Et rejoindre ainsi une pensée dominante entretenue en Turquie, des médias “alliés” jusqu’à certains dits plus libres encore, mais dans la “croyance” de l’ ”unité nationale contre le terrorisme”.
Par contre, nous pourrions en attendre davantage, dans la presse d’ici, sur le terrain de la solidarité.
Solidarité concrète avec leurs “frères de plumes, de caméras ou du web” d’abord, qui sont emprisonnés par paquets de dix, régulièrement, et pas seulement avec de grands noms qui “surnagent”, parce que leur côté “modéré” arrange…
Solidarité au nom de la “démocratie”, tant chérie, mais qui s’arrête aux frontières européennes, surtout pour les fermer.
Solidarité en faisant connaître les initiatives d’échanges, humanitaires, de soutiens financiers, avec les populations civiles en détresse, suite à la “guerre des villes”.
Et nous en rappelons une, où nous nous sommes engagés, parmi d’autres.
« Le Kurdistan en Flammes » soirée de soutien • Paris 27/10
Et comme nous ne voudrions pas nous fâcher avec des journalistes que nous connaissons bien ou virtuellement, nous rappelons que toute ressemblance avec des amiEs serait involontaire ou fortuite. Tous les amiEs journalistes qu’on aime et connaît à Kedistan le sont… “journalistes”, alors les incriminéEs se reconnaitront.
Il est vrai que nous en avons un peu assez d’entendre parler à KEDISTAN de sacro-sainte dame “objectivité” et de constater que les mêmes s’autorisent une subjectivité totale, là où ils/elles sont illégitimes, quand il s’agit de participer à un tir de barrage…