Je ne sais pas pour quoi je par­le de cette his­toire. Ce n’est qu’une his­toire par­mi d’autres. Un entre­filet dans tous les faits divers, 2 orphe­lins de plus, un nom à ajouter sur le comp­teur de femmes assas­s­inées, une case à cocher dans les listes tenues à jour par des organ­i­sa­tions de société civile et col­lec­tifs fémin­istes, un dossier judi­ci­aire de plus, rangé dans le casi­er des affaires résolues, en remet­tant un assas­sin en lib­erté, mains dans les poches…

Un exem­ple de plus dans la panoplie de déci­sions que la jus­tice turque décom­posée comme du bakla­va pour­ri par le champignon du patri­ar­cat ambiant peut prendre.

Quand je vais pub­li­er cet arti­cle sur des réseaux, des femmes et des hommes fémin­istes bien pen­sants, ne vont pas pou­voir s’empêcher d’a­jouter leurs com­men­taires, comme d’habitude : « Chez nous c’est pareil, ce n’est pas la peine d’aller en Turquie ».

Prenez con­science s’il vous plait, que même si cet arti­cle appa­rait dans votre fil d’actualité, en pêle-mêle avec d’autres infos, vous avez cliqué et ouvert un webzine qui donne des news de Turquie. Je n’y peux rien.

Chez nous c’est pareil”. Oui je sais.

Je suis la pre­mière à dire, qu’on crèche dans le coin frais ou dans le coin brûlant, peut importe, c’est que nous sommes dans le même enfer. D’où l’utilité de con­ver­gences des luttes, et sou­tiens mutuels. En Turquie 286 femmes sont assas­s­inées lors de vio­lences con­ju­gales en 2014, en France : 118 femmes C’est loin d’être “rien” pour un pays “européen” et “civil­isé” comme la plus grande par­tie de sa pop­u­la­tion aime à penser en regar­dant du haut la Turquie habitée par des “sauvages intégristes”.

remziye-tuee-par-son-mari-e1440626983976L’affaire remonte au 2 mai 2014. La déci­sion de jus­tice est d’hier, le 25 août 2015. Il y a donc un peu plus d’un an, en ce beau jour de print­emps, à Istan­bul, dans le quarti­er de Bağcılar, Celal Eripek se met­tait à se dis­put­er avec Remziye, son épouse depuis 17 ans. Une mésen­tente sur l’utilisation de l’aide famil­iale perçue de la Pré­fec­ture a mis Celal dans tous ses états.

Celal n’était telle­ment pas d’accord avec sa femme qu’afin de la con­va­in­cre il a attrapé un bâton en bois de 69 cen­timètres (la jus­tice est très pré­cise sur ce détail, ce n’est pas un bâton de 70 cen­timètres mais 69). Remziye, dif­fi­cile à con­va­in­cre, en plus malade chronique car­dio­vas­cu­laire, n’a pas sup­porté les coups con­ju­gaux qu’elle a reçu à plusieurs repris­es sur le ven­tre et sur le dos, elle s’est écroulée. Celal, a emmené alors sa femme à l’hôpital, où elle décédera 2 heures plus tard.

Les mem­bres de la famille et des voisins témoignent des actes de vio­lence réguliers chez le couple.

Celal Eripek, a déclaré au tri­bunal “J’aimais beau­coup ma femme, je suis pro­fondé­ment triste”. Ouais, si on veut… Le bon­homme avait “expliqué” son acte lors de son arresta­tion par ces paroles qui avaient scan­dal­isé l’opinion publique :

Je l’ai battue comme d’habitude, cette fois-ci elle est morte”

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Bien que le rap­port du médecin légiste pré­cise bien le lien direct entre la cause du décès et les coups don­nés par le mari, le tri­bunal s’est focal­isé sur le “monde intérieur de Celal”.

Il est néces­saire d’étudier si l’acte de Celal Eripek doit être con­sid­éré comme un assas­si­nat com­mis avec inten­tion ou un délit de blessure non inten­tion­nel ayant entraîné la mort.

Il est néces­saire de con­stater l’intention qui appar­tient au monde intérieur de l’accusé à par­tir des obser­va­tions de son com­porte­ment en tant qu’expression au monde extérieur. [Quelle poésie judiciaire !]

.Il est néces­saire donc d’observer les com­porte­ments de l’accusé, avant, pen­dant et après le crime.”

Bien évide­ment s’en suiv­ent les obser­va­tions. D’une, les coups de Celal n’étaient pas à car­ac­tère mor­tel. De deux, il ne savait absol­u­ment pas que sa femme ‑depuis 17 ans-souf­frait d’une mal­adie car­dio­vas­cu­laire chronique ‑dont toute la famille est au courant.

Le tri­bunal a décidé donc que son délit était d’avoir blessé et causé la mort non inten­tion­nelle­ment et lui a don­né 4 ans de peine de prison. Le tri­bunal n’a pas man­qué de con­stater le bon com­porte­ment de l’accusé, et l’a fait béné­fici­er d’une réduc­tion, dimin­u­ant sa peine de prison à 3 ans, 4 mois. Et puisqu’il était jugé en déten­tion, son temps de peine est con­sid­éré comme rempli.
Depuis le 2 mai 2014, ça fait déjà 3 ans 4 mois ? Là, mon arith­mé­tique s’arrête.

Bref, désor­mais Celal est libre.

L’avocat de la famille dis­ait en deman­dant la per­pète pour Celal : “La mort a libérée Remziye d’une souf­france qui durait depuis 17 ans.”

Remziye est donc enfin libre, elle aussi.

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Comme je dis­ais, ce n’est pas le pre­mier, ce ne sera pas le dernier… La majorité de ces hommes violants prof­i­tent des “allège­ments” de peine, pour “bon com­porte­ment”, parce qu’ils se tien­nent tran­quilles der­rière les bar­reaux en atten­dant leur juge­ment, parce qu’ils vien­nent au procès en costard et bien rasés, et “ils regret­tent infin­i­ment l’épouse défunte bien aimée” et je ne sais quoi encore. Par con­tre, quand les femmes se défend­ent et tuent l’homme dont elles sont vic­times, elles ne béné­fi­cient jamais d’une quel­conque “réduc­tion de peine”… Il n’est pas rare de voir des vio­leurs d’en­fants par­tir en sif­flant, car les fil­lettes ou des jeunes filles mineures, sont considérées“consentantes”, même pour des cas de vio­ls col­lec­tifs les plus lourds. 

En 2012 Nevin Yıldırım avait tué avec un fusil de chas­se, l’homme qui l’avait vio­lée sous men­ace, à plusieurs repris­es, et l’avais mise enceinte. Excédée par une rage agrandie depuis des mois, elle avait coupé la tête du vio­leur et l’avait jetée sur la place publique de son vil­lage, dont les habi­tants, au courant des abus, préféraient se taire. Mal­gré le sou­tien des col­lec­tifs fémin­istes, asso­ci­a­tions et juristes, Nevin con­damnée à la per­pé­tu­ité, elle…

Je n’ai plus de mots pour écrire une conclusion…


Si vous voulez appro­fondir le sujet vous pou­vez lire : L“Esquisse n° 24″ d’E­ti­enne Copeaux, “Sur­veiller, punir. Sur quelques très jeunes femmes“où il par­le des années 1990 tout en posant la ques­tion « Ce que je décris appar­tient-il au passé ? ».

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.