Le 19ème Con­seil de l’E­d­u­ca­tion Nationale organ­isé par le Min­istère de l’E­d­u­ca­tion turc a décidé majori­taire­ment de réin­tro­duire la langue Ottomane dans le pro­gramme des lycées comme matière oblig­a­toire, les cours oblig­a­toire de reli­gion dès la pre­mière année de l’é­cole pri­maire. Par ailleurs, les cours de “Citoyen­neté et démoc­ra­tie” et “Droits humains” ont été supprimés.

Veli Demir, le prési­dent d’un syn­di­cat enseignant (Eğitim-İş), a for­mulé une forte inquié­tude : que dans la foulée de la langue Ottomane, l’arabe devi­enne rapi­de­ment oblig­a­toire. Il a souligné le fait que ce con­seil ne répondait pas à une com­po­si­tion démoc­ra­tique, mais était con­sti­tué de mem­bres de sectes et de représen­tants de communautés.

Par ailleurs, l’idée récu­rante d’un retour à l’al­pha­bet arabe fait recette. Les académi­ciens mem­bres de “l’As­so­ci­a­tion des enseignants uni­ver­si­taires” ont égale­ment déclaré : que le sys­tème d’é­d­u­ca­tion va vers l’abîme et que cette insis­tance sur l’ot­toman n’ap­portera rien aux jeunes cerveaux. “Ces jeunes qui seront con­duits à com­mu­ni­quer avec le monde entier, n’au­ront que faire d’un savoir qui ne leur servi­ra qu’à décrypter les pier­res tombales anciennes.”

De leur côté, les enseignants du sec­ondaire sig­na­lent avec insis­tance le déficit dans les appren­tis­sages au sor­tir de l’é­cole, notam­ment dans la langue mater­nelle et dans bien d’autres savoirs. Là-dessus, l’ap­pren­tis­sage de la langue ottomane est le dernier des soucis.


kedistan-reforme-alphabet-turquie-ataturkPour rap­pel, la langue ottomane
était la langue offi­cielle de l’Empire ottoman jusqu’aux réformes lin­guis­tiques menées par Atatürk après 1923. L’ot­toman s’écrit avec une ver­sion de l’al­pha­bet arabe, et se car­ac­térise par une pro­por­tion impor­tante de ter­mes d’o­rig­ine arabe et per­sane. Atatürk a ensuite fait adopter l’al­pha­bet latin pour écrire la langue turque et a encour­agé les travaux visant à rem­plac­er les mots arabes ou per­sans par des néol­o­gismes d’o­rig­ine turque. Con­traire­ment au latin, langue morte, qui per­met d’é­tudi­er les racines de la langue française clas­sique ain­si que de faciliter l’ap­pren­tis­sage des sci­ences, il n’en est rien de l’ot­toman par rap­port au turc. C’est donc un appren­tis­sage sup­plé­men­taire et non une gym­nas­tique intel­lectuelle qui aurait un intérêt péd­a­gogique (en tant que langue oblig­a­toire). Il s’ag­it en réal­ité d’une atti­tude idéologique qui pré­pare le ter­rain pour des change­ment plus radicaux.

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Ces dernières années, plusieurs change­ments ont sec­oué le sys­tème d’é­d­u­ca­tion en Turquie. Le nou­veau sys­tème 4+4+4 entré en vigueur en 2012–2013 a changé beau­coup de choses.

Le sys­tème précé­dent était 5+3, (5 années d’é­cole pri­maire + 3 années de col­lège, oblig­a­toires). Le 4+4+4 apporte 12 années d’é­tudes oblig­a­toires, ce qui peut être con­sid­éré comme une avancée dans un pays où les enfants tra­vail­lent, mais ce sys­tème a amené  égale­ment la réou­ver­ture des écoles religieuses (Imam Hatip), fer­mées lors du pas­sage au 5+3, en 1997. Cette dernière réforme a été très con­testée par les enseignants et les par­ents, pour dif­férents motifs : les enfants sont sco­lar­isés dès 5 ans, les cours d’is­lam devi­en­nent oblig­a­toires, la mix­ité est mise en cause, et des écoles publiques peu­vent être trans­for­mées en écoles religieuses.

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Effec­tive­ment, en 2 ans de 4+4+4, plusieurs écoles publiques se sont méta­mor­phosées. Par­fois avec des ouver­tures de class­es spé­ci­fique­ment religieuses, soit par change­ment inté­gral de l’é­cole. Par­fois, la trans­for­ma­tion s’est faite du jour au lende­main, sans aucun aver­tisse­ment ou con­cer­ta­tion avec les par­ents.  Le Min­istère de l’E­d­u­ca­tion Nationale, pré­tend “répon­dre à la demande de la pop­u­la­tion”. Les par­ents qui ne sont pas d’ac­cord n’ont plus que deux choix : l’é­cole privée payante laïque ou l’ex­ode vers un autre quarti­er. Seuls, ceux qui ont les moyens financiers peu­vent s’of­frir le luxe d’un change­ment, ou alors les familles se met­tent en dif­fi­culté pour don­ner une édu­ca­tion laïque à leurs enfants. Par ce biais le gou­verne­ment espère aus­si “homogénéis­er religieuse­ment” cer­tains quartiers.

La crainte de la trans­for­ma­tion de TOUTES les écoles est ravivée de temps en temps par des déc­la­ra­tions ponctuelles, comme celle ci : “Avec le sys­tème 4+4+4, nous avons actuelle­ment une chance de trans­former toutes les écoles en école religieuse” déclare le député de Mugla, Ali Boga, dont le petit enfant est inscrit dans une école privée française, à Ankara. Sacré paradoxe !

Sor­tir l’é­d­u­ca­tion nationale de la laïc­ité c’est amen­er à nou­veau à une com­péti­tion religieuse et finan­cière dans l’en­seigne­ment sans plus de pos­si­ble recours à l’é­cole publique, laïque et gratuite.

Voilà quelques chiffres annon­cés par Egit­im Sen (Syn­di­cat de l’Enseignement)

Les écoles religieuses :

  • 2012–2013  : 1099 écoles pour 94.467 élèves
  • 2013–2014  : 1355 écoles pour 240.000 élèves

Les lycées  religieux :

  • 2011-12 : 537 lycées pour 268.000 lycéens
  • 2012–2013 : 708 lycées pour 381.000 lycéens
  • 2013–2014 : 854 lycées pour 474.000 lycéens

Par­al­lèle­ment le nom­bre d’é­coles privées explose.

  • Avant 2012 il y avait 931 écoles privées (tout niveaux confondus)
  • 2012–13 : 992 écoles pri­maires | 904 col­lèges | 1033 lycées | 126 écoles professionnelles
  • 2013–14 : 1071 écoles pri­maires | 972 col­lèges | 1433 lycées | 426 écoles professionnelles
Sources :
Cumhuriyet
Stats Egitim Sen — écoles
Stats Egitim Sen — écoles religieuses
Déclaration d’Ali Boga
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