Memed Aksoy, cinéaste kur­do-bri­tan­nique, est tombé à Raqqa, vic­time d’une attaque à la voiture béli­er de Daech, qui a égale­ment tué une jour­nal­iste kurde et des combattants.
Il paie de sa vie, à 32 ans, un engage­ment qui a don­né sens à son exis­tence, avait fait de lui un jour­nal­iste et un mil­i­tant infati­ga­ble de la cause kurde, et au delà l’avait attaché à la défense du proces­sus en cours au Rojava.

Sa famille s’é­tait réfugiée à Lon­dres dans les années 90, comme tant d’autres en Europe, vic­times des exac­tions des armées turques, et con­traintes alors à l’ex­il. Il avait dix ans, et l’âge de com­pren­dre, et de ne pas oubli­er le vol de son enfance.
Il se for­mera au jour­nal­isme et au ciné­ma en Angleterre. Il fut d’ailleurs co-fon­da­teur du fes­ti­val du film kurde à Lon­dres, ain­si que fon­da­teur et rédac­teur en chef du pré­cieux site d’in­for­ma­tion Kur­dish Ques­tion.

Memed avait gag­né Raqqa le 22 juil­let dernier, pour rejoin­dre le ser­vice de presse des YPG (Forces de Pro­tec­tion du Peu­ple). Tout l’été, il avait filmé les com­bats dans et autour de Raqqa. Ses reportages furent dif­fusés via les réseaux soci­aux. C’é­tait une source pré­cieuse pour les jour­nal­istes en Grande-Bre­tagne et ailleurs qui se sou­ci­aient d’avoir d’autres infor­ma­tions à dif­fuser que des copiés col­lés offi­ciels d’agences.

Son engage­ment con­tre Daech, avec les armes qui étaient les siennes, et son décès bru­tal, font de lui le 5e “com­bat­tant” volon­taire bri­tan­nique à mourir dans des affrontements.
Mais aucun gros titre, ce 28 sep­tem­bre, (hors la presse alter­na­tive), ne men­tionne la mort de ce jour­nal­iste, hormis, il faut le sig­naler, les titres anglo­phones, comme par exem­ple The Tele­graph, The Guardian
De la même manière, si une jour­nal­iste française “con­nue” n’avait pas ren­con­tré avant son départ un volon­taire français qui annonçait alors son deux­ième départ pour la Syrie du Nord, per­son­ne n’au­rait non plus con­nu son exis­tence, et… son décès ces jours derniers, face à Daech.

Nous avions sur Kedis­tan relayé sous forme de “chroniques ordi­naires du front”, les notes et écrits de com­bat­tants étrangers volon­taires aux côtés des YPG. Nous avons égale­ment ouvert nos pages à d’autres “com­bat­tantEs”, ceux-là plus “civils”.
Jusqu’à son inter­dic­tion, via le refus de dif­fu­sion d’Eu­tel­sat, et son “démé­nage­ment”, nous avions égale­ment un parte­nar­i­at avec l’édi­tion fran­coph­o­ne de Ron­ahi TV, qui pui­sait ses sources auprès de jour­nal­istes présents aux côtés des com­bat­tants, comme le fut Memed Aksoy.

Les médias main­stream ici, parce que le sujet est “por­teur”, par­lent des dji­hadistes par­tis rejoin­dre Daech, de dif­férents coins d’Eu­rope, sans toute­fois en faire trop, de peur de sus­citer des “voca­tions”. Mais cette ques­tion est tou­jours là, sur un plateau télé, ou au bord des lèvres d’un vendeur de livres, invité pour faire peur et jus­ti­fi­er un état d’urgence…
Ces médias ont décou­vert d’un coup, avec la prise d’o­tage de Loup Bureau, qu’il exis­tait des jeunes qui, par besoin de com­pren­dre, ou d’ex­or­cis­er l’innommable, décidaient de par­tir à leur tour, le plus sou­vent par envie de témoign­er, doc­u­menter, soutenir, en util­isant leurs com­pé­tences, celles et ceux que la coali­tion voudrait utilis­er comme “pié­taille”, ceux qu’elle nomme elle-même par la bouche de ses “dirigeants” : “les meilleurs com­bat­tantEs con­tre Daech”.

Les forces de la Con­fédéra­tion de la Syrie du Nord ne sont pas dupes des sol­lic­i­tudes envers elles dont fait preuve la “coali­tion”. Celle-ci sait per­tinem­ment que les FDS ont besoin de façon vitale de défendre leurs pop­u­la­tions con­tre la bête immonde Daech, et que pour cela, elles ont besoin de logis­tique, d’arme­ment, de sou­tiens. Le prag­ma­tisme kurde est à l’oeu­vre, même s’il est qual­i­fié par­fois de “trahi­son” par des puristes révo­lu­tion­naires qui dis­ser­tent en tendances…

Mais ce n’est pas parce que la coali­tion “utilise” le besoin vital de se défendre con­tre Daech et de ten­ter d’élim­in­er le “can­cer”, qu’elle voit pour autant d’un bon oeil la dif­fu­sion d’in­for­ma­tions sur la réal­ité de ce com­bat, et surtout, pour quel avenir des pop­u­la­tions locales, il est mené.

On a un temps préféré présen­ter des “car­i­ca­tures de mode en uni­forme” plutôt que le rôle des femmes, puis, on a priv­ilégié le spec­ta­cle de la guerre… Tout en entourant de silence celle de plus deux ans, menée en Turquie même, encore une fois con­tre les Kurdes…

A ce sujet, rap­pelons aus­si qu’en 2016, une célèbre asso­ci­a­tion de jour­nal­istes “oubli­ait” sur la liste des incar­cérés le nom de Zehra Doğan et d’autres jour­nal­istes kur­des en Turquie, (parce que sans carte), alors que ces dernierEs n’avaient cessé d’ap­pel­er l’at­ten­tion sur les mas­sacres et destruc­tions en cours depuis la mi 2015, depuis les lieux mêmes au Kur­dis­tan de Turquie. Fort heureuse­ment, la plate­forme P24 se charge de dépass­er ces “oub­lis” qui cachent sou­vent des divi­sions poli­tiques nationales dans l’op­po­si­tion d’une part, et rejoignent la dif­féren­ti­a­tion entre “jour­nal­isme offi­ciel” et jour­nal­isme non “objec­tif”…

Per­son­ne ne peut prédire l’avenir du proces­sus en cours au Roja­va et au delà. Dif­fi­cile de penser en détail l’après Raqqa, bien que des proces­sus d’al­liances régionales et inter­na­tionales com­men­cent à dessin­er des ombres menaçantes. Le mou­ve­ment kurde en a con­science, et aura plus que jamais besoin de sou­tien dans ses inten­tions et volon­tés de futur.

Et pour ce faire, les jour­nal­istes avec ou sans carte, recon­nus ou pas par leurs pairs, comme Memed Aksoy, rem­plis­sent un rôle essen­tiel. Com­ment croyez-vous que Kedis­tan, entre autres, trou­ve ses sources ?
Ils/elles ne tra­vail­lent pas sur annonce d’a­gences, mais bien sur une réal­ité qu’ils/elles vivent et doc­u­mentent. Et s’ils/elles leurs sont par­fois reproché par des “cor­re­spon­dantEs” per­ma­nentEs en Turquie ou ailleurs de “les met­tre en dan­ger”, parce qu’ils/elles pren­nent des risques que leurs agences ne veu­lent cou­vrir, nous pen­sons qu’il faut leur ren­dre hom­mage, et pro­duire autre chose qu’un silence igno­rant lorsque qu’un jour­nal­iste meurt.

Ne nous méprenons pas cepen­dant, le pro­pos n’est pas d’op­pos­er “vrais” ou “faux” jour­nal­istes, vraie presse et diver­tisse­ment et com­mu­ni­ca­tion, et se situer du côté des “bons”. La ques­tion est moins sim­pliste. Et ne peut être posée là en trois lignes, surtout pour le Moyen-Ori­ent et les enjeux poli­tiques que ses guer­res recouvrent.

Kedis­tan se joint à l’hom­mage qui lui est ren­du par les dif­férents “Cen­tres Kur­des” en Europe, et appelle les syn­di­cats de jour­nal­istes à bris­er auprès des con­soeurs et con­frères, cette chape de silence, coulée au nom du sacro-saint respect de “l’ob­jec­tiv­ité”, sur la sépul­ture de l’un des leurs.

 


Eng­lish: “Memed Aksoy • His light will shine for­ev­er” Clic to read

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