Yannis

Mes­sage de Yan­nis Youloun­tas :
URGENT :
INFOS IMPORTANTES SUR LA SITUATION EN GRÈCE !

Alors que les médias européens n’en par­lent pas du tout, n’hésitez pas à faire cir­culer, mer­ci de votre soutien ! ” 

Depuis la fin du mois de novem­bre, les man­i­fes­ta­tions, émeutes, actions ciblées et occu­pa­tions se mul­ti­plient un peu partout en Grèce (dans le silence total des medias européens, plus que jamais des mer­dias à boy­cotter, à blo­quer ou à occu­per). La cause prin­ci­pale est la sit­u­a­tion du jeune pris­on­nier anar­chiste de 21 ans, Nikos Romanos, qui est devenu un sym­bole de toutes les vio­lences subies par la pop­u­la­tion, mais aus­si du pro­fond désir de lut­ter, quelle que soit la forme, et de refuser la tor­peur et la résignation.

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Nikos, l’ami d’Alexis Grig­oropou­los, sym­bole des émeutes de 2008

Nikos est l’ami d’enfance d’Alexis Grig­oropou­los, assas­s­iné à l’âge de 15 ans par un polici­er dans le quarti­er d’Exarcheia à Athènes. Un quarti­er réputé pour ses révoltes his­toriques et ses nom­breuses ini­tia­tives auto­ges­tion­naires et sol­idaires. Un quarti­er dans lequel la lib­erté, l’égalité et la fra­ter­nité ne sont pas des mots jetés à l’abandon au fron­tispice de mon­u­ments publics glacés de mar­bre. Nikos a vu son ami mourir dans ses bras le soir du 6 décem­bre 2008. Pro­fondé­ment révolté, il s’est par la suite engagé dans l’anarchisme révo­lu­tion­naire et a déval­isé une banque pour financer son groupe qual­i­fié de ter­ror­iste par le pou­voir. Après avoir été tor­turé, notam­ment au vis­age, lors de son arresta­tion, il a finale­ment réus­si à obtenir son bac en prison, mais se voit aujourd’hui refuser la pos­si­bil­ité de pour­suiv­re ses études. C’est pourquoi, depuis le 10 novem­bre dernier, Nikos est en grève de la faim. Son état s’est pro­gres­sive­ment dégradé, notam­ment au niveau car­diaque, mal­gré ses 21 ans, et il a été trans­féré sous haute sur­veil­lance à l’hôpital Gen­ni­matas d’Athènes devant lequel man­i­fes­tent régulière­ment des mil­liers de per­son­nes qui parvi­en­nent par­fois à dia­loguer avec lui à tra­vers les grilles de sa fenêtre (voir la pre­mière pho­to de l’article con­nexe dans la même rubrique). En sol­i­dar­ité avec Nikos, un autre pris­on­nier poli­tique, Yan­nis Michai­lidis, s’est mis en grève de la faim le 17 novem­bre au Pirée, suivi par deux autres, Andreas Dim­itris Bour­zoukos et Dim­itris Poli­tis, depuis le 1er décem­bre. Le gou­verne­ment grec vient de con­firmer son refus de per­me­t­tre à Nikos de pour­suiv­re ses études et préfère le laiss­er mourir, non sans faire preuve d’ironie. Des petites phras­es assas­sines et provo­ca­tri­ces qui ne font qu’augmenter la colère pop­u­laire et les nom­breuses protes­ta­tions des organ­i­sa­tions anar­chistes et anti-autori­taires jusqu’à celles de SYRIZA, prin­ci­pal par­ti de la gauche cri­tique, qui est annon­cé vain­queur des prochains élec­tions en Grèce. Bref, le con­texte poli­tique est par­ti­c­ulière­ment ten­du, à tous points de vue.


L’Ecole Poly­tech­nique, sym­bole de la chute de la dic­tature des Colonels

Dans cette ambiance de fin de règne, par­mi d’autres ini­tia­tives sol­idaires, l’Ecole Poly­tech­nique est à nou­veau occupée depuis le pre­mier décem­bre, 41 ans après avoir défié avec suc­cès la Dic­tature des Colonels en novem­bre 1973, au cours d’une occu­pa­tion sim­i­laire pour défendre une radio libre qui s’opposait au régime autori­taire. Les CRS suréquipés vien­nent d’échouer par deux fois dans leurs ten­ta­tives de nous déloger, notam­ment le 2 décem­bre au soir, à la fin d’une man­i­fes­ta­tion fleuve qui s’est ter­minée avec plusieurs ban­ques dégradées ou brûlées. Par­mi d’autres obsta­cles de cir­con­stance, un bus a même été trans­for­mé en bar­ri­cade incan­des­cente sur l’avenue Stournari, à Exarcheia (voir les pho­tos dans l’article con­nexe), et les affron­te­ments ont duré une bonne par­tie de la nuit. Douze insurgés arrêtés ont été vio­lem­ment frap­pés, au point que trois d’entre eux souf­frent de frac­tures du crâne. L’occupation de l’Ecole Poly­tech­nique n’a pas cédé, mal­gré le dev­erse­ment de quan­tités énormes de gaz lacry­mogène depuis l’extérieur, tel du napalm sur toute la zone dev­enue une zone à défendre. Une ZAD jumelée, ces dernières heures, avec d’autres ZAD dans le monde, notam­ment celles de NDDL et du Testet en France qui ont rapi­de­ment trans­mis leur sou­tien frater­nel, ain­si que de nom­breuses per­son­nes et organ­i­sa­tions de France et d’ailleurs (sou­tiens que j’ai affiché sur l’un de nos murs et annon­cé en assem­blée à tous les com­pagnons et cama­rades). Ce soir-là, alors que la dis­tri­b­u­tion sol­idaire de sérum, de mal­lox et de cit­rons bat­tait son plein, j’ai remar­qué plus de filles que jamais par­mi les insurgés (voir la pho­to de « l’autre stat­ue de la lib­erté » dans l’article con­nexe) et une diver­sité à tous les niveaux qui augure une ampleur et une rad­i­cal­ité sans précé­dent. J’ai vu et ressen­ti une déter­mi­na­tion et une fra­ter­nité rarement ren­con­trées jusqu’ici, dans mes voy­ages en Grèce et ailleurs, là où l’humanité ne se résouds pas à vivre à genoux et tente, diverse­ment, de se lever. J’ai vu la vie s’organiser autrement dès le lende­main et la chaleur des bar­ri­cades se trans­former en chaleur des cœurs par­mi les occu­pants de l’Ecole Poly­tech­nique et d’ailleurs.


Rien n’est fini, tout commence !

Car durant ces dernières heures, les lieux d’occupations se sont mul­ti­pliés, rap­pelant le proces­sus de décem­bre 2008 qui avait amené la Grèce à con­naître les émeutes sans doute les plus puis­santes en Europe depuis plusieurs dizaines d’années (sans toute­fois par­venir à ren­vers­er un pou­voir qui s’était finale­ment main­tenu de justesse, notam­ment en dis­til­lant la peur et la dés­in­for­ma­tion dans les médias). Des occu­pa­tions de bâti­ments publics et de groupes financiers, de chaînes de télévi­sion et de radios, d’universités et de mairies, depuis Thes­sa­lonique jusqu’à Hérak­lion. Des occu­pa­tions tou­jours plus nom­breuses, ain­si com­men­tées par Yan­nis Michai­lidis dans son dernier com­mu­niqué de gréviste de la faim, très relayé sur Inter­net : « c’est ce qui brise la soli­tude de ma cel­lule et me fait sourire, parce que la nuit de mar­di [2 décem­bre], je n’étais pas pris­on­nier, j’étais par­mi vous et je sen­tais la chaleur des bar­ri­cades brûlantes ». Avant de con­clure avec une phrase rap­pelant le titre du dernier livre de Raoul Vaneigem : « Rien n’est fini, tout commence ! »


Une émo­tion immense

Par­mi les événe­ments qui m’ont égale­ment mar­qué ces jours-ci, cer­taines assem­blées de col­lec­tifs ont mon­tré à quel point la ten­sion est à son comble. Notam­ment celle de l’occupation de l’Ecole Poly­tech­nique dans la soirée puis toute la nuit du 3 au 4 décem­bre. Une assem­blée qui a duré plus de 9 heures, jusqu’à 5h30 du matin. Certes, quelques diver­gences ont jus­ti­fié cette durée jusqu’au con­sen­sus finale­ment trou­vé au petit matin et je ne ren­tr­erai évidem­ment pas dans les détails de ce qui s’est dit, notam­ment pour ce qui est des pro­jets en cours. Mais je peux témoign­er d’une atmo­sphère élec­trique ponc­tuée de longs silences qui en dis­ent long. Je peux vous dire égale­ment que le grand amphi de l’Ecole Poly­tech­nique était, une fois de plus, plein à cra­quer, avec des com­pagnons et des cama­rades debout et assis un peu partout, devant des murs fraiche­ment repeints de graf­fi­tis. Je peux vous dire que la présence du papa de Nikos Romanos, assis au milieu de la salle, avec sa chevelure longue et grise et son regard pro­fond et digne, ne pou­vait que con­tribuer à une émo­tion déjà immense, alors que son fils se rap­proche chaque jour d’une mort certaine.


« Agir comme si notre pro­pre vie était en jeu… »

Le stress et la ner­vosité, la grav­ité du moment, l’importance des enjeux, fai­saient fumer presque tout le monde beau­coup plus qu’à l’habitude, au point que j’en étais presque à regret­ter l’irritation causée par les gaz lacry­mogènes dans les rues alen­tours. Par­mi les paroles qui ont réson­né : « ce n’est plus l’heure de met­tre la pres­sion, mais de ren­tr­er en insur­rec­tion », ou encore des appels à « agir comme si notre pro­pre vie était en jeu, car en vérité, c’est bien le cas pour nous tous qui vivons comme des damnés, comme des esclaves, comme des lâch­es » ; « il faut retrou­ver pleine­ment con­fi­ance en nous-mêmes pour par­venir à redonner partout con­fi­ance aux gens et, en par­ti­c­uli­er, pour rassem­bler les lais­sés pour compte qui devraient être les pre­miers à descen­dre dans la rue, au lieu d’attendre que la libéra­tion ne vienne du ciel ». J’ai aus­si par­fois enten­du des paroles jusqu’aux boutistes que je ne pré­cis­erai pas ici, mais qui témoignent bien du ras-le-bol immense qui tra­verse une grande par­tie de la pop­u­la­tion et la con­duit à tout envis­ager pour se libér­er des tyrans du XXIème siècle.

 

Des tags à la mémoire de Rémi Fraisse

J’ai vu un ancien de 1973 avoir les larmes aux yeux et songer que nous vivons peut-être un autre moment his­torique. J’ai lu d’innombrables tags en sou­tien à la grève de la faim de Nikos Romanos, mais aus­si à la mémoire de Rémi Fraisse, tué par le bras armé du pou­voir sur la ZAD du Testet.


Cette nuit encore, à la veille du 6 décem­bre très atten­du, avec une grande inquié­tude par les uns et avec un profond
Remi_Fraisse_symbole_du_Testet_photo_Yannis_Youlountas_dec2014désir par les autres, le quarti­er d’Exarcheia est encer­clé par les camions de CRS (MAT) et les voltigeurs (Delta, Dias). Plusieurs rues sont bar­rées. On ne peut entr­er et sor­tir d’Exarcheia que par cer­taines avenues, plutôt larges et très sur­veil­lées. La sit­u­a­tion prend des allures de guerre civile et rap­pelle cer­taines régions du monde. A l’intérieur du quarti­er, comme dans beau­coup d’autres coins d’Athènes, la musique résonne dans le soir qui tombe : du rock, du punk, du rap, du reg­gae, des vieux chants de lutte. Dans l’Ecole Poly­tech­nique, on a même instal­lé deux immenses enceintes du côté de l’avenue Patis­sion et on bal­ance ces musiques pour le plus grand bon­heur des pas­sants qui nous sou­ti­en­nent et lèvent par­fois le poing ou le V de la vic­toire tant désirée. D’autres bais­sent la tête et ne veu­lent pas y croire, ne veu­lent pas voir, ne veu­lent pas savoir, murés dans la prison d’une exis­tence absurde et pau­vre à mourir d’ennui, si ce n’est de faim. 


Le spec­ta­cle d’un monde à réinventer

Ici, ça dépave, ça débat, ça écrit sur les murs et sur les corps, ça chante, ça s’organise. La fête a déjà com­mencé ! Certes, elle est encore mod­este et incer­taine, mais une nou­velle page de l’histoire des luttes est peut-être en train de s’écrire à Athènes et au-delà. Une nou­velle page qui ne pour­ra s’écrire qu’en sor­tant de chez soi, par-delà les écrans, les « j’aime » des réseaux soci­aux et le spec­ta­cle d’un monde tout entier à réin­ven­ter. Une nou­velle page qui ne pour­ra s’écrire qu’ensemble, en se débar­ras­sant de la peur, du pes­simisme et de la résignation.


Rester assis, c’est se met­tre à genoux.


Yan­nis Youlountas
Mem­bre de l’assemblée d’occupation de l’Ecole Poly­tech­nique à Athènes

Galérie pho­tos > ICI


Source :  Ne vivons plus comme des esclaves

Lisez aus­si “Les anar­chistes de Turquie marchent pour leur com­pagnon grec en grève de la faim sur Kedistan. 

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