Le Tribunal Pénal de Diyarbakır a rendu son verdict dans le procès intitulé “Procès principal du KCK”, ouvert depuis 2009, à l’encontre de 154 personnes. 111 accuséEs ont été condamnées à des peines de prison et 43 accuséEs ont été acquittéEs.
Dans les 154 personnes jugées se trouvaient majoritairement des membres du DBP, Parti Démocratique des Régions, parti majoritaire kurde, qui appliquait le modèle d’“autonomie démocratique”, à travers ses 103 municipalités. Ainsi, dans ce procès, sont jugéEs des coprésidentEs, députéEs, co-maires, membres des conseil municipaux du BDP de l’époque, mais aussi femmes et hommes politiques, ainsi que défenseurEs des droits humains, journalistes et intellectuelLEs.
Le 27 mars, les dernières paroles des inculpéEs ont été receuillies par le Tribunal, qui s’était réuni hier soir pour délibérer. Mais, dans cette dernière audience historique, aucunE des accuséEs n’était présentE, mais représentéEs par plus de 100 avocats.
Le Tribunal de Diyarbakır a donc rendu son verdict, hier soir autour de 18h00.
POUR INFOS
Rappelons que, lors des opérations menées en 2009 dans plusieurs villes, notamment à Diyarbakır et İstanbul, des dizaines de personnes avaient été arrêtées et mises en garde-à-vue. Le procès intitulé “Procès principal du KCK” avait été entamé par un réquisitoire de 7 578 pages, préparé par le Procureur de Diyarbakır. Le procureur demandait à l’encontre des 175 accuséEs, pour les motifs entre autres, “atteinte à l’intégrité de l’Etat”, “Soutien à l’organisation terroriste”, des peines de prison de 15 ans, jusqu’à la “perpétuité incompressible”, substituant à la peine capitale après son abolition en 2004.
KCK : Union des Communautés du Kurdistan (considéré “terroriste” par sa proximité au PKK). C’est l’organisation “faitière” du mouvement de libération kurde dans les quatre parties du Kurdistan. L’Union des Communautés du Kurdistan est un organe impulsé par le PKK, censé être la représentation du mouvement kurde. Celui-ci est tiré des concepts du “confédéralisme démocratique” où le mouvement kurde doit être représenté dans des organisations larges.
Glossaire du Kurdistan
Voici le verdict du tribunal au terme de ce procès qui a duré 8 ans.
16 personnes sont condamnées à une peine de prison de 21 ans pour être “dirigeantEs d’organisation terroriste”, et 95 personnes à des peines de 1 an 2 mois à 18 ans pour divers motifs tels que “membres d’organisation terroriste” ou “propagande pour organisation terroriste”.
Ahmet Türk co-maire de Mardin métropole, a été condamné à une peine de prison d’un an et 3 mois. Ahmet Türk, avait été démis de ses fonctions par le Ministère de l’intérieur, le 17 novembre 2016 et placé en garde-à-vue le 21 novembre. Son état de santé étant inquiétant, le 20 janvier, un appel avait été lancé par des artistes et intellectuels pour demander sa libération provisoire immédiate. Ahmet Türk, personnalité très appréciée par différents milieux politiques, y compris par les membres de l’AKP, avait été libéré sous contrôle judiciaire, le 3 février.
Ahmet Türk, dans ce procès, sera le seul accusé à bénéficier d’une “petite peine”, loin d’être symbolique cependant.
Le détail des condamnations
21 ans de prison • Kamuran Yüksek co-président du DBP, Kemal Aktaş, ex député de Van, Mehmet Taş, Serdar Kızılkaya, Hüseyin Yılmaz, Salih Akdoğan, Turan Genç, Çimen Işık, Zöhre Bozacı, Salih Akdoğan, Ramazan Malkoç, Ahmet Birsin, Senanik Öner, Mehmet Nimet Sevim, Lütfü Dağ, Mehmet Akın.
18 ans de prison • Ancien co-maire de Batmen Necdet Atalay, Ercan Sezgin, Ümit Aydın, Seda Akbaşcan, Mikail Karakuş
9 ans de prison • Hatip Dicle, co-président du DTK, ancien co-maire de Bağlar Yüksel Baran, poétesse et femme politique Sara Aktaş, Zülküf Karatekin, Ahmet Erden, Cebrail Kurt, Hasan Hüseyin Ebem, Zahide Besi, Nadir Bingöl.
6 ans 3 mois de prison • Vice co-présidente du DBP Gülcihan Şimşek, Co-présidente du DTK Leyla Güven, Selim Sadak, Fırat Anlı, co-maire de Diyarbakır Métropole, relevé de ses fonctions et arrêté le 25 octobre 2016, ancien co-maire de Kızıltepe Ferhan Türk, Co-maire de Viranşehir Emrullah Cin, ancien co-maire de Cizre Aydın Budak, Songül Erol Abdin, Ethem Şahin, Şeyhmus Bayhan, Abdullah Akengin, Mehmet Tari, Hasan Iraz, Ahmet Ertak, Ethem Şahin, Fikret Kaya.
1 an 3 mois de prison • Ahmet Türk
La machine judiciaire poursuit méthodiquement le “génocide politique” entamé contre les représentations des partis démocratiques kurdes, et au delà de toute l’opposition crédible en Turquie. Des années de prison, des peines quasi plus lourdes que pour des crimes de sang, que les détenuEs devront effectuer dans des conditions carcérales aujourd’hui quasi concentrationnaires.
Le régime AKP décapite les mouvements politiques et tous leurs soutiens. Dans ces conditions, et celles de la crise économique et politique qui ne manquera pas de survenir à moyen terme, (de par l’environnement immédiat de la Turquie (Irak, Syrie), des rapports internationaux détériorés, de la fin de l’embellie économique et du crédit sans limite), le Pays se retrouve privé de toute solution autre que la guerre civile larvée de ces deux dernières années. On voit très mal aussi dans ces conditions la question kurde trouver un quelconque début de solution de paix, sans même parler de solution politique.
Il ne s’agit pas d’extrapoler, à partir de l’un des très nombreux procès en cours, mais plutôt de mettre en perspective ces procès de masse, alors que les médias européens se sont davantage intéressés aux procès Gülen, et à leurs mises en scènes. A chaque condamnation, chaque incarcération, c’est un pas de plus vers l’approfondissement des fractures, sources demain d’un terreau favorable à des courants politiques plus radicaux encore que ne le sont l’AKP et ses alliés…
Image à la une : Impressionnante arrivée des inculpéEs, menottéEs lors d’une précédente audience.