carte-turquie-igdirA Iğdır, le 8 sep­tem­bre, une bombe d’une tonne instal­lée sur la route explose sur le par­cours d’un véhicule de trans­port qui emme­nait les policiers pren­dre leur poste à la porte frontal­ière de Dilu­cu. 13 policiers sont tués.

turquie-carte-hakkariA Dağlı­ca, le 6 sep­tem­bre, com­mune de Hakkari, une explo­sion de mines instal­lées sur la route pen­dant le pas­sage du con­voi de l’armée  fait 16 morts et 6 blessés.

Les deux “atten­tats” ont été organ­isés par le PKK et les bombes ont été  télé­com­mandées à dis­tance. Pour Dağlı­ca, il s’agit de l’attaque la plus meur­trière que le PKK ait mené con­tre l’armée turque, depuis des années.

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Les infor­ma­tions sur l’attentat de Dağlı­ca sur­venu à 15h30 ont été trans­mis­es avec beau­coup de retard. L’E­tat Major a pub­lié juste une con­fir­ma­tion sans détails et le gou­verne­ment pour­tant réu­ni en urgence a préféré rester muet, lais­sant l’ac­tu­al­ité se meubler par un match de foot nation­al Turquie con­tre la Hollande.

Le Pre­mier Min­istre Ahmet Davu­toğlu présent au match et sur tous les écrans, était accom­pa­g­né d’un orphe­lin dont le père a été tué lors de l’attaque con­tre le Com­mis­sari­at de Sul­tan­beyli à Istan­bul, le mois dernier. Le match a démar­ré à 19h, le Pre­mier Min­istre sem­blait heureux. N’était-il pas au courant de la mort des 16 sol­dats ? Pour­tant sur les réseaux soci­aux proche du PKK, à 18h les détails de l’attentat étaient déclarés, jusqu’au nom­bre des victimes.

Pen­dant que les uns applaud­is­saient le Pre­mier Min­istre pour « sa main ten­due » à l’enfant orphe­lin, l’instrumentalisation du petit bon­homme indig­nait les autres. Les trist­esses authen­tiques ne sont pas con­solables, surtout pas avec un jou­et de pacotille dans une boite en car­ton qu’on doit garder sous le bras, pas même en étant près d’un Pre­mier Min­istre en toc.

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Eh bien, les infor­ma­tions sur l’attentat ont atten­du le score du match. La Turquie a bat­tu la Hol­lande 3 à 0.

Le soir même, Erdoğan inter­ve­nait dans une émis­sion en direct sur la chaine A Haber, afin de par­ler de l’attentat de Dağlı­ca. Ses pro­pos ont provo­qué de fortes con­tes­ta­tions dans les médias et réseaux sociaux :

Si un par­ti avait obtenu 400 députés, c’est à dire le nom­bre suff­isant pour chang­er la Con­sti­tu­tion, tout cela n’arriverait pas aujourd’hui. 

Ce n’est pas la pre­mière fois qu’Erdoğan par­le de son souhait d’obtenir la majorité par­lemen­taire de cette façon mais dans le cli­mat de chaos actuel et le jour même d’un atten­tat qui a sec­oué le pays, ses pro­pos ont été reçus comme un aveu et une men­ace supplémentaire.

Les jour­naux ont mis des manchettes : Erdoğan : « Don­nez-moi 400 députés pour que cela se cesse »

Dans la même émis­sion, Erdoğan ajoutait, « J’ai par­lé avec les familles de nos sol­dats tombés dans l’attentat. Elles dis­ent toutes, qu’elles ont sac­ri­fié leurs enfants pour la Patrie. Je n’ai eu pas une seule réac­tion néga­tive ». Il pré­ci­sait qu’un “cer­tain média” utilise les funérailles pour faire de la pro­pa­gande : « Tout cela est de la provo­ca­tion. Un père m’a dit ; j’ai 5 autres enfants, je suis prêt à sac­ri­fi­er mes 5 enfants, avec moi même pour cette patrie. Il y a des pères comme ça. Mais il y a aus­si ceux qui ont le “car­ac­tère altéré”. Je don­nerais le monde entier à des pères comme ça. »

Pour­tant des mil­lions de per­son­nes n’ont qu’une ques­tion à la bouche :

Pour quelles raisons, et pour qui nos enfants sont sac­ri­fiés ? Pourquoi les gens meurent sous les balles à Cizre, à Silopi, pourquoi les sol­dats tombent-ils à Dağlı­ca, à Iğdır ? Pour qui ? Pourquoi ? 

Tous ces gens, sans doute, ces mil­lions de per­son­nes ont le “car­ac­tère altéré”…Jobs

Autant l’at­ten­tat de Suruç (tou­jours pas iden­ti­fié claire­ment Daesh et à forte odeur de MIT) mar­que le début du dou­ble jeu d’Er­doğan lui per­me­t­tant d’at­ta­quer les kur­des et de rompre la trêve, autant cette action armée du PKK mar­quera la bas­cule défini­tive des ultra­na­tion­al­istes du côte de l’AKP et la pos­si­ble bas­cule du pays tout entier, dans une guerre qui ne dit pas son nom mais qui ressem­ble forte­ment à une prise de pou­voir par les armes et la violence.

D’ailleurs depuis 48 heures les locaux du HDP sont attaqués dans des grandes villes, et des villes de province, notam­ment İst­anb­ul, Ankara, Kırşe­hir, Tekir­dağ, Antalya, İzmir, Edirne, Aksaray…

Je cite ici un jour­nal­iste de RFI, Jerôme Bas­tion : « Les bureaux du HDP pro-kurde font l’ob­jet d’at­taques nom­breuses par les islamo-nation­al­istes, alors que dans tout le pays le par­ti ultra-nation­al­iste et son “club de jeunes”, le “cer­cle des idéal­istes” (sic), appelait à man­i­fester con­tre le ter­ror­isme dans les rues. “Con­tre le ter­ror­isme” étant syn­onyme d’ ”anti-kurde” pour eux, le siège du par­ti à Ankara est encer­clé, à Kırşe­hir le bâti­ment a été brûlé, et çà et là des agres­sions à car­ac­tère raciste sont à déplorer…»

« Des ban­des de mil­i­tants ultra-nation­al­istes se baladent dans les grandes villes, Istan­bul et Ankara notam­ment, à l’ap­pel du par­ti MHP pour “dénon­cer le ter­ror­isme” mais en fait ces rassem­ble­ments tour­nent aux raids con­tre les locaux du par­ti pro-kurde HDP. Le siège du par­ti à Ankara a été vic­time d’une attaque en règle, avec ten­ta­tive d’in­cendie (éteint, mais il y avait des gens à l’in­térieur; selon le député Garo Pay­lan, le bâti­ment serait hors d’usage); comme à Kırşe­hir, plus tôt dans la soirée. Les con­vois de ces mil­i­tants surex­cités en voiture au son du klax­on réson­nent dans le cen­tre d’Is­tan­bul, sus­ci­tant l’in­quié­tude des Kur­des et des autres minorités, en ce triste anniver­saire des pogroms des 6 & 7 sep­tem­bre 1955 visant à vider la Turquie de ses ressor­tis­sants grecs, arméniens et juifs. Hier, un jeune par­lant kurde au télé­phone dans un bus à Istan­bul a été poignardé à mort; et dans plusieurs villes du pays des agres­sions physiques graves ont eu lieu con­tre la com­mu­nauté kurde… Par endroits, les sym­pa­thisants ultra­na­tion­al­istes s’en pren­nent égale­ment aux locaux du par­ti kémal­iste CHP. »

Ajout : 9 sep­tem­bre 15h
Ce matin le bilan est préoc­cu­pant : selon des sources proches du HDP, 306 de leurs bureaux et suc­cur­sales ont été attaqués. Il n’y aurait pas de dégâts humains mais ce qui restait de la démoc­ra­tie s’écroule. Les médias relayent que Demir­taş, le co-prési­dent du HDP aurait demandé le report des élec­tions, prévues pour le 1er novembre.

Voir le com­mu­niqué du Con­grès nation­al du Kur­dis­tan (CNK) sur Susam-Sokak

Ces attaques coor­don­nées, si elles sont faites par des groupes chauf­fés à blanc par une pro­pa­gande ultra nation­al­iste, n’en sont pas moins dirigées de quelque part. Ces groupes sont majori­taire­ment com­posés de « petites gens », cible élec­torale favorite des pop­ulistes big­ots de l’AKP, mais petites mains des nation­al­istes. Cer­tains groupes du même accabit, déjà, avaient prêté main forte à la police lors des com­bats de Gezi, vocif­érant et équipés d’armes blanches.

Ceci sur fond d’in­ter­ven­tion des forces armées, qui elles, tuent quo­ti­di­en­nement, comme à Cizre, ville sous blo­cus, où aucune ambu­lance ne peut pénétr­er et où tous les besoins humains élé­men­taires sont coupés.

 


Pour une syn­thèse lisez aus­si Turquie, SOS ! 


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.