Le président turc n’en démord pas, il s’accroche comme il peut à son projet œuvrant pour la mise en place d’un régime présidentialiste en Turquie. En voulant reprendre une partie des pouvoirs du premier ministre, il s’inscrit dans la logique amorcée durant les élections législatives de juin 2015.
Il n’avait pu avoir accès à une majorité absolue du faite de la percée du HDP avec 13,5 % des voix. En conséquence de cette élection, le projet de réforme constitutionnel n’avait pu aboutir dans l’immédiat, mais débouchait sur une guerre civile dans l’Est de la Turquie, dont des villes entières furent rasées en guise de représailles du scrutin. Une nouvelle élection législative a eu lieu en novembre 2015, où le HDP a obtenu 10,7% des voix, dépassant à nouveau le seuil fatidique, mais surtout empêchant le projet constitutionnel si cher à Recep Tayyip Erdoğan. La tentative d’un coup d’état militaire “tombé du ciel” en juillet 2016, suivi d’une vague de répressions arbitraires et de purges quasi-systématique contre les opposants au pouvoir, permet enfin pour Erdoğan d’entrevoir la volonté de réformer un état autour du président. En l’occurrence, il s’agit d’une vision d’assimiler la Turquie en tant qu’état, à son propre président. De ce fait, la question du “petit père des peuples” pourrait bien se transformer en “père de la Turquie” dans un élan paternaliste.
Dans ce contexte de démagogie et de populisme, le président souhaite soumettre son projet de réforme constitutionnelle par référendum entre mars et mai 2017. Si la tentative de restaurer une image démocratique pour l’AKP peut servir la cause des nationalistes, ultranationalistes et des islamistes, la réalité du référendum ne fait pas pour autant la démonstration de ce que peut-être une démocratie. Dans le fond n’est-ce pas une tentative de plébiscite organisée par le pouvoir ? Ainsi, le vote de la réforme constitutionnelle par les électeurs risque de se positionner davantage comme un soutien ou non à la politique mise en place ces derniers mois par Recep Tayyip Erdoğan. Dans le contexte d’instabilité que traverse la Turquie, tant sur le volet politique, qu’économique ou diplomatique, la question des élections libres risque de se buter rapidement à la routine habituelle qu’est devenue la répression contre toutes les minorités qu’elles soient politiques, ethniques, religieuses ou sexuelles. Les électeurs ne sont vraiment pas éclairés en ce moment. Il faut dire qu’Erdoğan n’est pas un phare non plus.
Cette course présidentialiste pourrait permettre d’inscrire dans le marbre la transmission de la quasi-totalité des pouvoirs à une seule personne. Si de nombreux commentateurs y voient simplement la logique de la présidentialisation du régime turc, nous assistons surtout à l’hyperprésidentialisation d’un régime voulant avancer comme un bulldozer. En 2014, Erdoğan affirmait déjà devant ses partisans que “nous sommes à la fois l’exécutif et le judiciaire”. La question de la volonté d’en terminer avec la séparation des pouvoirs n’est donc pas une grande nouveauté. Mais, un autre pouvoir pourrait revenir au président turc, le pouvoir législatif par décrets. Les trois pouvoirs concentrés en une seule et même personne mettent en avant la dynamique de ce que serait réellement la Turquie quand le projet final aura été mis en place.
Le vote éclairé nécessite l’arrêt total de la logique d’Erdoğan dans un moment, où justement le vote ne peut qu’être obscurci par les mesures sécuritaires et autoritaires garantissant la montée en puissance des partis institutionnels : le CHP, le MHP et surtout l’AKP. Le CHP se veut lui même dans l’opposition. pourtant les discours ne font pas les actes politiques. S’il est vrai que nombreux points peuvent séparer le CHP de l’alliance entre l’AKP et le MHP (favorable à ce projet de loi), il n’en reste pas moins que l’organisation de la pseudo opposition s’inscrit dans les logiques des différents rouages du pouvoir voulu par Erdoğan, obéissant de facto à ses règles. L’acceptation de l’unité nationale et de l’état d’urgence, après le vote de la levée de l’immunité parlementaire des députéEs HDP, aujourd’hui nombreu(ses) en prison, dont le leader S. Demirtaş, augure mal d’une opposition résolue à la réforme.
De plus, la réforme constitutionnelle apparaît comme formelle puisque dans le fond, le président a déjà repris l’ensemble des pouvoirs du premier ministre de manière indirecte. D’autant que le quorum nécessaire pour faire voter la réforme constitutionnelle à la Grande assemblée nationale turque pourrait être acquis. En effet, l’alliance entre l’AKP et le MHP sur cette réforme permet de dépasser le seuil des 330 députés nécessaires, soit exactement 355.
Le référendum aura lieu entre mars et mai 2017. D’ici là, les purges continueront de s’abattre sur les opposants avec comme arrière-fond prétexte la lutte contre le “terrorisme”.