Une année s’est écoulée depuis que 301 mineurs ont péri dans l’effondrement d’une mine à Soma, commune à 130km au nord d’Izmir… Restent derrière 432 orphelins, des centaines de compagnes, parents, proches, amis.
Nilay Vardar, reporteur pour l’agence de presse turc Bianet nous raconte, l’inauguration de « şehitlik » (cimetière des martyrs) construit en la mémoire des mineurs dont 49 sont enterrés sur place. Les noms des autres victimes enterrées dans leur village respectif sont gravés sur des cubes en marbre sur lesquels ont été apposées des lampes de mineurs afin que la flamme qu’ils ont allumée en nos coeurs, ne s’éteigne plus.
Ce mercredi 13 mai, jour de l’inauguration, l’ensemble de la société civile semblait s’être donné rendez-vous pour honorer les victimes et leur famille : les syndicats, les étudiants des bras chargés de roses, les membres du Kızılay (le croissant rouge) distribuant des jouets pour les enfants, et bien sur, toute la clique habituelle de politicards…
Les femmes des mineurs portent des t‑shirts noirs avec le nom de leur défunt mari imprimé sur la poitrine. Les enfants essayent de répondre au mieux aux questions absurdes des journalistes : « Alors, mon petit, ton papa, est-ce qu’il te manque ? ».
Tous les proches des mineurs ont le même souhait : « Que tous les responsables soient jugés, y compris les fonctionnaires. » Les familles sont en colère contre l’Etat du fait que le gouvernement a protégé les fonctionnaires qui avaient inspecté les installations avant l’accident en refusant de les poursuivre en justice.
Mais à Soma, un autre problème vient ombrager le quotidien déjà bien sombre des femmes de mineurs : être veuve ! (dans une sociéte patriarcale)
Hidayet Toköz, enseignante, veuve de Ferhat Toköz essaye de survivre avec son fils en bas age. Hidayet affirme que les femmes ayant perdu leur compagnon subissent de fortes pressions sociales. Elle montre ses cheveux coupés courts :
Mon mari adorait que je teigne mes cheveux. J’avais de longs cheveux blonds clairs avant sa mort. Après, je suis allée les faire couper très court. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça d’être veuve à Soma.
Si tu es veuve, tu ne peux pas te balader dans la rue, tu ne peux pas boire un thé avec tes copines, tu ne peux pas t’habiller avec des vêtements de couleurs, porter des bijoux. Si tu es veuve, tu n’as même pas le droit rire. Nos sentiments disparaissent. Nos vies privées deviennent un sujet qui intéresse tout le monde. Etre veuve, être veuve de martyr, c’était donc ça. Je l’ai appris, moi aussi.
Dans une société traditionnelle, conservatrice et patriarcale comme la société turque, le statut de veuve (ou divorcée) est très difficile à vivre. Les paroles et gestes de la « femme seule » sont épiés et interprétés à loisir par la famille, son entourage ou le voisinage… Que ce soit dans la vie privée, sur le lieu du travail ou dans la rue et toujours avec cette universelle à priori de « ces imbéciles heureux qui sont nés quelque part »comme l’aurait chanté si justement Georges Brassens.
Par ailleurs, les préoccupations des familles ne sont pas que d’ordre moral, mais aussi d’ordre financier, explique Hidayet :
J’ai rencontré une autre veuve. Elle venait d’un village. Depuis la mort de son mari elle n’avait jusqu’alors pas pu sortir de la maison. Et seulement strictement accompagnée de son beau-père. Les familles craignent que leur belle fille se remarie et ainsi voir partir les indemnités qu’elle reçoit et qui viennent combler leur revenus déjà maigres.
Après la mort des fils, les belles-filles sont tenues sous la pression familiale. Les relations deviennent souvent conflictuelles et parfois se cassent irrémédiablement. Certaines familles sont déjà éclatées. Les belles-filles emménagent seules avec leurs enfants. D’un côté il y a les familles, les grand-parents qui se plaignent de ne pas assez voir les petits enfants, ou ne plus pouvoir les voir du tout. De l’autre côté les femmes qui ne veulent plus rester dans leur statut de « belle fille veuve » et subir la pression familiale. Elles veulent exister en tant que femmes, se débrouiller avec leur enfants et être autonome.
Comme le dit si bien Hidayet :
A force d’être écrasées sous le joug du statut de veuve, les femmes cherchent à retrouver le chemin d’une vie normale.