L’année scolaire 2015–2016 a commence ce 28 septembre en Turquie.
La scolarisation des “enfants issus de minorités” est de nouveau dans l’actualité. En Turquie les Roums (Grecs de Turquie), Arméniens, Juifs, Syriaques araméens* sont considérés comme des “minorités”. Leurs enfants peuvent être inscrits dans les “écoles de minorités”.
Le statut “école privée”
Le statut des “écoles de minorité” est définie selon la loi n°5580 des Institutions d’Education privées : Des écoles maternelles, primaires, secondaires privées, fondées par des minorités roums, arménienne et juive, et protégées par le traité de Lausanne, fréquentées par les élèves ressortissants de la République turque, appartenant à ces minorités concernées.
Selon les registres d’avant République, entre 1913 et 1914, il existait 2596 écoles de minorités en Anatolie, dont 1245 roums, 1084 arméniennes, et 131 juives. Aujourd’hui dans le pays, il ne reste plus que 24 écoles dont 16 armeniennes, 6 roums, 1 juive et 1 araméenne.
23 de ces écoles se trouvent à Istanbul, et une est située à Gökçeada ; l’école roum ouverte en 2013. La maternelle araméenne Mor Efrem s’est ouverte en 2014 et au bout de 86 ans les petits araméens ont enfin un enseignement dans leur culture….
Bien que l’ouverture de ces dernières écoles dans ces 2 dernières années marque un point positif, des embûches administratives provenant de l’application du “code d’affiliation” et du statut “école privée” existent et compliquent la vie scolaire des enfants.
Le “Code d’affiliation”, qu’est-ce que c’est ?
En juin 2014 le député du CHP, Hüseyin Aygün apportait le sujet à l’Assemblée Nationale et demandait : « Il a été révélé qu’ un code d’affiliation secret aurait été attribué aux minorités, Roums : 1, Arméniens : 2, Juifs : 3, et 4 pour les Araméens. Et le nombre 5 pour les autres. Depuis quand les minorités sont-elles fichées de cette façon, et qui sont les autres ? »
Efkan Ala, alors Ministre d’intérieur confirmait en une seule phrase :« Cette application existe depuis 1999 dans le cadre de MERNIS, et les membres de minorités ne sont pas les seuls à avoir un code d’affiliation, mais tous les turcs sont concernés ». MERNIS est une base de données des registres d’état-civil, mise en projet en 1972 et terminée en 2002, attribuant à chaque turc un matricule intitulé “numéro unique de citoyen”.
Nous pouvons légitimement poser la question de savoir si le “fichage secret” ne concernerait pas également les Kurdes, les Alévis,… ?
Ce système de fichage, joue dans différents domaines, des concours d’entrée à l’Université, à l’attribution des chambres des cités universitaires, en passant par les résultats des concours des fonctionnaires et leur affectation. Il n’est pas rare que des documents fuités soient relayés par la presse, sur lesquels on peut observer des annotations du genre “personne à risque” ou “negatif”.
La fausse “bonne nouvelle”
En fin juin 2015, les journaux relayaient une “bonne nouvelle” sur une circulaire daté du 28 juin, portant la signature du Ministre de l’Education Nationale Nabi Avcı, qui sous-entendait l’arrêt de l’utilisation des codes d’affiliation pour les inscriptions, et annonçait que la décision sur l’inscription ou non d’un enfant serait prise par le directeur de l’établissement sur une formulaire rempli par les parents ou tuteurs de l’enfant. Fausse bonne nouvelle… Car il est également demandé un document prouvant l’appartenance de l’enfant à la communauté minoritaire, et celui ci n’est autre chose que le document de baptême. Les membres des communautés minoritaires, descendants des familles converties à l’islam par exemple, ne peuvent pas inscrire leurs enfants dans ces écoles. (Il n’est pas rare de constater que des arméniens aient été convertis de force depuis plusieurs générations et veuillent cependant donner à leur enfants la culture de leurs ancêtres).
On sait qu’ il s’agit ici d’une infime partie visible de la réelle utilisation des codes d’affiliation. Le fait que les écoles ne prendraient soit disant pas en compte ces codes ne fait bien sûr pas disparaître la réalité de ce scandaleux fichage ethnico religieux.
Avec ces pratiques, les enfants de minorités se trouvent régulièrement dans des situations absurdes. Rien qu’un seul cas de figure à la rentrée 2015, nous prouve que le changement des pratiques dans les inscriptions n’était que de la fumée : l’histoire de deux frères scolarisés à l’école arménienne Bezciyan à Istanbul. Les enfants se sont trouvés désinscrits de leur école avant le début de l’année scolaire, car leur dossier “ne prouvait pas qu’ils était arméniens” et que la famille aurait triché sur leur religion, en notant “chrétienne”. Et pour cause les membres de la famille ne possèdent pas le code d’affiliation nécéssaire. Le père des enfants ayant décidé de porter le dossier au tribunal s’exprimait : « Nous sommes arméniens. Je n’ai pas été élevé dans la culture arménienne, mais je souhaite que mes enfants la connaissent, parle notre langue. »
Et les Kurdes et Alévis ?
En septembre 2014 les journaux turcs annonçaient l’ouverture de 3 écoles enseignant en kurde dans les communes de Bağlar (à Diyarbakır), Cizre (à Şırnak) et Yüksekova (à Hakkari). (Oui vous connaissez ces noms de ville… Actuellement lieux de conflits, régulièrement sous loi martiale pour certain, la vie quotidienne ne suivant pas son cours normal. Nous n’avons pas de certitude sur l’avenir de ces écoles.). Il existe aussi une école maternelle, primaire, collège, à Dicle commune de Diyarbakır, ouverte en 2014.
Ces écoles ont pu être ouvertes grâce au soutien d’organisations de société civile. Malgré le soutien, cela ne se passe pas sans soucis… L’école de Diyarbakır par exemple a vu ses portes scellées par l’ordre de la Préfecture, quelques semaines après son inauguration. Et ce, plusieurs fois de suite.
Quant aux alévies musulmans modérés plutôt avec une approche mystique “soufi”, qui se mobilisent et luttent activement contre les cours obligés de religion dans les écoles publiques, ils ont vu en 2015, naître malgré eux une école alévie qui a adopté le nouveau sytème d’éducation nationale très contesté (4+4+4). La communauté alévie dénonçait le programme scolaire adopté sans aucune consultation. Officiellement cette école leur est destinée, mais ne répond pas à leurs attentes.
Conclusion ?
La France est habituée à son école laïque et républicaine pour tous. Ce n’est pas non plus le cas dans tous les pays européens. Il peut donc sembler curieux que des communautés en Turquie veuillent dans ce qui est censé être resté une république, avoir le choix de leur école. On ne peut comprendre cela qu’en regardant de près la mosaïque culturelle de la Turquie, et les questions de langue associées. Une autonomie culturelle et reconnaissance des Kurdes, par exemple, passerait nécessairement par ces aménagements au sein d’un tronc commun. Voilà pour la question scolaire.
Mais à cette occasion, resurgit le fantôme du flicage de la population et la centralisation de fichiers à caractère ethnique, culturels ou religieux. On sait déjà que la carte d’identité porte la mention “religion”, sauf demande motivée du titulaire. Mais on se doute bien que ces codes peuvent largement dépasser les critères de départ, déjà plus que douteux, et que leur utilisation dans une société où le gouvernement a instauré la corruption à tous les étages en méthode de pouvoir, peut avoir de terribles effets discriminants.
Le gouvernement turc justifie lui aussi ce flicage par la nécessaire sécurité, et l’unité nationale contre le terrorisme. Qui a copié ?
(*) Assyriens / Araméens ? Précisions :
On devrait parler de “Syriens” mais comme depuis 1945 le terme“Syrien” est associé à la République Arabe de Syrie, le terme sémite ancien “Araméens” est préféré. Un mouvement politisé qui a démarré dans les années 1850 a préconisé de traduire par “Assyriens” alors qu’historiquement parlant, les Araméens n’ont aucun lien avec les anciens Assyriens. On parle de “Asuri” (Assyrien), “Keldani” (Chaldéen) et “Suryani” (Syrien/Syriaque) qui sont les noms de fidèles d’églises différentes. Ethniquement ils font partie tous du peuple “Arami” (Araméens). Pour plus d’infos, lire l’article de Aaron Butts “Assyrian Christians” (en anglais)
Petite historique des écoles des minorités :
1968
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Ministère d’Education Nationale; envoie une circulaire aux écoles roums pour les informer que pour inscrire son enfant, le père de l’élève doit être roums
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Pour que les élèves des écoles de minorités soit considérés « réussi leur année scolaire », il faut qu’ils ait minimum 5 (sur 10) dans tous les matières.
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Contrairement aux autres écoles où on applique une moyenne toute matière confondue, et en cas de pb, le passage ou non des élèves est étudié par un conseil de professeurs.
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Obligation d’une approbation de la Direction de l’Education Nationale, avant d’inscrire l’enfant à l’école.
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Les enfants qui veulent s’inscrire dans les écoles de minorité, sont obligés d’aller à l’école la plus proche de leur lieu de résidence.
1969
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Le Ministère coupe toute relation des enfants araméens avec leur école et les oblige de s’orienter vers les écoles publiques.
1970
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Les élèves des écoles roums , de différents minorités ou religions sont désinstrits et orientés vers les écoles de minorités dont leur père serait membre.
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Les professeurs de minorité roum , ressortissants de la République Turque, qui prennent leur poste dans les écoles roums , sont obligés de passer un examen de la langue turque.
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Interdiction de l’affectation des professeurs « ruhban » dans les écoles roums. (Avant cela ils pouvaient enseigner les cours de religion dans ces écoles).
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Les élèves diplomés des écoles primaires roums sont obligés de passer des examens supplémentaires de langue turque, et les autres matières, et de les réussir avent de pourvoir s’inscrire dans les écoles secondaires publiques.
1971
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Le Minsitère de l’Education, sort de nouveau un circulaire : seul les enfants dont le père appartient à un minorité peut fréquenter l’école de celle-ci.
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L’obligation d’une demande préalable d’un mois, pour tout activité culturelle et fête et spectacle de fin d’année organisés dans les écoles de minorités. Un dossier complet contenant, la traduction des activités, (spectacles, chansons, poèmes, et explication des danses folkloriques etc.) est exigé. Ainsi que l’obligation d’organisation simultanée d’activités en turc est mis.
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Les heures d’intervention des professeurs ont été légiférées : l’heure hebdomadaire totale de cours ne peut pas passer 27 heures.
1973
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Pour les cours manquant de professeurs, il n’est plus possible d’affecter autre enseignant que ceux du contingent.
1974
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Pour les examens en langue de minorité, obligation de fournir la traduction de toutes les questions, ainsi que leur document réponses.
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Dans les écoles roums, les heures de cours de langue roum devient égale aux heures de langue turque.
1980
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Suite aux conflits avec l’Arménie, il est demandé de gommer l’Arménie sur les cartes se trouvant dans les écoles arméniennes.
1985
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La restriction d’élèves est entrée officiellement dans le règlement des Institutions d’Enseignement privées, : seul les membres des minorités peuvent étudier dans les écoles de minorité.
2007
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La restriction d’élèves a été ajoutée carrément dans la loi des Institutions d’Enseignement privées.