Se bat­tre avec des mots quand les enfants meurent sous les bombes ou que leur vie est détru­ite à jamais par une ampu­ta­tion à vif, ou sim­ple­ment l’im­age des corps recou­verts de gra­vats qui leur revien­dra par bribes, peut paraître grotesque.

Mais qu’est-ce qu’il nous reste face à l’im­age des corps suppliciés ?

Les mots qui avaient un sens après le 7 octo­bre l’ont perdu.

Sec­onde Shoah” cri­ait-on. Et de s’écharp­er sur le mot “ter­ror­iste qui lui n’a de sens que si on qual­i­fie juridique­ment le crime com­mis. Et, c’est vrai, assas­sin­er des juifs parce que juifs, mas­sive­ment, en moins de 24h, en pren­dre d’autres comme otages, en pro­fes­sant la dis­pari­tion d’Is­raël, si l’ac­tion est une action de ter­reur, le résul­tat est un crime de guerre, voire con­tre l’hu­man­ité, com­mis avec une inten­tion­nal­ité géno­cidaire, dans la tête des com­man­di­taires. La dite charte politi­co religieuse du Hamas, révisée ou pas, ne laisse guère de doutes là dessus. Alors, sec­ond géno­cide ? Il sem­ble que la ques­tion se perde dans une accu­mu­la­tion de pro­pa­gande et de haine, et que la vengeance prenne le dessus.

Mais qu’est-ce qui a pu pouss­er une direc­tion poli­tique, et la direc­tion mil­i­taire, à pré­par­er minu­tieuse­ment ces crimes depuis plus d’un an, crimes, on le sait aujour­d’hui con­nus à l’a­vance mais niés par l’E­tat d’Is­raël et ses dirigeants mil­i­taires et poli­tiques ? Qu’est-ce qui a amené le Hamas, large­ment “engrais­sé” au niveau de ses élites, pro­tégées au Qatar ou en Turquie, avec l’ac­cord et la béné­dic­tion des respon­s­ables israéliens, à pass­er à l’acte ?

Se tourn­er vers l’ac­cen­tu­a­tion de la poli­tique de coloni­sa­tion, le crescen­do des crimes qu’elle engen­dre, et à la fois vers le ghet­to que con­sti­tu­ait Gaza depuis des années devrait per­me­t­tre un début de réponse. L’ef­face­ment pro­gres­sif de la “ques­tion pales­tini­enne”, à coups d’ac­cords entre états arabes et Israël, dont l’ac­cord avec l’Ara­bie Saou­dite encore sur la table, était perçu à la fois par les élites pales­tini­ennes et par les pop­u­la­tions, livrées aux affres de la coloni­sa­tion et de l’a­partheid. La “direc­tion pales­tini­enne”, potiche en Cisjor­danie, ou l’ad­min­is­tra­tion du Hamas à Gaza n’ig­no­raient pas les insup­port­a­bles con­di­tions dans lesquelles vivaient leur jeunesse, et la rad­i­cal­ité de la volon­té de résis­tance qui en découlait. En Cisjor­danie, c’est à min­i­ma une col­lab­o­ra­tion dans le main­tien de l’or­dre avec Tsa­hal qui s’opérait con­tre elle, finis­sant de décrédi­bilis­er l’au­torité pales­tini­enne, à Gaza, la prison à ciel ouvert voy­ait s’in­staller le dji­had islamique et d’autres à côté du Hamas, en embus­cade. Les murs, bar­belés et con­trôles per­ma­nents avaient aus­si instal­lé durable­ment l’a­partheid et l’ig­no­rance de l’autre.

Ce con­texte présent avant le 7 octo­bre, qui avait jusqu’i­ci ces dernières années éclaté en Intifadas, lancers de mis­siles et con­tres offen­sives régulières de Tsa­hal… pour faire sim­ple, a été “enrichi” par l’ar­rivée au pou­voir de l’ex­trême droite colo­nial­iste et raciste dans le gou­verne­ment israélien. C’est sans doute ce qui a créé les meilleures con­di­tions pour l’at­taque. La direc­tion du Hamas avait un enne­mi à sa hau­teur et saurait ain­si d’au­tant jus­ti­fi­er son attaque devant l’ensem­ble des pop­u­la­tions arabes. La direc­tion poli­tique savait per­tinem­ment que la nature de ses crimes serait excusée au regard de ceux de l’E­tat colo­nial d’Is­raël, voire niée par une cir­cu­la­tion d’in­for­ma­tions tron­quées, une fois la sidéra­tion créée et le chaos jeté dans les opin­ions arabes, et les gou­verne­ments con­traints de choisir leur camp.

Ain­si, bien que les moti­va­tions pro­fondes des dirigeants du Hamas relèvent d’une envie géno­cidaire non refoulée, leur crime de guerre à min­i­ma, deve­nait à la fois le moyen de répon­dre à la rad­i­cal­ité de la jeunesse pales­tini­enne et, sur le temps long, de pren­dre le lead­er­ship de la “résis­tance”, dont le dra­peau déchiré gisait à terre. Le prin­ci­pal otage entre les mains du Hamas devient de fait le Peu­ple pales­tinien et sa résis­tance à la coloni­sa­tion, avec de plus, un “syn­drome de Stock­holm” massif.

La réac­tion de haine, de vengeance et de dépit de l’E­tat colo­nial israélien, touché en son coeur sécu­ri­taire, et la forte volon­té des va-t-en guerre de l’ex­trême droite, ont fait le reste, offrant cette vic­toire poli­tique au Hamas.

Ce que révèle donc cet après 7 octo­bre, c’est ce fond de haine cristallisé et la volon­té de faire dis­paraître l’autre qui ne s’é­tait mil­i­taire­ment et poli­tique­ment exprimée à cette échelle, depuis le sabor­dage des accords d’Oslo. On y retrou­vera donc tout ce qui peut alert­er au titre du Droit inter­na­tion­al sur les inten­tions géno­cidaires des deux par­ties combattantes.

Pour qu’il y ait géno­cide, il faut démon­tr­er que les auteurs des actes en ques­tion ont eu l’in­ten­tion de détru­ire physique­ment un groupe nation­al, eth­nique, racial ou religieux. La destruc­tion cul­turelle ne suf­fit pas, pas plus que la sim­ple inten­tion de dis­pers­er un groupe.” peut-on aus­si lire dans ce Droit International.

Les “indices d’un géno­cide”, pas plus que les “inten­tions géno­cidaires”, ne peu­vent donc à eux seuls per­me­t­tre d’u­tilis­er le gros mot de façon car­ac­térisée. Pas davan­tage le nom­bre de tués. Et pour­tant ce mot ne doit pas rester un gros mot.

Tsa­hal y met du sien. Avec, dis­ent-ils eux mêmes cynique­ment, un ratio de 1 pour trois, ils revendiquent donc d’avoir tués 5000 com­bat­tants du Hamas pour 10 000 civils, femmes, per­son­nes âgées et enfants, pour moitié. Les mêmes déclar­ent à qui veut con­tin­uer à les armer, que le “tra­vail” n’est pas fini.

On est en droit de se deman­der ce qu’au­rait pu être “l’of­fen­sive sur Gaza” si elle n’avait pas été freinée par la ques­tion des otages et la trêve imposée pour leur libéra­tion. Le “tous ter­ror­istes” et “un bon ter­ror­iste est un ter­ror­iste mort”, l’au­rait sans doute emporté plus encore. Mais nous n’en sommes guère loin depuis la reprise des bom­barde­ments et de la guerre. Le Bibi rejouera tant qu’on le lais­sera jouer. Il a misé 21 000.

Tsa­hal, l’ex­trême droite israéli­enne et le cab­i­net de guerre chas­se les pop­u­la­tions de Gaza en tous sens vers la fron­tière avec l’E­gypte, con­tin­ue à cibler civils, hommes, femmes, enfants, human­i­taires et “jour­nal­istes” encore capa­bles d’in­former, détru­it toute infra­struc­ture util­is­able, hôpi­taux égale­ment, et clame au monde “nous avons prévenu”. Celles et ceux qui sur­vivent aux cen­taines de bom­barde­ments jour­naliers sont privés de soins et du min­i­mum vital.

Celui qui n’a pas vu à Gaza la pan­car­te “Ici, nous restau­rons l’or­dre et la sécu­rité d’Is­raël” péri­ra.

Qui ne ressent pas aujour­d’hui l’im­puis­sance des mots, comme ce fut le cas alors que les mas­sacres au Rwan­da se déroulaient dans l’in­dif­férence et les com­plic­ités, en même temps qu’une guerre en Europe, est bon pour assis­ter à la mon­tée de régimes d’or­dre et de restau­ra­tion des valeurs blanch­es, un peu partout, en lev­ant les bras. Les jours d’après pour­raient être bruns.

Ce com­bat pour la jus­tice, qui doit faire réa­gir face au mas­sacre qui se déroule sous nos yeux à Gaza au nom de la défense d’un cer­tain ordre mon­di­al agressé, dans le plus pur des para­dox­es lorsque l’on se tourne vers l’Ukraine, est essen­tiel pour que la digue qui jusqu’alors empêche l’in­hu­main de tri­om­pher, ne cède pas.

Elever la voix compte encore, mal­gré le bar­rage médi­a­tique qu’opèrent les sou­tiens incon­di­tion­nels de l’E­tat d’Is­raël ici, poli­tiques, médi­acrates, patrons de presse, “culs de plateaux TV”, pro­pa­gan­distes israéliens… et, extrême droite, opportunément.

Para­doxe suprême, ce sont aux petits enfants des vic­times de l’holo­causte qu’on a fait repren­dre les armes des bour­reaux nazis, pour défendre l’or­dre ancien des croisades.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…