Qui ne se réjouirait pas des remis­es en lib­erté de celles et ceux qu’on dif­féren­cie pour­tant en les appelant d’un côté “otages” et de l’autre au mieux “pris­on­niers pales­tiniens” ? La même dif­féren­ti­a­tion d’ailleurs qui s’en­tend aus­si entre “vic­times du 7 octo­bre” et “dom­mages col­latéraux de la riposte con­tre le Hamas”, souf­flée ici par des pro­pa­gan­distes sou­tiens de Tsa­hal, quand ce n’est pas directe­ment ses représen­tants qui ont micro ouvert dans les médias.

Ces libéra­tions négo­ciées sont bien sûr une con­ti­nu­ité de la guerre sous d’autres formes durant ces quelques jours de “trêve”, qui fort heureuse­ment est reconduite..

Le Hamas l’avait conçu ain­si, et le gou­verne­ment israélien a du s’y résoudre, alors qu’il y avait en son sein des par­ti­sans de la guerre totale, même au prix de la mort des otages. Tout comme les bom­barde­ments indis­crim­inés sur Gaza, plus guidés par l’e­sprit de vengeance et la volon­té de restau­r­er l’im­age de toute puis­sance de l’E­tat d’Is­raël et de son armée, mise à mal le 7 octo­bre, le gou­verne­ment d’ex­trême droite a dû céder cette fois au chan­tage, après avoir con­cédé à la loi du tal­ion. Il explique donc aujour­d’hui que c’est “grâce à la pres­sion” (15 000 morts) qu’il obtient les “libéra­tions”.

Plusieurs pres­sions, mais pas celle-là, ont abouti, pour en arriv­er à cette sit­u­a­tion de trêve précaire.

Restau­r­er l’im­age d’Is­raël comme devan­ture de boucherie ne pou­vait aux yeux du monde entier servir de légitim­ité poli­tique très longtemps, une fois la sidéra­tion passée. Nous sommes très loin des “repré­sailles” d’an­tan con­tre Gaza, en “riposte”, comme il était de bon ton d’écrire encore en 2014.

15 000 morts, et davan­tage de blessés, d’am­putés, de per­son­nes mar­quées à vie, dont 5000 enfants au moins, cela s’ap­pelle des crimes de guerre, pour le Droit inter­na­tion­al et surtout pas une légitime défense.

Surtout, cela a très vite effacé l’ef­froi des mas­sacres du 7 octo­bre. Tsa­hal a tra­vail­lé davan­tage à cet efface­ment en s’en­fonçant dans ce proces­sus de guerre meur­tri­er con­tre des civils que ne l’au­raient fait bien des théories du com­plot et même la pro­pa­gande du Hamas. Et, lorsque les pro­pa­gan­distes de l’E­tat d’Is­raël en sont réduits à dire, à pro­pos de corps de bébés pales­tiniens retrou­vés “qu’ils étaient déjà morts”, les mots manquent.

Le jeu macabre des “com­para­isons vic­ti­maires”, à con­no­ta­tion raciste sou­vent, a fait le reste, et, de toutes façons, ne pou­vait être enten­du dans la région, au delà dans le “monde arabe” et plus large­ment dans les opin­ions publiques inter­na­tionales. Et j’y rajouterai le sen­ti­ment anti colo­nial dans de larges pop­u­la­tions, que la pour­suite et l’am­pli­fi­ca­tion des exac­tions con­tre les Pales­tiniens de Cisjor­danie a ravivé.

La “toute puis­sance” de l’ex­trême droite israéli­enne a dû en rabat­tre, et con­stater que si des Etats lui appor­taient un sou­tien dans sa guerre, ces mêmes Etats en reti­rait un pou­voir, au gré de leurs pro­pres échéances et dif­fi­cultés. Le pou­voir de dire stop au fil de leurs lignes rouges. Du “sou­tien incon­di­tion­nel” on est arrivé, après 15 000 morts à “trêve human­i­taire”, puis “vers une trêve recon­ductible” et aujour­d’hui, tout proche “vers un cessez le feu”. Mais tant que l’ar­ma­da améri­caine sera en Méditer­ranée, Israël en tir­era profit.

Dire que cette “pres­sion inter­na­tionale”, répon­dant aux “pres­sions d’opin­ions publiques” est la rai­son prin­ci­pale qui a amené à cette “sus­pen­sion” des bom­barde­ments et au gel de l’of­fen­sive ter­restre serait erroné et oubli­er les Israéliens eux-mêmes..

La force prin­ci­pale qui a fait bas­culer les choses dans le rap­port de forces avec l’ex­trême droite israéli­enne, c’est la pop­u­la­tion israéli­enne elle-même, de la con­damna­tion des “fautes ayant abouti au 7 octo­bre” à la mobil­i­sa­tion pour la “libéra­tion des otages”. Tout cela sur fond de défi­ance déjà présente con­tre le gou­verne­ment et une organ­i­sa­tion citoyenne de la société civile, pour le meilleur, et aus­si le pire, dans la confusion.

L’idée de devoir négoci­er avec l’en­ne­mi et de vouloir le tuer en même temps ne pou­vait rester un dilemme face à la fois aux répro­ba­tions des bom­barde­ments et des morts par une opin­ion publique inter­na­tionale et la volon­té du “bring them home now”.

La société israéli­enne reste en cela une démoc­ra­tie libérale et d’ailleurs ne pour­ra le rester qu’en s’op­posant au gou­verne­ment d’ex­trême droite et donc, à moyen terme, à ses objec­tifs de guerre totale. Quid de la coloni­sa­tion là dedans ? La marche poli­tique est encore haute.

Car, si la trêve ralen­tit le nom­bre de morts sup­plé­men­taires à Gaza, (la sit­u­a­tion human­i­taire de blo­cus s’en charge), elle accélère les exac­tions des colons israéliens, soutenus par Tsa­hal, et lais­sant sans réac­tion une opin­ion trop forte­ment polar­isée sur ses otages.

On se retrou­ve ain­si avec un pre­mier min­istre qui jouit à peine de 5% de con­fi­ance, mais qui a en apparence les mains libres pour décider de la reprise de la guerre, en dehors des pres­sions extérieures, et surtout du sou­tien aux colons de Cisjordanie.

Une sit­u­a­tion poli­tique qui ne pour­ra dur­er, mais qui pour­rait pouss­er le Bibi à un baroud d’hon­neur meur­tri­er, comme un enfant gâté cas­sant ses jouets.

On sait que côté Gaza, et con­traire­ment à ce que veu­lent nous faire croire les racistes israéliens, le Hamas n’avait pas la pleine con­fi­ance des pop­u­la­tions pales­tini­ennes. Entre une frange plus extrémiste encore et la las­si­tude de la sit­u­a­tion de blo­cus d’a­vant le 7 octo­bre, on perce­vait une défi­ance, que le Hamas con­nais­sait. Des “sondages” effec­tués avant le 7 octo­bre attes­tent de cette dis­tance entre pop­u­la­tion de Gaza et “élites” du Hamas. L’at­taque du 7 octo­bre con­stitue même un élé­ment de réponse à cette défi­ance, et on voit que le mas­sacre a ren­ver­sé la ten­dance avec suc­cès pour le Hamas.

Tsa­hal, là encore, fait pay­er le prix fort à ceux pour qui le Hamas com­mençait à ne plus être sup­port­able, voire représen­tatif. Un paradoxe.

D’un côté les vic­times israéli­ennes étaient pour grande par­tie des par­ti­sans du vivre ensem­ble, de l’autre, les vic­times pales­tini­ennes ne pou­vaient être en grande par­tie assim­ilée au Hamas. Si on devait être cynique, on pour­rait dire de façon sim­pliste que deux par­ties règ­lent des comptes sur le dos des pop­u­la­tions dont elles se veu­lent les représen­tantes. Les “vic­times col­latérales” se retrou­veraient ain­si des deux côtés.

Mais après un “Quelle con­ner­ie la guerre”, totale­ment inutile, revenons à ces “échanges” d’otages.

Non seule­ment l’E­tat d’Is­raël arrête en ce moment autant de Pales­tiniens qu’elle ne libère de prisonnièr.es en déten­tion admin­is­tra­tive recon­ductible sans juge­ment, une par­tic­u­lar­ité d’un Etat qui se dit être une démoc­ra­tie, mais la police et Tsa­hal font tout pour empêch­er les familles pales­tini­ennes de se réjouir de la libéra­tion des leurs, allant jusqu’à tuer pour cela en Cisjordanie.

A l’in­verse, le Hamas met en scène la libéra­tion d’o­tages civils, enfants, femmes et per­son­nes âgées, que, rap­pelons-le, il déte­nait, en com­met­tant là un crime de guerre sup­plé­men­taire. Mais, là encore, le gain poli­tique va pour­tant au Hamas, qui voit sa pop­u­lar­ité renforcée.

Tant que l’ex­trême droite israéli­enne et les direc­tions mil­i­taires de Tsa­hal, le gou­verne­ment et l’actuel cab­i­net de guerre, pour­suiv­ront dans le sens de la guerre et des mas­sacres, ils con­tin­ueront, sous une autre forme, le “finance­ment” du Hamas exis­tant avant le 7 octo­bre, payé cette fois en gains politiques.

Mais la réal­ité démon­tre que dans les faits, les objec­tifs poli­tiques des uns et des autres sont les mêmes, con­fis­quer la paix et une coex­is­tence pos­si­ble, pour la défense absolues de leurs intérêts nation­al­istes et leur main­tien au pouvoir.

Il est dif­fi­cile de percevoir ce que pour­rait être l’is­sue de cette guerre, trêve com­prise, et les pris­es de con­science d’autres voies pos­si­bles par­mi les pop­u­la­tions israéli­ennes et palestiniennes.

Des fer­ments exis­taient côté israélien, et s’ex­pri­ment faible­ment à nou­veau, dans la con­fu­sion. Côté pales­tinien, tant la répres­sion israéli­enne, le jeu de dupes entre Israël et Hamas, ont fait reculer l’émer­gence des voix pour la paix, et on le com­prend. Mais ces “libéra­tions” sont por­teuses de réflex­ion poli­tique, et éloignent la sidéra­tion qui avait soudé les Israéliens autour d’un tueur en chef, capa­ble de diriger la “vengeance”.

Dans ce décor de ruines et de sang, le salut de la main entre com­bat­tant du Hamas et ex otage, représente bien la néces­sité d’un retour d’ur­gence à la réal­ité. Elle n’est pas celle-là. Et cette réal­ité n’ap­pa­raî­tra qu’avec un cessez le feu défini­tif et la prise de con­science qu’une paix ne pour­ra naître sans se débar­rass­er des acteurs de la pièce. Cette pro­pa­gande, c’est la guerre.

Enfin, quand on regarde qui sont les prisonnièr.es libérées des geôles israéli­enne, on con­state qu’elles véri­fient toutes les vidéos d’ex­ac­tions de l’ar­mée israéli­enne en ter­ri­toire cisjor­danien : les arresta­tions arbi­traires d’en­fants lanceurs de pier­res, de jeunes femmes les défen­dant ou les rejoignant, les actes isolés con­tre l’oc­cu­pant. Et l’am­pleur des déten­tions admin­is­tra­tives recon­ductibles sans juge­ment appa­raît au grand jour. Encore un gain poli­tique pour le Hamas, dans ce qui sem­ble pour lui une entrée en matière dans son chan­tage aux otages.

Il est impos­si­ble de croire qu’en Israël, cette per­cep­tion n’ex­iste pas. Con­sid­ér­er l’opin­ion publique israéli­enne comme sem­blable à beau­coup de plateaux télé en France, fleu­rant bon le racisme et la dés­in­for­ma­tion, serait se con­damn­er à ne plus rien dire et au pes­simisme absolu.

Il est com­pliqué en France, d’abor­der cette ques­tion des otages car, out­re le fait que cela baigne dans la pure émo­tion, la droite et l’ex­trême droite, aidées par les habituel.les islam­o­phobes de ser­vice, s’en sont con­sti­tué un domaine réservé, aux côtés ici des représen­tants, sou­tiens et cor­re­spon­dants du gou­verne­ment israélien actuel. Une majorité de médias se com­por­tant sur le sujet comme des toutous de l’ex­trême droite israéli­enne et de Tsa­hal, l’omer­ta est aus­si apparue à gauche. Se réjouir des libéra­tions deviendrait sus­pect, les deman­der tout en sou­tenant la demande de cessez le feu “cor­romprait” le mes­sage, alors que cette exi­gence en Israël même vient d’obtenir un pro­longe­ment de trêve.

Nous ne pou­vons dans cette con­fu­sion que rechercher une bous­sole.

 

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…