La nouvelle a explosé sur les sites web d’information et a vite gagné les réseaux sociaux. L’artiste de rue Banksy a publié sur son compte Instagram la lettre de réponse que lui avait adressée Zehra Doğan.
Lorsque l’artiste Banksy, aidé de son compère Borf, réalisait à New York, en mars une fresque dont il a le secret, en soutien à Zehra, celle-ci était interdite de correspondance, parce que “punie” dans sa prison, pour avoir “chanté” et désobéi au règlement.
Nous n’avions plus alors de contacts que par des biais détournés et même ses proches s’en souciaient.
Fort heureusement, la solidarité dont est entourée Zehra a permis que les liens ne soient pas rompus, et, qu’entre autres, elle puisse remercier à chaud Banksy, pour le considérable soutien qu’il lui apportait alors.
C’est cette lettre, reçue avec décalage, qu’il a fait publier sur son compte Instagram, permettant à nouveau un feu d’artifices de courts articles, bienvenus pour relancer la campagne pour obtenir sa libération, et attirer à nouveau l’attention sur le quotidien de toutEs les otages politiques en Turquie.
Quelques remarques préliminaires, cependant, à l’intention de consoeurs et confrères journalistes.
D’une part, pour celles et ceux qui dans leurs titres jettent le doute sur l’authenticité de cette lettre :
Nous entretenons une correspondance régulière, autant que faire se peut avec Zehra, et nous pouvons authentifier cette lettre, pour qui en douterait. Elle avait d’ailleurs remercié également l’artiste Ai Weiwei, un autre de ses soutiens fidèles, et ce n’est donc pas la première fois que son écriture est affichée en grand. Pour celles qui seraient incrédules, et chère Blandine du Figaro, voici un échantillon…
D’autre part, pour les amateurs/trices de copiés-collés, Zehra Doğan, femme, artiste et journaliste kurde, ne revendique pas sa kurdicité par nationalisme, mais tout simplement parce qu’elle est visée par l’Etat turc, et incarcérée, justement de par son origine kurde. Autant donc rendre à César ce qui appartient à César, et ne pas titrer “artiste turque”, même en toute bonne fois, surtout après avoir fait mine de lire la lettre.
Bon, pour ces consoeurs et confrères, nous annonçons une bonne nouvelle. Zehra Doğan a désormais son Wikipédia en plusieurs langues, français, anglais, turc, allemand… Alors, en plus du dossier spécial de Kedistan, et de toutes les occasions de voir très bientôt ses oeuvres exposées en Europe, et d’entendre leur contexte décrit, plus personne n’aura d’excuses pour publier des erreurs.
Voici donc la traduction intégrale de cette lettre.
Cher Banksy,
Je t’écris cette lettre interdite, dans une prison dont l’histoire est remplie de tortures sanglantes, qui se trouve dans une ville interdite. Nous avons subi une sanction d’interdiction de correspondance pendant un long moment, parce que nous avons été considérées coupables d’avoir protesté contre le port de l’uniforme, et d’avoir chanté en langue kurde. Pour cela, je rédige cette lettre par laquelle je voudrais te remercier, en secret.
Je voudrais d’abord te parler de l’atmosphère ici, avant que j’apprenne la nouvelle du beau soutien que tu as réalisé avec ce cher Borf. Ce jour là, comme tous les jours, fut encore une journée ou nous nous sommes mises en colère, en bouchant nos oreilles sous le bruit terrifiant de dizaines d’avions de guerre qui volaient dans le ciel, pour aller bombarder nos belles terres, montagnes et villes. Dans les derniers jours, quasiment toutes les heures, nous subissions ces bruits, fruits de la laide invention des dominants. Au delà du fait d’écouter ces bruits, le fait de savoir que chaque avion de guerre qui décolle, massacre si peu loin de nous, nos frères et soeurs, nos proches, nos êtres humains, nos animaux, et lire dans les journaux les nouvelles de la mort des personnes que nous connaissons, est un sensation indescriptible. Voilà, ce jour là, était une journée comme cela. Nous avions appris que la fille d’une mère qui est dans notre prison, a été massacrée à Afrin, et que son fils y a été gravement blessé. Encore dans la même journée, nous avions appris que, dans cette geôle, un prisonnier s’est soit disant suicidé en s’étranglant avec des lacets de chaussure. Si l’expression est juste, c’était une journée où la mort rôdait.
Dans des jours comme cela, il est difficile de supporter la vie. Au moment où nous discutions en disant “personne ne voit que nous avons raison, qu’on essaye de nous anéantir par massacres, ou même si cela est vu, on préfère rester silencieux et que rien ne va plus loin qu’exposer une existence de fiction dans une vie de mensonges”, une amie a pris les journaux par la fenêtre de la porte en ferraille. Nous avons vu ainsi, l’oeuvre qui prend comme sujet Nusaybin et moi, et par laquelle tu protestes contre l’emprisonnement. Au moment où je tombais dans le désespoir, vous m’avez donné, à moi, et à toutes mes amies ici, un bonheur incroyable.
Loin de moi, des gens d’ici, vous avez donné la meilleure réponse contre cet ordre tordu, qui ne supporte même pas un dessin. La chose qui leur fait le plus peur dans ce pays obscurci, transformé en abattoir, versant le sang de peuples qui ont raison, qui se montrent contre l’oppression, la persécution, c’est de leur mettre devant leur face, leur propre vérité, tel un miroir. Vous avez fait cela. Vous avez reflété l’image de Nusaybin qu’ils ont détruit avec des bombes, où ils ont massacré des gens, à New York, dans un endroit visible par tout le monde. Avec ce soutien, ce dessin de Nusaybin, a trouvé son vrai écho. Lorsque j’avais fait ce dessin, il m’avait emprisonnée en me disant “tu incites les gens à la haine et à la révolte”, j’étais étonnée, malgré le fait que ce pays n’a plus rien d’étonnant. Mais en lisant cette nouvelle, je me suis dit que le fait d’avoir pu raconter la réalité, valait le coup de l’emprisonnement.
Jean Jacques Rousseau dit qu’à la fin du néolithique, et le début de la période hiérarchique, l’art s’est fini. Et je partage cet avis. Cependant, les périodes ne font pas avancer le monde, comme Marx le formule, d’une façon linéaire, et il ne doit pas avancer comme cela. Il ne peut être possible qu’une période s’achève, disparaisse et qu’une nouvelle commence. Je suis convaincue de l’existence de peuples qui insistent sur le néolithique, alors que la civilisation commençait. Les peuples ici, croient cela et refuse de croire que la bonté ait disparu totalement, et que l’époque du mal absolu ait commencé. Si on croit cela, il n’y aura plus de raison pour lutter pour la bonté. C’est avec cette conviction que nous tendons l’oreille à la vérité qui nous murmure à travers l’histoire et les plus petites particules de l’univers.
Votre soutien, ne démontre-t-il pas exactement cela ? Cette oeuvre me dit que l’art n’est pas mort, qu’il continue à exister réellement. Même si je suis prisonnière, après avoir appris l’existence d’une telle oeuvre, puis-je me considérer encore prisonnière ? Quelques personnes m’entendent comme ce n’est jamais arrivé avant. Et comme c’est bizarre, alors que les dominants dont je suis contrainte de parler la même langue, ne me comprennent pas, des personnes qui ne parlent pas la même langue que moi, qui ne vivent pas sur les mêmes terres que moi, me comprennent. L’art est au-delà de la conversation. On peut dire tellement de choses à ce propos.
Je ne vous remercierais jamais assez, toi et Borf. Je ne pouvais même pas imaginer qu’un jour, un de mes dessins, serait projeté dans une ville comme New York. Le soutien que vous offrez est une chose, que même une personne comme moi, qui passe 12 heures sur 24 heures à rêver, ne peut imaginer. Je vous remercie beaucoup, pour tout. Avec votre soutien, je me sens encore plus forte et je dessine maintenant Afrin. Parce qu’elle vaut cela.
Zehra Doğan
Geôle de Diyarbakır
Si, après cette lecture, il en est encore qui doutent de la nécessité d’apporter une solidarité, sous toutes formes, aux otages politiques en Turquie, c’est à désespérer. Nous vous incitons donc à votre niveau à l’amplifier, en lui écrivant à votre tour.
Et nous lançons une nième fois un appel pour que toutes ces solidarités se rejoignent, et qu’enfin, nos consoeurs et confrères journalistes par exemple, aillent plus loin que des signatures pour une journée, ou un tweet pour eux-mêmes, et supportent là où ils/elles sont, dans leurs rédactions, comme ils/elles viennent de le faire pour la publication de cette lettre, les initiatives nombreuses et diverses de soutien à Zehra.
Commencer par parler d’elle en pleine page serait un bon début non ? N’hésitez pas à piller les dossiers Kedistan, ils sont là pour ça. N’hésitez pas non plus à demander quelques renseignements directement, voir vous procurer des visuels d’oeuvres de Zehra, ses soutiens sont là pour ça, aussi, et nous vous rappelons que Kedistan protège les droits moraux de Zehra en Europe, et ses oeuvres évadées par la même occasion.
Voici des liens utiles.….
Dossier spécial Zehra Doğan (français, anglais, espagnol, turc, kurde) Page Facebook Free Zehra Doğan | Twitter @zehradoganjinha Site Web zehradogan.net Le compte Instagram de Banksy
Banksy, ha pasado el cartero… Haga clic para leer