Place Taksim à Istanbul, en ce dimanche 24 juillet, 9 jours après la tentative avortée de coup d’État d’une fraction de l’armée, se tient un rassemblement « pour la République et la Démocratie ».
A l’écoute des médias officiels turcs, ceux dont les discours sont passés au crible de la censure Erdogan, on y apprend que le régime se félicite de ce « grand rassemblement populaire , qui devrait démontrer à tous les critiques en Europe et ailleurs, que la démocratie est vivante en Turquie ».
On y apprend aussi que ce rassemblement d’opposition est en fait unitaire, puisque l’AKP, parti d’Erdogan, y figure et le met en avant.
La logistique du meeting place Taksim a été assurée grâce aux services de la mairie d’Istanbul, et la place Taksim, symbole de toutes les luttes, a été réouverte à l’occasion.
Tout semble donc se faire dans la plus grande « unité nationale »… CHP kémaliste qui organise, AKP qui s’invite, ultra nationalistes qui amènent la sauce… Le grand charlie turc promène ses drapeaux et ses portraits du père fondateur, sans oublier de rappeler l’actuel.
A Kedistan, nous sommes plus qu’attristés que, face à cette mascarade, l’effet peur, de choc, de grande trouille et panique, aient, comme en France début 2015, amené la gauche démocratique, écologique, voire gauche de la gauche, à appeler aussi à communier avec les foules sous le drapeau, pour la photo de famille, avec tous les grands frères.
Non content d’avoir réussi un coup d’État qu’il n’a pas eu à organiser, Erdogan vient encore de prouver qu’il avait un boulevard politique face à la faiblesse organisée de ses opposants, toujours prêts à s’abriter derrière le grand père kémaliste, le CHP.
Contribuer à prouver en effet par cette supercherie de rassemblement, abondamment médiatisé en europe et par le monde, à faire croire à « l’unité pour la démocratie », n’est pas seulement une erreur politique, une « imbécilité », au sens « faible d’esprit » du terme. C’est aussi un immense fossé qui est creusé, vis à vis de celles et ceux pour qui tous les combats contre Erdogan s’appuyaient aussi sur celui d’une minorité assassinée, les Kurdes, et de toutes les autres dans le pays.
“Non aux coups d’État”
Nous avions déjà pu constater qu’aux élections de novembre 2015, sondage grandeur nature, la fêlure était présente, et une partie de ces opposants politiques avaient choisi la « stabilité » avec le CHP. Le militantisme pour la paix était devenu la trouille de la guerre. Les mêmes aujourd’hui, par opportunisme ou crainte d’être les suivants sur la liste, désertent… dans la confusion et les justifications en tous genres.
Istanbul croule sous les drapeaux et la « démocratie retrouvée ».
Cette démocratie là va devoir s’arranger des milliers d’arrestations, des fonctionnaires mis en vacances et interdits de voyager, des biens expropriés qui vont des cliniques et hôpitaux, centres culturels, même restaurants parfois, aux écoles et secteurs d’université… Vive la nationalisation ? Nous avons bien dit « expropriés »… et mis en gérance, via un ajout dans la loi anti terroriste. Autant les listes étaient prêtes, autant l’arsenal législatif avait été voté en conséquence, y compris par les députés du CHP, la belle « opposition kémaliste » d’aujourd’hui sur la place, drapeau de la république à la main.
Elle va devoir s’arranger aussi de l’éviction des juges, des purges dans la justice. Elle va peut être demain s’arranger du retour de la peine de mort pour les centaines de putschistes arrêtés dans l’État Major (jusque dans la garde présidentielle dissoute)… Elle va devoir fermer les yeux sur la torture, les arrestations et détentions arbitraires, validées par l’état d’urgence nationale. La liste serait longue, si l’on devait tout citer.
On ne sait quel terme appliquer à cette mise en place d’un totalitarisme nationalo-islamique, qui trouvera demain son triomphe dans une totale présidentialisation, et un règne absolu d’Erdogan.
Le Sultan est habile, mais il parvient à ses fins, en utilisant les tentatives de coups de tous les adversaires, et en trouvant toutes les faiblesses à exploiter, quand ce n’est pas tout simplement la peur que son régime inspire.
L’opposition de gauche se défend avec des drapeaux de papier et des « c’est pas nous » qui inévitablement se retourneront contre elle, après qu’Erdogan aura fait son grand chambardement. Au passage, les accusations de « terrorisme » à l’encontre des vrais combattants de la démocratie seront le prix à payer des trahisons et confusions politiques.
Nous savons bien que certaines et certains de nos lecteurs vont nous reprocher un jugement sévère à distance sur ce rassemblement de la place Taksim… Ils se trompent. Nous nous faisons la voix de celles et ceux qui ne sont pas prêts à plier en Turquie.
Ils sont souvent majoritairement Kurdes ou défenseur de la « cause kurde », veuillez nous en excuser… Ils se battent au Rojava et ailleurs, pour proposer une alternative régionale, une démocratie à la Turquie, qui ne soit pas le resucé des recettes et du refoulé kémaliste qui ont fourni à la Turquie ses massacres et ses charniers, sous bannière nationaliste. Nous n’avons même pas besoin de parler du refus du régime AKP…
Loin de nous l’idée de nous faire donneurs de leçons, dans une situation si inextricable.
Mais quand la parole des minorités, une fois de plus, se retrouve écrasée par des alliances nationalistes contre nature, et que même « la gauche » y flotte comme dans un marigot, nous sommes colères.
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Dernière minute — 21h : En remerciement pour leur “posture positive” prise lors du putsch, les dirigeants du CHP, et des ultra nationalistes, seront demain au Palais, à l’invitation d’Erdogan et du premier ministre. Ils ont accepté, pour parler “avenir de la démocratie”…
Les fabricants et vendeurs de drapeaux se frottent les mains…
Image à la Une : Pancarte : “La souveraineté appartient à la nation”.