Orhan Kemal en 1961 parlait dans son roman “La Ferme de Madame” (Hanımın Çiftliği) du « quartier de tôle » et pointait les conditions sociales et économiques différentes et la contradictions entre les difficultés de ce quartier et le luxe dont les habitants de la « Ferme de Madame » profitaient.
En Turquie, ces populations du bidonville se nomment elles mêmes “Romans”, comme à l’échelle de la Turquie entière.
Aujourd’hui, les “Romans” d’Istanbul, dans leur quartier en tôles sont les témoins concrets de la réalité des différences socio-économiques actuelles.
Leur quartier se trouve dans Paşaköy, commune de Pendik, à Istanbul, sur un terrain vague, tout près des grattes-ciel. Leurs cabanes, leur “maisons” sont construites en tôles.
Une quarantaine de familles Romans vivent dans le quartier. Elles sont venues des quatre coins de la Turquie, pour fuir les discriminations locales et se regrouper.
Vous ne trouverez pas de bus, ni de « dolmuş » (taxi à prix partagé, avec un itinéraire précis) pour venir dans le quartier. Si vous venez, ce sera avec votre voiture, et vous pourrez être témoin de l’émotion des enfants qui sortent des cabanes pour courir vers la voiture qui passe.
Contrairement aux immeubles voisins, dans ce quartier, il n’y a ni eau, ni électricité. Par conséquent, nettoyer les logements, se laver, se chauffer deviennent impossibles. Cela veut dire, maladies et épidémies, surtout en saison hivernale.
Quand les Romans se rendent à l’hôpital, du fait des regards dévalorisants portés sur eux, ils sont discriminés. Certains qui possédent une carte d’identité, témoignent, et expliquent qu’à l’hôpital, le système étant informatisé, et ne pouvant pas fournir une adresse postale réelle, ils ne peuvent pas s’enregistrer.Ils rentrent sans pouvoir voir un médecin.
Les habitants du quartier de tôle disent qu’ils ont construit leur maison touts seuls et qu’ils mettront des numéros sur leurs portes, bientôt… Et ils insistent inlassablement sur le fait qu’aucune mairie de les aide.
Les hommes du quartier s’occupe du ramassage des papiers (poubelles) et les femmes font des ménages dans les immeubles voisins. Elles expriment qu’elles sont « méprisées pour leur langue » et qu’elles sont rémunérées bien en dessous des autres femmes de ménage. Les hommes gagnent une quarantaine de livres turcs (12€) par jour mais cela ne suffit qu’à subvenir à quelques besoins urgents.
Près du quartier, se trouve une école : L’école primaire publique Yıldırım Beyazıt. Seulement 16 des 40 enfants vivants dans le quartier ont pu s’y inscrire. Ces enfants expriment qu’ils sont traités par leurs copains de classe de « Sales tsiganes ! ». Malgré leurs ressentis sur ces discriminations, ils veulent aller à l’école, et sont même très décidés. Quant aux parents, ils disent vouloir envoyer les enfants à l’école, mais aussi qu’ils sont souvent obligés de les emmener à travailler avec eux.
Certains habitants ont fait des demandes aux mairies pour des soutiens. Mais ils n’ont rien obtenu. Ils disent qu’ils sont condamnés à vivre dans la misère au milieu d’une grande ville, et que les politiques les rappellent pourtant d’une élection à l’autre. Ils se disent étonnés de voir que les journalistes qui écrivent sur des mannequins qui se baladent dans des voitures chères, ne parlent jamais d’eux et que quand les télés les représentent dans une série (Roman Havası), elles le font d’une façon erronée. « Pourquoi personne ne nous voit ? » demandent-ils, « Nous ne voulons pas d’aides, mais du travail. »
Kelemet Çiğdem Türk, productrice de télévision et bénévole d’organisation de société civile, travaille avec les Romans de Paşaköy depuis deux ans. Elle explique que la question qui les travaille le plus, c’est : « Nous aussi, nous sommes des citoyens de ce pays, nous payons des impôts, nous faisons notre service militaire, pourquoi sommes-nous discriminés ? ». Kelemet Çiğdem souligne que les solutions ne doivent pas être éphémères, mais des solutions définitives, et ajoute qu’une des choses les plus importantes aux yeux des Romans, c’est qu’on leur donne la possibilité de d’acheter une maison avec un crédit.
L’organisation de société civile dont Kelemet Çiğdem est bénévole, travaille sur la sensibilisation de l’opinion publique sur les Romans. L’organisation a réussi en ce début novembre à répondre aux besoins de chaussures et manteaux pour 78 enfants, grâce à une campagne d’appel à l’aide sur les réseaux sociaux. Les mamans ont reçu le nécessaire pour les 20 bébés du quartier (lait maternel, couches..). Et les enfants scolarisés ont été équipés, cartables, fournitures… Les frais de transport et cantine ont été réglés pour le mois de Novembre.
L’objectif le plus important de l’association reste de loger les habitants de la « ville de tôle » : construire une ville-container, et les accompagner jusqu’à ce qu’ils puissent acheter, avec l’aide de l’Etat, la maison dont ils rêvent.
D’après l’article d’Evrim Kepenek sur Bianet.
Photos Evrim Kepenek, DIHA, Kelemet Çiğdem Türk
Source DIHA
(Agence, sous censure actuellement pour les IP turcs, donc nous communiquons un moyen de connexion contourné)