İnan Mayıs Aru est objecteur de con­science en Turquie. Accusé du délit de « refroidir le peu­ple du mil­i­tarisme » (ou « refroidir les pop­u­la­tions du ser­vice mil­i­taire »), il était, le 30 mars dernier, devant les juges.

Mayıs Aru, pub­li­ait sur son éven­e­ment Face­book, un appel à la sol­i­dar­ité à la veille de son procès et expli­quait sa démarche.

L’arbre a dit à la hache
Tu n’aurais pas pu me couper mais
que puis-je faire,
ton manche est de ma matière.
Quelle con­science a cet arbre.
Celui qui meurt c’est moi,
celui qui tue est de ma matière.

Très jeune, je savais que je n’allais pas faire le ser­vice mil­i­taire, que son éthique était con­traire à la mienne. Avec le temps, grâce à des amis qui ont pris ce chemin avant moi, j’ai mieux com­pris com­ment je pou­vais ne pas y aller, par quels moyens je pou­vais résis­ter con­tre une chose que je ne voulais pas faire. Le moyen de résis­ter était tout sim­ple­ment de dire claire­ment et net­te­ment « Je ne le ferai pas ! »

Mais à quelle hau­teur il était effi­cace de dire « je n’y suis pas » pour expos­er l’éthique qui fait face à une insti­tu­tion qui mas­sacre la vie, qui enlève l’identité per­son­nelle des gens pour les trans­former en ces rouages d’une machine, et qui sub­lime le fait de tuer et de mourir ? La roue tour­nait sans toi, mal­gré tout, il suff­i­sait que tu restes loin, que tu te taises.

C’est pour cela que con­tre la pro­pa­gande obscure menée partout, j’ai expliqué à des per­son­nes que je pou­vais attein­dre avec mes moyens de bord, qu’ils pou­vaient ne pas aller au ser­vice mil­i­taire s’ils ne le voulaient pas, et que le sys­tème qui dit qu’ils le doivent est menteur et usurpa­teur, et que le refus du ser­vice mil­i­taire est un choix possible.

Aujourd’hui, dans le cli­mat de guerre que nous tra­ver­sons, ceci n’est plus un choix pos­si­ble mais néces­saire. Je suis donc accusé du délit absurde de « refroidir le peu­ple du mil­i­tarisme » parce que j’ai la con­vic­tion qu’une per­son­ne qui pos­sède un brin de con­science et de respect pour la vie, ne peut pas par­tir au ser­vice mil­i­taire dans la joie et la fête avec tam­bour et trompettes, et que je fais appel, j’explique les moyens et méthodes.

Je serai jugé le 30 mars au Tri­bunal Pénal de Muğla à 11h. Cer­tains de mes cama­rades avec lesquels je partage le rêve d’un monde sans guerre et sans armes seront près de moi ce jour là, au tri­bunal. A la sor­tie de l’audience, nous allons essay­er de don­ner une voix autant que nous pou­vons, à ce rêve dont nous sen­tons la néces­sité. Si tu peux venir, nous t’attendons. Si tu ne peux pas être présent, crie fort comme tu peux, con­tre cette per­sé­cu­tion, cette guerre et con­tre toutes les struc­tures qui les sou­ti­en­nent et qui les per­durent. Si nous dis­ons « Que les armes se taisent, que la guerre s’arrête » ne soyons pas la matière pre­mière de cette machine. C’est nous qui mour­rons, c’est nous qui tuons.

Nous ne tuerons pas, nous ne mour­rons pas, nous ne serons les sol­dats de PERSONNE* !

Graff de Gezi[“Les soldats de personne” : allusion aux slogans des kémalistes “Nous sommes les soldats de Mustafa Kemal” (Mustafa Kemal’in askerleriyiz), ensuite conjugué à toutes les sauces, “Nous sommes des soldats de Türkeş”, fondateur des “Loups-Gris” ultra nationalistes, ou “Nous sommes les soldats d’Erdoğan” scandé par des manifestants pro-AKP, habillés de linceuil, ou encore, lors de la résistance Gezi en 2013, décrédibilisé avec humour en déviant sur un chanteur populaire : “Nous sommes les soldats de Mustafa Keser”.]

İnan Mayıs était donc devant les juges mer­cre­di dernier, au Tri­bunal de Muğla. La salle s’audience était comble et une émis­sion en direct était prévue en dehors du palais de justice.

Lors de sa défense Mayıs a affir­mé qu’il ne pen­sait pas avoir com­mis un quel­conque délit, car « refroidir le peu­ple du mil­i­tarisme » dont il était accusé, ne pour­rait pas être con­sid­éré comme un délit. Hülya Üçpı­nar et Gökhan Soysal, avo­cats mem­bre de “Vic­dani Ret Derneği” (l’Association d’Objecteurs de Con­science) ont à leur tour exprimé que ce motif n’est pas un délit, et que l’article n° 318 du Code Pénal con­cer­nant l’accusation d’İnan est anti­con­sti­tu­tion­nel et que par con­séquent tout juge­ment s’y appuyant n’a aucun fonde­ment légal et que cet arti­cle devrait être révisé.

L’avocat Hülya, a égale­ment pré­cisé que, surtout dans la dernière péri­ode, les mil­i­taires pub­li­aient des « pho­togra­phies de sol­dats » et « refroidis­saient le peu­ple » eux mêmes, du mil­i­tarisme et des militaires.

En effet depuis que les opéra­tions menées dans le Sud-Est de la Turquie, dans les villes kur­des des pho­tos de sol­dats, en train de taguer les murs de slo­gans sex­istes, racistes, homo­phobes, exposant en pleine rue des civils dénudés en arresta­tion, affichant le corps mis à nu des résis­tantes tuées, ont été pub­liées sur des réseaux soci­aux par eux mêmes. Le corps de Haci Lok­man Bir­lik, tiré par un blindé, des pho­tos de civils brûlés dans des sous-sol à Cizre, font par­tie de ce genre d’im­ages. Bien qu’une cer­taine par­tie de la pop­u­la­tion se réjouisse de ces “trophées vic­to­rieux”, pour une autre par­tie qui ne regarde pas oblig­a­toire­ment par l’an­gle nation­al­iste, il y a en effet de quoi se refroidir.

Hülya n’a pas man­qué d’a­jouter que le nom­bre impor­tant de ser­vice mil­i­taire « payable*» et de morts sus­pects lors de ser­vice mil­i­taire oblig­a­toire font preuve qu’il ne s’agit pas d’un « devoir sacré » comme l’article de loi décrit le ser­vice mil­i­taire, et qu’il est égale­ment instru­men­tal­isé selon des con­jonc­tures politiques.

[“Service militaire payable” : une formule payante qui permet aux jeunes qui ont les moyens de ne pas faire de service militaire, contre 1000€ pour les turcs vivant à l’étranger, et pour les candidats résidant en Turquie de 10.000 à 18.000 livres turques selon les revenus, soit équivalent de 3.100 à 5.600€.]

Gökhan Soysal a de nou­veau souligné que « refroidir le peu­ple du mil­i­tarisme » n’est pas un délit, et que Mayıs ne fait que d’utiliser sa lib­erté de con­science et d’expression.

Après avoir écouté les argu­ments de la défense, le tri­bunal a ren­du le verdict :
İnan Mayıs Aru est acquitté.

objecteur de conscience

Une con­férence de presse a été tenue à chaud, devant le Palais de Jus­tice, le père de Mayıs, Kamil Aru a fait une déc­la­ra­tion affir­mant « son regret d’avoir fait son ser­vice mil­i­taire », et lu la man­i­feste anti-guerres.

Je salue tous les cama­rades qui sont ici en sol­i­dar­ité et qui ont le coeur rem­pli d’amour pour l’être humain.

Mes ami(e)s, j’ai main­tenant 59 ans. Après avoir fait le servi­teur à des messieurs et leurs épous­es pen­dant 20 mois où j’ai été pris de force au ser­vice mil­i­taire entre 1977 et 79, je suis retourné à la vie civile.

En 1979, j’ai com­mencé à tra­vailler comme fonc­tion­naire et je me suis trou­vé dans la lutte pour les droits. Et chaque fois que nous pre­nions place dans la lutte pour nos droits, j’ai vu venir des messieurs en uni­formes et des jeunes devenus leurs esclaves for­cés, et ils n’ont pas man­qué d’exercer leur violence.

Après ma retraite, j’ai par­ticipé au com­bat pour l’environnement, qui devrait en réal­ité, être le ser­vice oblig­a­toire de tou(te)s les citoyen(ne)s. Vous êtes tous témoins ou vous subis­sez ce que ceux/celles qui se met­tent en face du pil­lage du cap­i­tal sur nos espaces de vie vivent. Dans ces proces­sus égale­ment, ces pseu­do forces de sécu­rité en uni­formes n’ont pas hésité à devenir les gardes du corps du capital.

Je déclare aujourd’hui à l’opinion publique, que je n’efface pas les 20 mois de ma vie qui m’ont été volés, et que j’en ai des regrets. Le temps passé ne revient peut être pas, mais la vie s’étend devant nous avec toute sa vivac­ité, et je voudrais partager avec vous, ici, qu’à par­tir de main­tenant, je n’aurai aucune rela­tion avec ces insti­tu­tions qui dis­persent de la mort. Je con­tin­uerai à être le défenseur du vert non pas de l’uniforme mais de la Nature.

Je salue ceux/celles qui pren­nent une posi­tion hon­or­able en dis­ant “la con­science ne peut s’enfermer dans l’uniforme”.

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Mayıs n’est pas le seul dans ce cas de fig­ure. Espérons que cette déci­sion fasse jurispru­dence pour les suivants…

Petit historique :

C’est en 1989 que Tay­fun Gönül (1958–2012), pre­mier objecteur turc, se déclare. Il est anar­chiste. Le sec­ond fut Vedat Zen­cir qui procla­mait : « Mes valeurs m’empêchent de tuer, d’avoir recours à la vio­lence, de don­ner des ordres ou d’en recevoir. » Par­al­lèle­ment au mou­ve­ment anar­chiste naît le mou­ve­ment LGBT (les­bi­enne-gay-bi-trans­sex­uel) ; et cer­taines mil­i­tantes vont se déclar­er « objec­tri­ces de con­science » car le mil­i­tarisme et l’antimilitarisme les con­cer­nent tout autant que les hommes. 2007 voit l’incarcération d’Enver Aydemir, pre­mier objecteur musul­man. Par ailleurs, les objecteurs homo­sex­uels, qual­i­fiés de « pour­ries », sont générale­ment réfor­més après avoir subi nom­bre de sévices…

Pour en savoir plus :

Deux arti­cles de Kedistan :
> Chaque turc nait sol­dat d’An­dré Bernard,
> N’allez pas au ser­vice mil­i­taire, parce que…
Nous vous con­seil­lons égale­ment le livre d’Au­rélie Stern “L’an­ti­mil­i­tarisme en Turquie”, paru en 2015, dans les édi­tions “Ate­lier de créa­tion lib­er­taire”, Col­lec­tion Désobéis­sances lib­er­taires, avec la pré­face de Pınar Selek.

Si vous êtes tur­coph­o­nes, vis­itez aus­si le site de“Vic­dani Ret Derneği” et le blog d’I­nan Mayis Aru : “Nedircik­ler” (en turc)


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.