Nous savions déjà que des mil­i­tants LGBTI avaient entamé une cam­pagne pour débar­rass­er les librairies des livres par­lant de l’ho­mo­sex­u­al­ité comme maladie. 

Voilà main­tenant que Zafer Kıraç, Prési­dent de l’as­so­ci­a­tion CISST (Ceza İnf­az Sis­te­minde Siv­il Toplum Derneği- Asso­ci­a­tion de Société civile pour le sys­tème d’exécution des peines), s’est entretenu avec le Min­istère de la Jus­tice sur les détenu(e)s LGBT.

Le jour­nal quo­ti­di­en Radi­kal nous fait part des curieuses répons­es du Ministère…

La pre­mière chose qui saute à l’oeil est l’utilisation de l’acronyme LGBT dans les doc­u­ments du Min­istère. Les doc­u­ments par­lent des per­son­nes LGBT, en util­isant le terme « LGBT’li », per­son­nes « por­teuses de LGBT », ou « malade de LGBT », comme « kanserli » pour une per­son­ne atteinte de cancer.

Ca com­mence bien ! Vis­i­ble­ment aux yeux du Min­istère de la Jus­tice, toute sex­u­al­ité autre que l’hétérosexualité est une maladie.

Selon l’association :

« Le Min­istère déclare 79 détenus LGBT’li.  Les détenus gays, les­bi­ennes et bisex­uels ne peu­vent pas être « recensé(e)s » tant qu’ils-elles ne se sont pas fait recon­naitre, et en général ils-elles l’évitent, on peut donc imag­in­er facile­ment que les 79 détenu(e)s sont aus­si des transexuel(le)s. »

Pré­cisons que pour qu’un(e) détenu(e) puisse faire une demande pour partager les mêmes quartiers que d’autres détenu(e)s LGBT,  il-elle est obligé(e) de déclar­er sa sit­u­a­tion. Cette déc­la­ra­tion est admin­is­tra­tive, et néces­site une étude d’une com­mis­sion médi­cale et l’en­quête peut être extrême­ment blessante et dégradante.

« Les détenu(e)s expri­ment qu’une des dif­fi­cultés les plus couram­ment ren­con­trées est l’isolement. Des infor­ma­tions con­cer­nant l’isolement des détenu(e)s au pré­texte de leur « pro­pre sécu­rité » dans des pris­ons où ils-elles sont « en petit nom­bre », ont déjà été rap­portées à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il existe égale­ment une con­damna­tion (en 2012). Les détenu(e)s LGBT sont en moyenne 3 par prison — excep­té à Mal­te­pe (NDT : Quarti­er asi­a­tique d’Is­tan­bul) et Eskişe­hir (NDT : Ana­tolie cen­trale — et 5 détenu(e)s sont les seul(e)s de leur prison. Par ces chiffres il n’est pas dif­fi­cile de con­stater l’isolement de ces détenu(e)s.

« Ce que nous com­prenons de la réponse du Min­istère, c’est qu’ il existe un pro­jet de prison spé­ci­fique pour les détenu(e)s LGBT. Ce pro­jet n’ap­portera pour­tant que des résul­tats négat­ifs. Les déténu(e)s LGBT de toutes les villes regroupé(e)s dans cette prison, seront arraché(e)s à leur famille, éloigné(e)s de leur milieu social. Et toutes les per­son­nes qui seront incar­cérées dans cette prison seront claire­ment « estampil­lées » à vie.

Nous parta­geons avec vous, le témoignage de Zehra, incar­cérée dans la prison de femmes semi-ouverte à Adana, recueil­li lors de sa journée de per­mis­sion, pub­lié sur un site Inter­net qui s’ap­pelle “Etre LGBTI en prison” (Hapiste LGBTI olmak) et qui com­mu­nique des infor­ma­tions et pub­lie des let­tres de témoignages.

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Com­ment as tu été traitée à ton arrivée en prison ?

Mon procès avait com­mencé en 2006. Il a duré 6 ans. J’ai pris une peine de prison de 9 ans, 4 mois et 15 jours. J’ai été envoyée à la prison de Kam­püs à Sin­can et incar­cérée avec 25 détenus hommes, puis envoyée à la prison des femmes.

Au départ, il y a le traite­ment stan­dard : on nous met dans le secteur de récep­tion des détenus. Puis, nous sommes fouil­lées, entière­ment nues. La mal­trai­tance fait par­tie du traite­ment stan­dard. Si c’est un jour de repos, on nous fait atten­dre dans cet endroit. Puis nous sommes emmenées aux quartiers.

Quel regard ont-ils/elles les prisonnier(e)s sur une détenue trans ?

Il est très dif­fi­cile d’être trans en prison. Il faut que tu com­mu­niques avec des gens qui n’ont jamais vu de trans de leur vie. Il faut que tu te battes avec leurs insultes. Bien sur qu’elles ne sont pas dites ouverte­ment. Tu es con­damnée par le tri­bunal pour ton délit, puis tu es jugée par tes cama­rades de prison. Et tu es la cible des regards haineux du personnel.

Suite aux con­seils d’une amie avec laque­lle je cor­re­spondais, j’ai demandé mon trans­fert à la Mai­son d’Arrêt de femmes à Adana. Ma demande a été accep­tée. Mais quand je suis arrivée sur place, j’ai vu que nos con­di­tions de vie à Sin­can pour lesquelles je me plaig­nais n’étaient rien. Ici nous viv­ions avec des ser­pents et des scor­pi­ons. J’ai décou­vert des espèces d’insectes que je n’avais jamais vues auparavant.

Quelles sont les autres plaintes des prisonniers ?

Il n’y a pas de com­mis­sion de véri­fi­ca­tion des cour­ri­ers, donc nous n’avons pas droit d’envoyer de longues let­tres. Les let­tres doivent être cour­tes et les enveloppes non scellées.

Les repas sont insuff­isants aus­si bien au niveaux de la quan­tité que de la qual­ité. 140 femmes doivent être servies. La quan­tité d’un repas servi à un quarti­er de 20 femmes est le quart de ce qui est réservé pour 4 gar­di­ens. Celles qui n’ont pas d’argent, restent à jeun. Et la seule solu­tion pour avoir de l’argent, c’est de se pros­tituer pen­dant les jours de per­mis­sion. Le fait que les femmes incar­cérées dans des pris­ons semi-ouvertes passent leurs jours de perm en se pros­ti­tu­ant est très répan­du. J’ai des amies de 20 ans qui devi­en­nent des maîtress­es des hommes de 70 ans, juste pour avoir un revenu régulier.

Il y a beau­coup de trans­ferts pour rai­son de manque de place. Récem­ment ils ont envoyé 31 per­son­nes à la Prison semi ouverte de Sivas. Sivas est con­sid­éré comme un lieu d’exil. Ils nous ont réveil­lées un beau jour à 06h, et ils nous ont mis en rang. J’entends encore les pleurs, les plaintes de celles qui étaient sur la liste.

Ils nous font tra­vailler, mais pré­tex­tant le manque de bud­get ils ne paient pas les salaires. Moi, je tra­vaille tous les jours dans la cui­sine, de 07h à 23h. Mon tra­vail devrait être payé, mais je ne touche rien.

L’absence des pro­duits de pre­mière néces­sité est aus­si une autre cause de plainte.

Com­ment les détenues se les procurent-ils ?

Pour gag­n­er de l’argent, dans les pris­ons, on trou­ve des com­bines que vous ne ver­rez nulle part ailleurs. Si vous ne pro­posez pas de servi­ettes hygiéniques en vente, les détenues doivent se les pro­cur­er de l’extérieur en payant 4, 5 fois le prix. Les com­bines entrent en jeu grâce aux besoins. Avec l’autorisation de la direc­tion, un vendeur ambu­lant arrive, et vous vend ces pro­duits avec le principe :  basse qual­ité-prix fort.

Dans n’importe quelle insti­tu­tion vous ne pou­vez pas salari­er une per­son­ne qui fait le ménage, en dessous du salaire min­i­mum [949 TL = 360€]. Or en prison, vous pou­vez acheter le même ser­vice en payant 150 livres [=57€] par mois. Et avec des horaires de 10, 11 heures par jour, 7 jour sur 7. 

A la prison de femmes d’Ankara, il y a un ate­lier de man­tı [ravi­o­lis turcs]. On demande aux pris­on­nières qui tra­vail­lent dans cet ate­lier, de pro­duire min­i­mum 10 kg de man­tı par jour. Celles qui rem­plis­sent le cota de 10kg sont payées 150 livres [=57€]. Les paque­ts de man­tı de grandes mar­ques comme « Beğendik » que vous trou­vez dans les rayons sont pro­duits comme ça. Quant à celles qui n’ont pas rem­pli le quo­ta, elles voient leur salaire amputé.

Cepen­dant, l’institutionnalisation de l’homophobie, de la pros­ti­tu­tion et de l’esclavagisme ne sont pas l’apanage du seul gou­verne­ment AKP, mais symp­to­ma­tique du sys­tème car­céral de toute société patriarcale.

Il faut effec­tive­ment chercher ailleurs, dans ce dernier, les racines pro­fondes de ce mal pro­pre à nos sociétés : l’exclusion des indi­vidus et des com­mu­nautés, le fos­sé des class­es ou l’ignorance et la dére­spon­s­abil­i­sa­tion des mass­es, qu’ont enfan­té le Pou­voir, le cap­i­tal­isme et les religions. 

Pour sor­tir de l’isolement, le bon sens le plus basique ne nous invite-il pas à trou­ver une solu­tion à ce sys­tème socié­tal oppres­sif, dans la respon­s­abil­i­sa­tion, l’éducation et l’éveil des mass­es populaires ?

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