A jouer avec des allumettes, on risque d’embraser une région entière.

Le blanc seing don­né à Erdoğan en Turquie, en échange d’une promesse de con­sacr­er plus de moyens et de temps à la lutte con­tre Daesh, est une étape crim­inelle sup­plé­men­taire de la poli­tique de l’Otan dans la région.

Le gou­verne­ment Erdoğan, dès 2014, a fait le tour d’un cer­tain nom­bre de cap­i­tales européennes, dont Paris, pour défendre l’idée de l’étab­lisse­ment d’une zone tam­pon aux fron­tières entre la Syrie et la Turquie.

On sait tous que cette zone recoupe en par­tie les régions kur­des syri­ennes libérées, et cela explique le peu d’empressement, sinon la com­plic­ité avec Daesh, que l’ar­mée turque a eu lors du siège de Kobanê. Kobanê a été depuis lors libéré, ain­si qu’une bande frontal­ière, par les com­bat­tants kur­des syriens.

Un axe impor­tant pour le tran­sit du pét­role illé­gal de Daesh, qu’on retrou­ve dans les raf­finer­ies européennes, comme pour les armes, fut ain­si momen­tané­ment empêché.
Des camps de réfugiés sont égale­ment présents, et le pro­jet d’Er­doğan annonçait son inten­tion de les péren­nis­er là et de les élargir. L’Otan, quant à elle, avait sur le papi­er con­di­tion­né son feu vert à la présence d’une « armée syri­enne libre » aux con­tours très forces spéciales.

Depuis ce feu vert, Erdoğan a lancé une offen­sive « anti ter­ror­iste », à la fois con­tre cette zone libérée de Daesh, et con­tre des bases de repli iraki­ennes du PKK, par­ti kurde. Les frappes con­tre Daesh se comptent sur une main.

Cela, aucun dirigeant européen ne peut l’ig­nor­er, encore moins ceux qui publique­ment ont soutenus « le projet ».

Le con­texte poli­tique intérieur de Turquie ne peut non plus être ignoré des gou­verne­ments européens.
L’échec du prési­dent Erdoğan, lors des dernières élec­tions, qui n’a pu con­cré­tis­er une majorité absolue néces­saire aux change­ments con­sti­tu­tion­nels qu’il envis­ageait est l’élé­ment majeur pour com­pren­dre la stratégie de chaos qui s’est mis en place en Turquie depuis juillet.
Le respon­s­able de cet échec élec­toral est le jeune par­ti HDP, par­ti dont un des dirigeants est l’an­cien can­di­dat kurde aux élec­tions prési­den­tielles, et déjà plébisc­ité par les démoc­rates turques et la gauche.
Ce par­ti est aujour­d’hui une sorte de front où les luttes con­tre le pou­voir AKP, les luttes écologiques, les com­bats de toutes les minorités turques, y com­pris religieuses, les mil­i­tants de la gauche démoc­ra­tique, ceux issus de la bataille emblé­ma­tique de Gezi se sont retrou­vés unis. Il a fait autour de 13% aux dernières élec­tions, et une majorité dans les villes de l’Est, à pop­u­la­tion kurde majori­taire, lassée des conflits.

C’est dans cet état des rap­ports de forces, et l’im­pos­si­ble con­sti­tu­tion d’un gou­verne­ment de coali­tion majori­taire, que la con­sti­tu­tion amène à de nou­velles élec­tions le 1er novembre.

En divisant pour mieux régn­er, l’AKP aux abois, a décidé par son prési­dent de pra­ti­quer une stratégie de choc, en rompant uni­latérale­ment la trêve mil­i­taire avec le PKK et quit­tant la table déjà vide des négo­ci­a­tions. Offi­cielle­ment, la paix civile était rompue.

On ne peut pas dire que cela aura affec­té en quoi que ce soit le cours des choses, au niveau de l’Otan et des pays mem­bres. Cer­taines félic­i­ta­tions ont même per­duré, pour la « con­tri­bu­tion à la lutte con­tre le terrorisme ».

D’at­taques et bom­barde­ments, en quadrillages de quartiers par la police et l’ar­mée, et l’as­sas­si­nat pêle mêle de défenseurs kur­des du PKK et de civils, s’est instal­lé une guerre con­tre les civils à visée élec­torale.… Cela peut paraître ubuesque, mais dans ce grand pays qu’est la Turquie, cohab­itent un respect insti­tu­tion­nel de façade, et des exac­tions mil­i­taires con­tre les civils, des répres­sions poli­cières féro­ces, dans la plus totale vio­la­tion des droits fondamentaux.
Tant à l’Est que dans les métrop­o­les, les com­bats, con­flits, oppo­si­tions vio­lentes armées, font rage depuis un mois, spo­radique­ment ou sous occu­pa­tion de villes et provinces à l’Est justement.

Mil­i­taires, com­bat­tants du PKK, civils, femmes et enfants en grand nom­bre sont tombés sous les balles ou les bom­barde­ments, et le nom­bre de blessés ne cesse d’augmenter.

Une majeure par­tie du Peu­ple kurde et Turc, resté dans la reven­di­ca­tion de la paix civile et la con­damna­tion de la guerre, d’où qu’elle vienne, s’é­tait jusqu’alors exprimée, relayé par les médias démoc­ra­tiques anti régime, et par­fois au delà.
La cam­pagne « élec­torale » menée par Erdoğan et ses min­istres sur les lieux d’in­hu­ma­tion s’é­tait retournée con­tre eux.
Des sondages sérieux annonçaient une poussée du HDP et des par­tis démoc­ra­tiques mal­gré tout, et un recul des ultra nation­al­istes et de l’AKP.

Le cli­mat de guerre civile dans des quartiers de métrop­o­les, comme dans des provinces entières cohab­i­tant avec une vie quo­ti­di­enne dans le pays et un sem­blant de pré­pa­ra­tion élec­torale, s’est trans­for­mé depuis quelques jours en razz­ias et émeutes, attaques des locaux du HDP, le prési­dent ayant lâché ses enne­mis ultra nation­al­istes d’hier.

Le PKK, ayant égale­ment quit­té son atti­tude de défense pop­u­laire et con­sid­éré qu’il était en état de guerre, mal­gré là dessus des diver­gences qui se sont exprimées au sein du HDP, une opéra­tion récente a mis le feu aux poudres et Erdoğan a lancé à la fois une con­tre offen­sive de repré­sailles, mais aus­si une offen­sive idéologique en appui sur les ultras.
C’est qua­si de « nuits de cristal » dont on peut par­ler, attaquant aus­si la presse démoc­ra­tique et des locaux des par­tis libéraux.

La mort du petit Aylan fut aus­si l’oc­ca­sion de dia­tribes très vio­lentes con­tre les dirigeants européens de la part d’Er­doğan, dia­tribes à la fois test sur la réac­tiv­ité de ceux-ci, et à usage intérieur.
On sait que par ailleurs, beau­coup de réfugiés syriens kur­des étaient poussés vers la Grèce ces dernières semaines, Erdoğan vidant ses trottoirs.

Se taire sur cette men­ace de guerre civile et cette prise de pou­voir par la force qui vient, serait crim­inel. Ce serait aus­si, dans quelques semaines, l’im­pos­si­bil­ité de vol­er au sec­ours des par­tis démoc­ra­tiques, qui vont être bas­culés dans les violences.

La ques­tion des réfugiés et cette poli­tique de coup d’é­tat, et de répres­sion xéno­phobe sont liés.

Une alerte ne peut suffire.
Faire com­pren­dre à ce mou­ve­ment de sol­i­dar­ité envers les réfugiés que cette sit­u­a­tion ne fera qu’empirer les choses, et que dans un même élan il faut accueil­lir et dénon­cer ces poli­tiques régionales est d’une urgence absolue.

Les états européens ont quelque peu bougé les lignes, face à une émo­tion répan­due. Il faut aller plus loin dans l’ex­i­gence d’une con­damna­tion du gou­verne­ment Erdoğan devant la com­mu­nauté inter­na­tionale, même si l’on sait tous que cela ne suf­fi­ra pas.
L’ar­rêt de la guerre con­tre les civils en Turquie et le sou­tien aux pop­u­la­tions qui y croient encore doit s’ex­primer ici, en pres­sion con­tre le gou­verne­ment français, mem­bre du con­seil de sécu­rité, faute de voir Daesh se mêler de ces événe­ments. Et l’on con­naît les rela­tions trou­bles très récentes entre l’AKP et ces crim­inels corrompus.

Per­son­ne n’est dupe de ces grands « machins » inter­na­tionaux, mais rester à ne rien faire les bras croisés à péror­er sur la révo­lu­tion qui ne vient pas n’arrangera rien.

Daniel Fleury
Anjou rouge et coquelicots


Pour des com­plé­ments indis­pens­ables lisez aus­si  Turquie : le fusil dans les urnes


 

 

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…