Le ter­ror­isme est “l’emploi de la ter­reur à des fins  poli­tiques, idéologiques ou religieuses”. On retrou­ve les ter­mes de cette déf­i­ni­tion dans nom­bre de langues et inter­vient égale­ment le critère de la “vic­time du ter­ror­isme (civile, désar­mée, inno­cente, attaque con­tre une démoc­ra­tie qui aurait per­mis au ter­ror­iste de s’ex­primer légale­ment)”. J’ai donc emprun­té celle-ci à Wikipédia.

Et, quand on veut coller l’é­ti­quette sous une “image”, dans le grand album de l’His­toire, on se heurte à des ques­tion­nements infinis.

Tenez, “les bom­barde­ments de Dres­de”, “Hiroshi­ma”, “une scène de guerre en Irak”, “les mas­sacres en Ukraine”, “Le Bat­a­clan à Paris”, “le 7 octo­bre en Israël”, “les bom­barde­ments sur Gaza”, “Daech à Mossoul”.…

On va presque man­quer d’é­ti­quettes, et je vais devoir en emprunter à des spé­cial­istes, comme la Turquie, par exem­ple, qui les utilise pour chaque cou­ver­ture de dossiers d’op­posants poli­tiques, ou pour jus­ti­fi­er des bom­barde­ments pour assur­er sa “légitime défense” sur des ter­ri­toires qui ne sont pas le sien ou qu’elle tient sous con­trainte d’Etat.

Et, pen­dant ce temps là, les images sans déf­i­ni­tion s’ac­cu­mu­lent, en prove­nance du siè­cle dernier ou de celui-ci. Algérie, Con­go, Viet­nam, Rwanda…

Selon la couleur poli­tique du jour­nal où la pho­to a été découpée, le ter­ror­iste est un com­bat­tant désireux de libér­er un Peu­ple, ou une armée déver­sant son napalm et ses bombes, pour par­venir à ses fins. Ceux qui m’ont four­gué l’é­ti­quette m’ont mis dans l’embarras. J’au­rai du me con­tenter des albums Pani­ni pour occu­per mes soirées désoeuvrées.

Ren­seigne­ments pris, le terme “ter­ror­isme” n’a pas de recon­nais­sance juridique inter­na­tionale. Ce n’est pour­tant pas faute d’E­tats et de Nations qui voudrait le voir entr­er dans des con­ven­tions et ain­si valid­er et légitimer les “listes” qui cir­cu­lent. Il y a bien par­fois des con­tra­dic­tions fla­grantes, comme celle que con­sti­tua le sou­tien mil­i­taire et poli­tique aux Kur­des de Syrie, pour­tant iden­ti­fiés au PKK, présent sur ces fameuses listes, mais on nous expli­quera que l’ex­cep­tion con­firme la règle. Et quand on demande à ce que le PKK, juste­ment, soit rapi­de­ment retiré de la liste en ques­tion, on s’en­tend répon­dre que l’E­tat turc a le droit de se défendre, présence dans l’OTAN oblige, à l’oc­ca­sion ques­tions d’im­mi­gra­tion. Pou­tine a bien essayé d’in­tro­duire une vari­ante, avec l’é­ti­quette “nazis”, mais l’ho­molo­ga­tion peine à arriv­er. Ses bombes sont plus rapi­des que son tal­ent de faussaire.

Bon, un colonel fran­coph­o­ne de l’ar­mée israéli­enne a récem­ment fourni un éclair­cisse­ment sur une chaîne d’in­fos : “les ter­ror­istes sont les méchants”. Va fal­loir se con­tenter de cela et de la parole de ce “gen­til” qui, par ailleurs, nous brouille à nou­veau en faisant un tri par­mi les vic­times de ce mois sanglant entre “vic­times israéli­ennes” et “morts pales­tiniens”, “peu­ple élu” et “dégâts col­latéraux”. Pour ce colonel porte paroles de Tsa­hal qui explique tou­jours docte­ment aux jour­nal­istes de plateaux admi­rat­ifs de ces épaulettes, que pour avoir une reine, il faut détru­ire l’es­saim, la fin jus­ti­fie les moyens. Un ter­ror­iste ne dirait pas mieux.

Ha, j’en ai trou­vé un. Avec ceux du 7 octo­bre, j’ai du coup des méchants et un gen­til au dessus de la même éti­quette. Y a que­qu’­chose qui tourne pas rond, j’y retourne immédiatement.

On m’a con­seil­lé d’in­ter­roger à ce sujet des recueils de traités et con­ven­tions qui com­pi­lent les “droits et devoirs” des Nations entre elles, et qui con­stituent un frag­ile accord acquis au fil des guer­res et des tueries mon­di­ales ou local­isées, sur ce qui est accept­able par tout le monde, en matière d’élim­i­na­tion de l’autre. Cela s’ap­pelle le “Droit inter­na­tion­al” et sert à la fois de rehausseur de siège dans les instances inter­na­tionales, et de guide, pour qui veut lire.

En tous cas, lorsque j’ou­vre le livre, je ne décou­vre pas le mot ter­ror­isme lorsque le gou­verne­ment turc bom­barde le Roja­va, prof­i­tant de l’é­moi créé par le 7 octo­bre, ni même une pos­si­bil­ité d’in­crim­in­er les assas­sins qui ont agi ce même jour. Et je suis tombé par con­tre sur les rubriques “crimes de guerre” et “crimes con­tre l’hu­man­ité”, issues d’une jurispru­dence com­mune inter­na­tionale accu­mulée au fil de l’His­toire sanglante du monde.

Je com­prends alors que si pour “ter­ror­isme”, c’est par­fois et sou­vent “celui qui le dit qu’y est”, pour “crimes de guerre” et “crimes con­tre l’hu­man­ité”, la déf­i­ni­tion n’est plus floue, mais validée par l’his­toire humaine et ses con­flits et guer­res. Ajou­tons à cela qu’un “Droit de la guerre” existe, et nous en aurons fini aus­si avec la “lib­erté de se défendre”, qui elle aus­si a ses con­ven­tions définies. Et toutes ses règles fonc­tion­nent en con­for­mité avec le Droit nation­al recon­nu par les dites “démoc­ra­ties” qui ont signé.

Un exem­ple : vous bom­bardez un hôpi­tal, vous l’occupez.

On est bien d’ac­cord, on met le car­ac­tère ter­ror­iste de l’ac­tion de côté.

Dans les con­ven­tions dites de Genève et ses pro­to­coles addi­tion­nels on trou­ve “Les hôpi­taux civils organ­isés pour don­ner des soins aux blessés, aux malades, aux infirmes et aux femmes en couch­es ne pour­ront, en aucune cir­con­stance, être l’ob­jet d’at­taques; ils seront, en tout temps, respec­tés et pro­tégés par les Par­ties au con­flit”. Les arti­cles 18 et 19 de la Con­ven­tion de 1949 enca­drent cela et ajoutent des con­di­tions strictes sur la nature “civile” de ces hôpitaux.

Voilà. Pour un “bel­ligérant”, pour se met­tre en con­for­mité avec l’al­bum, il suf­fi­ra donc de chang­er l’é­ti­quette et de le faire savoir.

Bon, vous n’irez pas jusqu’à chang­er un hôpi­tal en sta­tion-ser­vices, mais vous pou­vez à grand ren­fort de com­mu­ni­ca­tion tout au moins, le trans­former en caserne de l’en­ne­mi, surtout si vous êtes maître de la dite com­mu­ni­ca­tion et de ses relais.

Reste à élim­in­er les civils, qui eux, relèvent aus­si du Droit de leur côté. On a vu plus au dessus que déjà toutes les vic­times ne sont pas égales, et qu’une par­tie du prob­lème en est ain­si résolu, mais, lorsque d’autres images, plus insouten­ables et cru­elles sur­gis­sent, cela devient com­pliqué. Reste donc à faire jouer la con­cur­rence, et fournir les images du 7 octo­bre en vidéo­ra­ma dans le monde entier. Nos bébés con­tre les leurs, cette descen­dance de terroristes.

Bien sûr, il faut être sûr de ses relais médi­a­tiques pour réalis­er l’opéra­tion. Ne faites pas ça seuls à la mai­son. Munis­sez vous ici d’un ou deux généraux en retraite, d’une car­o­line laï­carde, d’un nation­al rassem­blé autour de l’an­tisémitisme anti boug­noul, d’une jour­nal­iste com­plice à l’in­su de son plein gré, d’un présen­ta­teur helvète neu­tre, et d’une flopée de spé­cial­istes d’eux mêmes, et tous ter­rains, et investis­sez les chaînes d’in­fos. Vous pour­rez tou­jours à l’oc­ca­sion deman­der l’aide du colonel gen­til déjà cité, voire d’un député religieux et nation­al­iste ami du Bibi.

Vous trou­vez que j’ex­agère ? Regardez les infos.

C’est ain­si que vous obtien­drez une “jurispru­dence Gaza” et que vous pour­rez faire éponger le sang par la Com­mis­sion Européenne, human­i­taire oblige.

Veillez toute­fois, une fois votre for­fait com­mis, à présen­ter des preuves de votre inno­cence autres qu’un arse­nal de deal­er et trois boîtes à oeufs sus­cep­ti­bles de con­tenir des grenades.

Fin de notre cas d’école.

Je me suis aus­si inter­rogé sur d’autres images. Celles d’une sol­datesque dansant sur des ruines affublées de dra­peaux, celles d’un mil­i­taire assis dans un canapé échap­pé des ruines et savourant sa vic­toire. Et je me suis alors sou­venu des ruines de la ville kurde de Nusay­bin en 2015, et des immenses dra­peaux turcs dont les soudards ivres de sang de l’ar­mée l’avait affublée, comme on trav­e­s­ti­rait en mar­iée la femme qu’on viendrait de vio­l­er en bande organ­isée. Une amie chère, artiste et jour­nal­iste, qui en avait vécu le siège et en avait réal­isé une “image”, fut alors pour cela accusée de “ter­ror­isme” et pas­sa près de trois années en prison.

 

La jurispru­dence Gaza ou la céc­ité volon­taire des Etats, pré­parant des haines recuites là encore dans cette par­tie du monde ? Et si un Pou­tine s’emparait de cette jurisprudence ?

Je n’ai pas par­lé des pris­es d’o­tages mais, que ce soit celui qui les enlève, ou celui qui n’en tient pas compte en pour­suiv­ant ses buts d’élim­i­na­tion, on se met­tra d’ac­cord sur “crimes de guerre” et appel­er à un cessez le feu pour leur libéra­tion, si cela est encore possible.

Et serait-ce trop deman­der que d’avoir un temps de paix pour pleur­er sur les vic­times. Les vic­times des assas­sins du hamas du 7 octo­bre, et celles de la sol­datesque nation­al­iste et revan­charde, aux ordres d’un gou­verne­ment d’ex­trême droite, à Gaza ou en Cisjor­danie. Au train où vont les choses, même ce temps de paix risque d’être rem­placé par le défer­lement des haines.

On n’en a pas fini avec le ter­ror­isme, au dos aus­si por­teur que la largeur d’un tapis persan.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…