Emine, la Pre­mière Dame de la Turquie avait déclaré récem­ment dans un dis­cours dans le cadre d’une organ­i­sa­tion organ­isée par le Min­istère de l’Urbanisme et de l’Environnement, inti­t­ulée « Les Reines mères qui ont mar­qué notre His­toire », que le Harem était « une école » pour la dynas­tie ottomane.

emine erdogan haremLes mem­bres femmes de la dynas­tie ottomane ont tou­jours été un sujet intéres­sant. Les ori­en­tal­istes ont pro­duit des images erronées par des descrip­tions imag­i­naires. Ain­si quand on regarde leurs oeu­vres nous ren­con­trons des femmes portées sur les plaisirs du monde et avides du pou­voir. Or, le Harem, était, pour les mem­bres de la dynas­tie ottomane, est plutôt, une école. C’était un foy­er d’éducation, où les femmes se pré­paraient à la vie et organ­i­saient les activ­ités de char­ité. Et ce foy­er était dirigé par les Reines Mères, Valide Sultan”

Les pro­pos d’Emine avaient été forte­ment cri­tiqués par certain(e)s, notam­ment par les fémin­istes, et appré­ciés par d’autres.

Doç. Dr. Özlem Kum­ru­lar, enseignante à l’Université de Bahçeşe­hir, auteure du livre “Kösem Sul­tan”, apporte ses éclair­cisse­ments dans un arti­cle.

Özlem Kum­ru­lar com­mence par un extrait de l’historien Çağatay Uluçay con­sid­éré comme le spé­cial­iste du sujet, qui est décédé en 1970, en lais­sant der­rière un grand manque con­cer­nant les recherch­es sur cette thématique.

Je pen­sais au départ, moi aus­si, que toutes les con­cu­bines étu­di­aient. Mais nous con­sta­tons que seules les plus belles et appro­priées (tal­entueuses et intel­li­gentes) accé­daient à l’apprentissage de la lec­ture et écriture.

(Harem II, Institut de l’Histoire Turque, page 18).

Özlem Kum­ru­lar continue :

Une insti­tu­tion où tout le monde n’apprenait pas la lec­ture et l’écriture, la par­tie la plus fon­da­men­tale de l’enseignement, qui ne rem­plit donc même pas le rôle de la pre­mière année de l’école pri­maire d’aujourd’hui.

Quant à l’his­to­ri­enne Leslie P. Peirce, qui a fait les plus impor­tantes recherch­es sur le Harem ottoman, elle mon­tre le rôle insti­tu­tion­nel du Harem en expli­quant que la dynamique prin­ci­pale du Harem est basée non pas sur la sex­u­al­ité, mais la poli­tique de la famille, et que la sex­u­al­ité ne con­stitue qu’un des mul­ti­ples pou­voirs exis­tants dans le Harem : le Harem est donc, le cen­tre des poli­tiques de pro­créa­tion directe­ment liées à la con­tin­u­a­tion de la dynastie.

Voyons en quelle mesure le Harem est un « foy­er d’éducation ».

giulio rosati harem

L’éducation don­née dans le Harem ne con­sis­tait pas seule­ment dans la cou­ture, la broderie, la musique, la danse et la reli­gion. Les favorites étaient éduquées par les «kalfas » selon les us et les tra­di­tions. L’éducation n’était pas une évo­lu­tion «intel­lectuelle » mais l’assimilation des femmes qui venaient de toutes autres cul­tures, reli­gions et langues, à la cul­ture turque-islamique. Bobovius (San­turi Ali Ufkî Bey) d’origine polon­aise, qui a tra­vail­lé dans le Sérail au cours de longues années résume cet enseigne­ment avec ces pro­pos : « Il prend le soin de les habiller avec splen­deur et de leur appren­dre tout ce qui leur servi­ra pour éveiller l’amour du Sul­tan, pour devenir sa con­cu­bine, pour que cer­taines d’entre elles puis­sent éventuelle­ment devenir des favorites, et la mère respec­tée du pre­mier fils du Sul­tan, ou pour qu’elles puis­sent être mar­iées avec des per­son­nes de qual­ité hors Sérail. » Le fait qu’il n’ajoute aucune activ­ité cul­turelle est trag­ique. L’éducation don­née aux con­cu­bines, n’est pas à visée per­son­nelle mais elle est directe­ment liée au ser­vice qu’elles don­neront au Sul­tan. N’oublions pas que toutes n’accèdent pas à l’apprentissage de la musique et de la danse. Ceci est le droit seule­ment de celles qui pos­sè­dent du tal­ent. Nous obser­vons qu’au 17è siè­cle, dans les filles pris­es au Sérail, se trou­vent des mar­i­on­net­tistes, mon­treuses d’ombres, acro­bates, pour des spectacles.

Nous pou­vons apercevoir le niveau trag­ique de l’éducation don­née au Harem, de la Reine Mère en tête de l’hyérarchie, jusqu’aux con­cu­bines de base, par une com­para­i­son avec les femmes de palais de l’Europe de la même époque. Une Europe où, les femmes sont au coeur des milieux intel­lectuels, devi­en­nent mécènes pour des oeu­vres, font éditer des livres, et s’immortalisent par des livres écrits à leur sujet ! En tant que pro­tec­tri­ces directes de l’éducation et de l’art, ce sont les femmes qui appor­tent aux palais, le théâtre, plus tard, l’opéra, le bal­let et spec­ta­cles, qui com­man­dent des tableaux et créent des galeries. Ce ne serait pas une exagéra­tion de dire, que la fig­ure de femme du Harem du Sul­tan, est écrasée elle, sous tous les angles, au niveau intel­lectuel. Un des per­son­nages impor­tants du palais de Louis XIV, Mme de Main­tenon résumait le niveau d’éducation en dis­ant : « Le latin, l’allemand, l’espagnol, le français, la danse, la pein­ture devi­en­nent des tal­ents agréables seule­ment en se réu­nis­sant avec la com­pas­sion et la logique. » Mal­heureuse­ment, il n’existe aucun exem­ple qui prou­ve que la cul­ture générale fon­da­men­tale des femmes du Harem n’ait lais­sé beau­coup de traces intellectuelles.

[Özlem Kum­ru­lar ne com­pare bien sûr que le harem, les cours européennes, et les palais, à épo­ques correspondantes]

Dans le Harem, il y avait plutôt des lec­tures col­lec­tives. La tâche était dans ce cas, don­née à une per­son­ne qui savait bien lire. Pour pass­er le temps, elles jouaient à des jeux comme les échecs ou le man­gala. Il y avait un con­trôle sévère sur la reli­gion. Les prières et les jeûnes étaient oblig­a­toires. Et de temps en temps, bien cou­vertes pour ne pas être vues par le peu­ple, elles étaient emmenées en prom­e­nade dans les köşk et les sérails, dans les dif­férents quartiers d’Istanbul, et d’autres lieux de villégiature.

Un événe­ment de l’époque de Murat III, est suff­isant pour nous faire com­pren­dre com­ment le Harem était pro­tégé des yeux des pêcheurs : Un com­merçant véni­tien, Thomas Zanet­ti, avait été pen­du car il avait, avec ses petites lunettes longue vues, «  eu l’audace de tourn­er ses regards pro­fanes sur les beautés du Harem ». Les con­cu­bines du Harem vivaient enfer­mées, con­traire­ment aux palais européens où toutes les activ­ités se fai­saient ensem­ble dans des espaces com­muns aux hommes et femmes Elles étaient envoyées rarement, par­ti­c­ulière­ment pour la musique, pour pren­dre des cours des enseignants hommes. Or, les femmes de palais en Europe, par­tic­i­paient aux céré­monies mixtes, suiv­aient du théâtre, dan­saient, écoutaient la musique, dis­cu­taient de lit­téra­ture et d’Histoire, et elles exis­taient sur tous les plans, dans la mix­ité. Dans les palais la mix­ité per­me­t­tait que la cul­ture et le savoir s’étendent dans l’égalité.

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Une « école » de niveau CP

Çağatay Uluçay, mar­quait, en com­men­tant sur l’ensemble des let­tres écrites par les femmes de dynas­tie ottomane, excep­tée Hür­rem Sul­tan et Bezmârâ, la six­ième épouse d’Abdülmecid, que les let­tres étaient rem­plies de fautes d’ortographe et d’erreurs de tour­nure, de man­ques de cohérences et de con­ti­nu­ité, et que leurs man­u­scrit étaient laids et illis­i­bles. Il dit qu’il existe des erreurs d’articulation qui frap­pent à l’oeil, et qu’elles écrivaient comme elle par­laient. Par ailleurs, il démon­tre que les let­tres des Sul­tans, ne con­ti­en­nent aucune faute, les mots sont sans erreurs, les syn­tax­es cor­rectes, et les expres­sions sont atti­rantes et coulantes. C’est une excel­lente exem­ple pour prou­ver que l’éducation dans le Sérail, n’est pas égal­i­taire entre hommes et femmes. Par con­séquent, les thèmes qui avan­cent que les filles fai­saient l’apprentissage de l’arabe et du perse, parais­sent comme une jolie légende. Car ces filles ne peu­vent déjà pas écrire la langue correctement !

Les femmes qu’on pré­tend “éduquées” au Harem, n’avaient  même pas le niveau pour écrire leurs cor­re­spon­dances elles mêmes. Mis­es à part les con­cu­bines ordi­naires, même les Reines Mères en haut de la hiérar­chie, ne réus­sis­saient pas cela. Hür­rem, vue d’un angle lit­téraire, était une excep­tion. Les let­tres de Kösen Sul­tan étaient rem­plies d’erreurs de gram­maire, mal­gré le fait qu’elle avait passé un demi siè­cle dans le Sérail. Quant à Nur­banu et Safiye, elle fai­saient rédi­ger leurs let­tres à des femmes juives employées pour les ser­vices du Harem. Elles savaient peut être écrire plus ou moins, mais elle préféraient faire rédi­ger par d’autres, car elles n’étaient pas sûres de le faire cor­recte­ment elles mêmes. Car l’enseignement qu’elles avaient reçu n’était pas suff­isant pour rédi­ger des let­tres « sans fautes ».

Nous com­prenons que les femmes de palais européens, sont d’un niveau intel­lectuel plus élevé, dans leurs let­tres, racon­tant les livres qu’elles ont lus, les spec­ta­cles qu’elles ont suiv­is. La cor­re­spon­dance de Galilée avec Chris­tine de Lor­raine [Grande-Duchesse de Toscane] en 1615, est le mail­lon le plus bril­lant de cette chaîne. Lucrezia Gon­za­ga, avait écrit égale­ment à plusieurs Sul­tans notam­ment à Soli­man le Mag­nifique. C’est seule­ment à la fin du 19ème, en début 20ème, que les femmes du Harem com­men­cent petit à petit à écrire sur ce type de vie.

Pas de livres, tant pis.
Tant qu’il y’a tissu et bijoux en abondance !

Dans le peu de let­tres rédigées au Harem que nous détenons mal­heureuse­ment aujourd’hui, il n’y a pas une ligne qui par­le des livres. Les femmes du palais en Europe, plume en main, allaient jusqu’à cri­ti­quer les rois. Dans les let­tres lais­sées surtout par les Reines Mères, les lignes con­cer­nant leurs goûts per­son­nels, par­lent surtout des détails sur les com­man­des de bijoux et de tis­sus. Par exem­ple la plu­part des let­tres de Kösen Sul­tan par­lent de bijoux, jamais de livres. Nur­banu [Cecil­ia, née à Venise 1525–1583, épouse de Selim II, mère du Sul­tan III] et Safiye [Sofia, née en Alban­ie 548‑1619 épouse de Murat III, mère du Mehmet III], dans les let­tres qu’elles ont envoyées en Europe, en courant après des objets cos­mé­tiques et exo­tiques, n’ont pas demandé un seul livre. N’oublions pas tout de même, que la pre­mière bib­lio­thèque à Istan­bul est créee par Nur­banu. Mais cette bib­lio­thèque est par­ti­c­ulière­ment fournie de livres religieux et de Corans !

Le con­tenu d’un bateau trou­vé au large de Gnal­ic en Croat­ie, coulé en 1583 sur sont tra­jet de Venise à Istan­bul nous démon­tre que dans les besoins du Harem il n’y a pas de livres. L’Ambassadeur de Venise, Agos­to Nani, se plaig­nait devant la diver­sité des com­man­des du Harem : « Elles pensent que l’Ambassadeur de Venise a un mag­a­sin rem­pli de toutes sortes d’affaires. » Vers le Harem arrivaient des jou­ets con­fec­tion­nés par les nonnes, des chais­es, des tis­sus, des coussins, hor­loges de toutes tailles, des frian­dis­es français­es, des vas­es en verre, vit­res pour les fenêtres, des lam­pes, des glaces, divers fro­mages et des lunettes de vue pour les enseignants. Mais Nur­banu née sur les ter­res véni­ti­ennes n’avait pas com­mandé un seul livre à son pays natal !

A par­tir du 18è siè­cle, nous sommes témoins de l’existence d’un autre pro­fil de femme au Harem. Au 19ème, les enseignants appren­nent aux filles, le français, l’anglais, le piano, la pein­ture à l’huile et la cal­ligra­phie. Le Harem devient plus dynamique, et les femmes sor­tent plus. Nous obser­vons que ces filles éduquées au 19ème, début 20ème, font des tra­duc­tions diplo­ma­tiques. Les femmes du Harem ont fait sur la fin un pas géant con­cer­nant leur niveau cul­turel et artis­tiques. Mais rap­pelons, que les séances de lec­ture en groupe con­tin­u­aient égale­ment à cette péri­ode, car la lec­ture et écri­t­ure n’étaient pas don­nées à toutes.

Doç. Dr. Özlem Kumrular

Avant de se crêper le chignon sur les paroles d’Em­ine, et de polémi­quer sur la ques­tion de savoir si le Harem était “un foy­er d’en­seigne­ment”, “une école” ou non, il faudrait sur­v­ol­er le rôle social don­né à la femme dans la tête de divers­es par­ties des pop­u­la­tions qui com­posent la Turquie d’au­jour­d’hui.  Si la place de la femme est au foy­er, en tant que “mère”, si comme les gross­es têtes et les penseurs du régime actuel déclar­ent à toutes occa­sions, que “La car­rière unique de la femme est la mater­nité et qu’elle doit met­tre la mater­nité au cen­tre de son exis­tence”, qu’y a‑t-il d’é­ton­nant de voir qu’une First Lady qui s’au­to­proclame “Reine Mère” d’une dynas­tie qui se con­sid­ère héri­tière de l’Em­pire Ottoman, puisse s’émer­veiller du Harem ? Qu’y a‑t-il donc de sur­prenant à enten­dre de telles âneries ?

A quand un Harem dans le nou­veau Sérail de la Nou­velle Turquie ?

bain turc ingres haremOn devine à tra­vers les lignes d’Ö­zlem Kum­ru­lar, une presque fas­ci­na­tion pour la “cul­ture” de l’aris­to­cratie européenne. Cette fas­ci­na­tion fut aus­si celle du pour­tant pre­mier répub­li­cain Mustafa Kemal Ataturk, à la suite de la chute de l’Em­pire Ottoman. Pour­tant, à l’in­verse, si on en juge seule­ment par le “courant ori­en­tal­iste” qui influ­ença la pein­ture entre autres, l’Eu­rope était curieuse des “mamamouch­is” dont par­lait un cer­tain Molière, ou des “Per­sans” de Montesquieu.

Nous nous garderons donc bien d’en­tr­er dans cette querelle entre Ori­ent et Occi­dent, et la hiérar­chi­sa­tion des cultures…

Notre pro­pos était de pren­dre, avec l’aide d’une uni­ver­si­taire, quelque argu­ment qui réponde au pied de la let­tre aux pro­pos de la First Lady du Sul­tan Erdo­gan, tou­jours prompte à défendre “la mère qui est dans la nature de la femme”, et la ver­tu éduca­tive de son “enfer­me­ment” dans ce rôle.


En bonus, une courte vidéo d’Al­tan Gökalp, antropo­logue, auteur du livre : “Harems, mythe et réalité”

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Traduit et rédigé par Kedistan
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