Six pieds sous terre, il fait parler encore de lui. Non, rassurez-vous, il ne s’agit pas du dernier “terroriste attrapé mort”, mais d’un tunnel, tout simplement.
On m’avait habitué aux documentaires sur les pingouins à la télé quand les choses allaient mal, voilà qu’on les remplace par des histoires de tunnel, histoire de nous éclaircir les idées.
Aucune opposition particulière ne se manifeste à l’idée d’ouvrir un couloir pour les bagnoles sous le Bosphore. Tout le monde s’est rallié à ce projet du grand timonier du Palais, qu’il avait d’ailleurs paraît-il déjà en tête au temps où il lisait des poésies à la mairie d’Istanbul. Personne n’ira vérifier de toutes façons, comme plus personne n’ose contester son passé de faux diplômé.
Non, c’est bien, de tout faire pour que la ville puisse cracher son venin sur quatre roues dans l’air, sous terre, et dans les airs, avec le nouveau pont. Tout ce qui tient volant s’en réjouit.
L’objet de la discorde nationale tient au nom de baptême qui sera donné à ce bel ouvrage.
Voilà que des milliers d’AKP et de kémalistes s’empaillent sur la place publique et les réseaux sociaux, et que les noms lancés divisent plus la Turquie que les “parallèles”. Si Gülen avait été là, il aurait mis sans doute lui aussi son grain. Il n’y a guère que le HDP qui ne s’exprime pas, et pour cause, ses élus sont en prison. Tiens, c’est vrai, ça m’a échappé, mais personne n’en parle vraiment.
On entend et on lit plus d’avis sur le trou sous le Bosphore que sur la possibilité imminente d’un référendum sur la présidentialisation. A moins que la campagne ne se fasse dans l’obscurité entretenue du futur tunnel. Et là, les informations sont libres et ne font pas dans la rareté.
Deuxième tunnel après Marmaray sous le Bosphore, réservé au metro, il reliera l’Asie et l’Europe entre les quartiers Kazlıçeşme et Göztepe. On nous annonce une longueur de 14,6 km, un diamètre de 13,7 m, et il sera paraît-il le 6è tunnel le plus large “au monde”. Il se veut tenir la route pour les séismes jusqu’à la force 9 sur l’échelle de Richter. Sa construction a débuté le 26 février 2011. Donc, ce n’est pas une nouveauté non plus.
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Mais venons-en à la rupture de l’unité nationale imminente, autour des noms de baptême.
Une enquête a été ouverte le 1er décembre et se poursuivra jusqu’au 10. Entre autres candidats à être le lien entre l’Asie et l’Europe, deux poids lourds tiennent la corde : le moderniste républicain et père de la Nation, j’ai cité Mustafa Kemal (Atatürk) et, pour plaire aux néo modernistes ottomans, Abdülhamid II, qui fut sultan de l’Empire ottoman et calife des musulmans, de la déposition de son frère Mourad V le 31 août 1876 à sa propre destitution par les Jeunes-Turcs le 27 avril 1909.
J’avoue être revenue du premier et de sa Nation turque, incapable de se survivre sans avoir un Peuple parmi nous à assassiner pour s’affirmer depuis presqu’un siècle. C’est vrai qu’il nous importa le poison du nationalisme en Asie, via l’Europe…
Pour le second, comment dire… J’ai comme le sentiment que le nom plaira aux membres déguisés de la garde présidentielle du Palais et à son hôte. Bref, tout indiqué pour la Turquie de 2023.
Il y a une proposition qui ferait l’unanimité et qui m’a été amenée sur mon téléphone par un oiseau bleu “Si on l’appelait juste tunnel. Il trouvera bien son nom tout seul, selon le vent du régime qui tourne”.
Du coup, je ne peux m’empêcher de vous livrer un échantillon :
- C’était initialement le projet d’Abdülhamid, c’est normal qu’il porte son nom.
- Ca lui ira bien le nom Abdülhamid qui avait ouvert aussi ouvert la première usine de Rakı, la première usine de bière, la première usine de tabac ainsi que le premier bordel.…
- Les femmes qui veulent le nom Abdülhamid, ne doivent pas voter. Il ne leur avait pas donné le droit de voter, lui.
- Si Atatürk n’était pas là vous ne pourriez pas voter aujourd’hui pour cette enquête !
- Si Atatürk a pu exister, c’est grâce à Abdülhamit. sans lui le pays serait disparu depuis longtemps avant Atatürk.
- Ceux qui votent pour Abdülhamid sont des arméniens et des anglais. Ils viennent de la race de celles qui ont été violées pendant l’occupation. Pendant Abdülhamit se la coulait douce dans son sérail, vos ancêtres se faisaient violer.
- Sans discussion, le nom doit être Atatürk. Si pour construire un tel tunnel aujourd’hui, nous sommes dotés de l’intelligence, des compétences et techniques de haut niveau, c’est grâce à Atatürk.
- Les bâtards de kémalistes, vous contestez tous les projets comme à Gezi, vous foutez le bazar, et vous voulez pour ce grand projet le nom d’Atatürk ? Mon cul.
- Que veut faire le Ministère avec cette enquête exactement ???
- Incomparables ! L’un est un sultan qui a vendu son pays, l’autre est celui qui sauvé sa patrie. Bien sûr le nom doit être Atatürk !
- Même pas la peine de comparer. L’un est un agent anglais l’autre un grand sultan ottoman. Abdülhamid !
Et chacunE d’y aller de son père du peuple, et l’autre du préféré du Sultan… Mes compatriotes sont au bord de l’apoplexie, trop heureux d’avoir enfin une possibilité de faire de la “politique” et d’exprimer leurs “opinions”. Qui qui dit que les Turcs sont sous une dictature ? Ô Europe, qui tu es-toi pour nous imposer des noms de tunnel, einh ?
J’ai beau creuser de mon côté, dans ce débat politique essentiel, je n’en vois pas le bout, mais j’en devine les raisons.
Nom d’un tunnel !