Poutine ? Obama ?
Iran ? Golfe ?
Le Moyen Orient serait donc perdu s’il ne choisissait pas entre la peste ou le choléra ?
Et si les bombes russes étaient de fabrication américaine ?
La difficulté bien sûr, pour les combattants qui luttent pour défendre la possibilité d’un avenir sur place, c’est qu’ils sont un peu comme des enfants à qui des vieux distribueraient des bonbons. On les a pourtant mis en garde, mais les bonbons, c’est tellement bon.
Il n’y a vraiment pas de quoi plaisanter sur la guerre en Syrie.
Et pourtant je vous ai fait un titre à la “Spoutnik” !
Bien à l’abri derrière un écran, que ne voit-on pas ces choix ubuesques faits sur les réseaux sociaux, par des « soutiens » du Peuple kurde, pire, parfois même par des militants. Que ne voit-on pas fleurir dans des manifestations de soutien ici et là des remerciements aux Russes… Et cette presse de propagande pro Poutine où se retrouvent des rouges virés au bruns.…
Avec constance, comme au bon vieux temps de la guerre froide, on joue les Russes contre l’Oncle Sam, Poutine contre Obama. Comme des joueurs de tiercé qui n’auraient pas vu que les règles des paris ont changé depuis des lustres, on continue à jouer gagnant dans la 3e sur un cheval à casaque improbable.
Mais la guerre en Syrie, les imbroglios contre Daech, les fausses coalitions de la réal politique sont à mille lieux des paris. Les morts et les blessés sont de chair et de sang, et les bombes qui les écrasent comme les balles qui les tuent ont des fabricants, des origines contrôlées, des revendeurs.
Et si l’arme est entre les mains de l’assassin, elle ne doit pas non plus pourtant manquer entre celles de celui ou celle qui défend les siens, et au delà, ceux qui veulent vivre ensemble.
Et là, c’est vrai, ça se complique.
Demander aujourd’hui une aide militaire et logistique pour les YPG au Rojava, ce n’est pas non plus une posture, c’est une nécessité politique et militaire absolue. Et les demander à ceux qui les fabriquent et les vendent, cela devient un dilemme, et place les demandeurs entre les mains de tous les chantages. J’enfonce là une porte ouverte, mais espère que le courant d’air chassera les raccourcis.
Si le Rojava avait le choix de ses fournisseurs, cela se saurait.
La France à un temps, en 2015, apporté un soutien militaire et une logistique au compte gouttes aux combattants kurdes. Officiellement, ce soutien a cessé en juin, et on a même entendu ici fuiter des « critiques » de l’Etat major sur cette décision.
Les avions américains ont apporté officiellement et revendiqué une aide par frappes aériennes fin 2014 à la reprise de Kobane.
L’administration américaine, contre l’avis du Congrès à majorité républicaine, a livré des armes et des munitions au Rojava, et a même revendiqué également à plusieurs reprises cette aide, fâchant au passage le gouvernement turc, membre de l’Otan, et provoquant maintes gesticulations d’Erdogan.
Pourtant, tous ces « soutiens » militaires ne sont pas sans arrières pensées.
Bien sûr, nous dénonçons par exemple le deal financier entre l’Europe et la Turquie sur la question des réfugiés.
Mais n’y a‑t-il pas les mêmes instrumentalisations des combattants kurdes, en première ligne contre Daech ? Les Etats Unis et la « coalition » globalement n’obtiendraient pas en l’état le feu vert politique de leurs opinions publiques pour une « intervention au sol ». Quoi de plus logique donc, de mettre en avant les combattants kurdes qui ont fait leurs preuves, tant en Syrie qu’en Irak, contrairement à l’armée irakienne, aussi mal en point que son gouvernement ? Les Kurdes contre Daech en échange d’une non intervention directe…
Et toutes les déclarations des responsables du commandements des unités combattantes kurdes, surtout pour les YPG, montrent à l’envie qu’ils ne sont pas dupes de cette instrumentalisation là, ni même ignorants des chantages qu’elle peut entraîner, puisque le compte gouttes peut se tarir à tout instant, au fil de revirements d’alliances d’intérêts.
Et il y aurait un zorro Poutine, “défenseur absolu de l’autonomie des Peuples”, comme on le sait si bien, qui viendrait soudain rejouer le rôle de feu l’Union Soviétique, qui a tant, comme on le sait aussi, si bien défendu de par le monde la veuve et l’orphelin en son temps ?
A qui voudrait-on faire croire que la Russie, grande puissance économique et complètement impliquée elle aussi dans la vente et l’extraction des énergies fossiles, ferait du bénévolat humanitaire en Syrie ?
Inutile, je crois, de revenir sur la volonté affichée de Poutine, après l’aventure Tchétchène, de reprendre pied, comme membre permanent à l’ONU, dans la diplomatie mondiale. Inutile non plus de refaire la carte de l’héritage russe, en matière de relations et bases militaires géostratégiques de par le monde. L’Urss a laissé de beaux restes, en matière de ports et de bases aériennes. Elle a aussi légué une diplomatie internationale et un tissu de relations qui sont tombés dans l’escarcelle du “Pdg officieux de Gazprom”.
Et c’est le cas avec l’Iran et la Syrie, deux relations fortes dans la région. Inutile de revenir sur le long feuilleton du nucléaire iranien, tout comme les relations d’amitiés intéressées avec Bachar père & fils.
Comprendre dans ces conditions, que le positionnement russe, qui a déjà perdu la main en Egypte, vis à vis d’une déstabilisation de la Syrie, est avant tout un positionnement pour ses propres intérêts géostratégiques ne doit pas être trop compliqué. Comprendre aussi et réaffirmer que ces intérêts là sont ceux d’une puissance impérialiste mondiale, au même titre que les Etats Unis, et jouant dans la même cour économique, devient là impérieux. Le maître du kremlin n’a plus les moustaches du père, mais bien des attributs d’oligarque, suiveur du cour en bourse et du prix du baril de pétrole.
Alors, si on pouvait cesser de penser moustache et petit père des Peuples, à propos des bombardements russes, on constaterait que ce qu’on refuse de qualifier de dégâts collatéraux sur les populations civiles, quand il s’agit de bombes américaines, ou françaises, mais qu’on qualifie bien de bien de « crimes » et de « victimes civiles», sont devenues « ordinaires » “progressistes” quand il s’agit des avions russes qui lâchent leurs charges.
Et même si c’est devenu « tendance » et « progressiste » de crever sous une bombe russe achetée peut être à la France, plus que sous une charge américaine sous traitée à des amis oligarques russes, nous ne rentrerons jamais dans ces modes là.
Alors revenons aux réalités de ces jours derniers.
Les Etats Unis, par la voix de leur ministère des affaires étrangères remettent en place Erdogan et réaffirment un soutien aux YPG. Doit-on soudain penser que les Etats Unis mènent un combat pour soutenir l’autonomie kurde ? Les mêmes, par la voix de leur vice Président, ont affirmé devant Davutoglu leur soutien à la « lutte antiterroriste » contre le « PKK », sans sourciller sur les massacres à l’Est et la répression contre les intellectuels qui protestaient… Les combattants du Rojava auraient-ils pourtant tort de profiter de ces bonnes dispositions pour demander une aide militaire et logistique ?
La Russie frappe à tout va et permet aux troupes recomposées de Bachar de reprendre des territoires sous contrôle de factions diverses et variées, dont le djihadisme est souvent le point commun. Il y a même au sein de ces factions des groupes alimentés par la « coalition », et par la Turquie depuis le début. Les Syriens libres là dedans sont noyés sous les barbes et n’oublions pas que des combattants kurdes, aujourd’hui très isolés sont encore dans quelques immeubles d’Alep. Daech, depuis quelques semaines, se retire en bon ordre, et laisse faire.
Devons nous nous lamenter si cela permet de soulager la pression aux portes du Rojava ? Devons nous ne pas nous réjouir de l’opportunité que cela procure pour enfin permettre une possible jonction d’enclaves, des libérations de territoires, un contrôle de frontières ? Par contre, oublier que cela se fait au prix d’une boucherie sans nom et d’un nouvel exode de populations… jamais.
Mais si cette stratégie du tapis de bombes russe était réellement concertée avec les YPG, les troupes de Bachar ne pousseraient pas depuis aujourd’hui les réfugiés de guerre vers Afrin, s’offrant le risque d’une déstabilisation de l’administration autonome dont elles bénéficieraient à terme. Les troupes de Bachar n’auraient pas non plus entamé une course de vitesse avec les YPG pour le contrôle de la région frontalière de Azaz.
Qui aide qui et qui peut être victime de la distribution de bonbons ?
D’où ressort cette vielle théorie politique “stalinienne” de l’ennemi principal et de l’ennemi secondaire ?
Les Peuples de la région ne veulent justement pas manger dans la main des grands, et le Rojava et son expérience politique d’autonomie en cours est là pour en témoigner.
Pour l’instant, la géopolitique et la géostratégie sont pratiquées dans l’intérêt unique des puissances internationales et régionales, et cela se traduit par une real politique criminelle, tant en Syrie, en Turquie qu’en Irak. Et lorsqu’un Barzani est courtisé par tous, on peut craindre la division kurde qui peut s’en suivre par exemple…
Alors s’il vous plaît, rangeons les vieux grimoires de l’Union soviétique des années 1920, les Traités de Sèvres, les étendards de l’Etat kurde unifié régional… Cette vision là date de la guerre froide, et a depuis longtemps quitté l’esprit des forces politiques kurdes et leur programme pour l’autonomie. Même dans les textes du leader du PKK, pourtant “marxiste léniniste” dans le passé. Cessons ici de brouiller la compréhension , par un simplisme Est Ouest qui n’a aucun support dans la réalité des choses.
Ce serait le pendant de la théorie de la “grande guerre des civilisations”, et ses boîtes de pandore identitaires…
Alors, comment interpréter le fait que la Russie vient d’accepter une représentation diplomatique kurde ?
Belle victoire des combattants pour l’autonomie. Mais pas merci Poutine.
Je ne voudrais pas être contraint de remercier un Sarkozy ou un Hollande demain si le même combat pour la reconnaissance du Rojava sur le plan diplomatique aboutissait.
Au fait, pour celles et ceux qui l’ignorerait, il n’y a jamais eu d’alliances entre un Bachar et le Rojava, même si on peut constater que le régime syrien n’attaque pas de front la région. Doit-on en remercier Bachar, ou justement s’en garder, maintenant que le père des Peuples russe est dans la danse.
L’avenir proche le dira, avec ce tournant de la bataille d’Alep.
Ce n’est certes pas un spoutnik qui nous apportera l’éclairage. L’électricité et les Soviets ?