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Ecrire encore sur les migrant.e.s, les murs, les bar­belés et les fron­tières, serait-il tou­jours enfon­cer des portes ouvertes ?

Juste­ment non, et cet oxy­more n’a pas lieu d’être.

Les mobil­i­sa­tions autour des migrant.e.s, leur sauve­tage en mer, le tra­vail inlass­able des asso­ci­a­tions qui accueil­lent, appro­vi­sion­nent, sou­ti­en­nent, les sou­tiens à celles et ceux qui sont en procès pour cela, rien ne devrait som­br­er dans l’in­dif­férence, pire, être con­sid­éré comme un “human­isme mar­gin­al”,  fuit par les politi­ciens ou instru­men­tal­isé par des péripéties électoralistes.

Mim­mo Lucano, un temps maire d’une com­mune ital­i­enne de Cal­abre, en déclin démo­graphique et économique, y avait encour­agé l’ac­cueil et l’in­stal­la­tion de migrants, à Riace, dans les années 2000, inter­pré­tant la lég­is­la­tion ital­i­enne dans un sens favor­able, et per­me­t­tant ain­si la réou­ver­ture de l’é­cole, de com­merces, de lieux con­vivi­aux, reviv­i­fi­ant l’ag­gloméra­tion de 2000 habi­tantEs. Il a depuis été con­damné à 13 années de prison pour avoir, entre autres, favorisé des mariages per­me­t­tant de “régu­laris­er” des sit­u­a­tions admin­is­tra­tives de migrant.e.s. Le procès en appel est en cours, mais l’ex­trême droite ital­i­enne a eu sa peau, aidée en cela par l’E­tat ital­ien. L’ac­cueil est criminalisé.

A la fron­tière espag­nole, des migrant.e.s sont per­cutés par un train, alors qu’iels emprun­taient une voie de pas­sage pour éviter les con­trôles policiers. Dans la val­lée de la Roya et alen­tours, des migrant.e.s en prove­nance d’I­tal­ie emprun­tent à pied des chemins de mon­tagne au risque de leur vie, les points de pas­sages frontal­iers exis­tants les refoulant sys­té­ma­tique­ment. Les autorités français­es crim­i­nalisent là aus­si les aidant.e.s, tan­dis que l’ex­trême droite iden­ti­taire et xéno­phobe organ­ise elle des refoule­ments illé­gaux en grand pompe.

A Calais, où se retrou­vent les migrant.e.s désireux de gag­n­er le Roy­aume Uni, des “accords” dits du Tou­quet ont fixé la fron­tière en France. Les per­son­nes sont chaque jour chas­sées des campe­ments pro­vi­soires. Hommes, femmes et enfants sont traités comme des pes­tiférés par les forces de police, et les “aidants” vivent et subis­sent un har­cèle­ment quo­ti­di­en. Les “aides de façade” à min­i­ma et les cen­tres d’éloigne­ment sont là pour don­ner le change, avec une munic­i­pal­ité qui ne cache pas sa pho­bie des migrants. Cette sit­u­a­tion, qui n’a rien de nou­veau, aboutit à un nom­bre élevé de morts pour la tra­ver­sée clan­des­tine de la Manche, par noy­ade, comme en Méditerranée.

Voilà, très som­maire­ment, quelques faits récents, sans même citer ce qui se déroule à la fron­tière biélorusse. Suiv­ez pour cela les liens.

Pour­tant, nous sommes très très loin de la sit­u­a­tion de 2015, où les migrant.e.s se comp­taient par cen­taines de milliers.

Mais, depuis, des “accords” de non accueil ont été signés avec des pays comme la Turquie, des murs de bar­belés con­stru­its, Fron­tex ren­for­cé, tan­dis que les dites “opin­ions publiques” étaient chauf­fées à blanc par des iden­ti­tarismes xéno­phobes, sur fond d’in­stru­men­tal­i­sa­tion de l’is­lamisme ter­ror­iste, dans toute l’Europe.

Impos­si­ble de citer un seul gou­verne­ment de pays européen qui, dans les faits, ne mène pas la même poli­tique que la Pologne en matière de migra­tion à un degré ou à un autre. La Hon­grie, l’Autriche, la France à ses fron­tières basque, espag­nole, ital­i­enne ou anglaise, le Dane­mark, la Bel­gique, l’Es­pagne, l’I­tal­ie, et n’ou­blions pas l’Alle­magne aujour­d’hui, parta­gent les mêmes réti­cences et apri­oris pour les uns, la même xéno­pho­bie d’é­tat pour les autres. A vous de met­tre dans la bonne case, si vous le pouvez.

Si vous voulez un exem­ple, il est français, et, en pleine igno­rance des man­i­fes­ta­tions de sou­tien de ces jours derniers, comme de ce qui se déroule à la fron­tière biélorusse. C’est un tweet du min­istre de l’In­térieur français :

Bel exer­ci­ce, pour celui et ceux qui diri­gent et organ­isent le har­cèle­ment des migrant.e.s, que de met­tre en avant ce qui est le con­stat d’échec de l’ac­cueil, partagé par l’ensem­ble du spec­tre poli­tique, de la non mise en pra­tique d’en­gage­ments inter­na­tionaux, au prof­it d’une poli­tique du chiffre à usage élec­toral, en direc­tion de la frac­tion xéno­phobe et iden­ti­tariste de la pop­u­la­tion française, qui a de tout temps existé.

Le même min­istre félici­ta les forces de répres­sion plutôt que les asso­ci­a­tions d’en­traide à Calais, après le dernier naufrage de migrants. Les “passeurs” sont désignés comme seuls respon­s­ables, et les asso­ci­a­tions d’aide sont mon­trées du doigt, alors que les forces de police, chaque matin, rap­pel­lent aux migrant.e.s l’ur­gence de tra­vers­er, pour échap­per à la répres­sion permanente.

La ques­tion devient une querelle byzan­tine entre la France et l’An­gleterre, dans laque­lle une poli­tique d’ac­cueil et d’asile n’est pas évo­quée, cha­cun cares­sant la par­tie xéno­phobe de son opin­ion publique. Et, rares sont les politi­ciens français qui s’aven­turent à pronon­cer ouverte­ment le mot “accueil”, préférant sou­vent dévi­er sur les “passeurs” et les “caus­es” de l’ex­il. La pres­sion iden­ti­taire est telle que l’idée même de migra­tion devient celle du “grand rem­place­ment”, et que même à gauche, de vieux dis­cours rances qu’on croy­ait réservés à la péri­ode stal­in­i­enne refont par­fois surface.

Mais la France n’est pas le nom­bril du monde, et les migrant.e.s, aujour­d’hui encore davan­tage stigmatisé.e.s, y sont cent fois moins nombreu.se.s que dans les régions qui joux­tent les guer­res, les régimes répres­sifs, où les résul­tantes immé­di­ates des change­ments climatiques.

Sans vouloir diluer quoi que ce soit, l’Eu­rope, qui se bar­ri­cade, dont les dirigeants ont les yeux rivés sur le ther­momètre de la xéno­pho­bie de leurs opin­ions publiques, encour­agé à la hausse par les sou­verain­istes et iden­ti­taires, n’ex­prime dans les faits qu’une idéolo­gie de nan­tis avides de leurs priv­ilèges blancs, regret­tant ce bon temps des colonies où les colonisés s’ex­ploitaient à la mai­son, voire en colonisés d’im­por­ta­tion, comme main d’oeu­vre bon marché.

La mon­di­al­i­sa­tion cap­i­tal­iste là aus­si, recèle en elle une con­tra­dic­tion majeure. Exploiter sur place des dif­féren­tiels économiques, par des délo­cal­i­sa­tions mas­sives, non seule­ment amène à un démé­nage­ment per­ma­nent de marchan­dis­es sur la planète, avec les men­aces et per­ver­sités de ce sys­tème, mais y amène du Cap­i­tal, qui mod­i­fie sur place peu à peu les con­di­tions du prof­it réal­isé, lorsque dis­parais­sent les avan­tages du colo­nial­isme. Guer­res économiques et guer­res tout court devi­en­nent les symp­tômes infec­tieux qui s’a­joutent aux dérè­gle­ments causés par les pré­da­tions du sys­tème. D’autres blocs d’in­térêts se reforment.

Que l’hu­main soit étouf­fé, réduit à fuir cette peste cap­i­tal­iste du fait de l’une ou l’autre de ces caus­es n’est qu’une résul­tante, mon­di­al­isée elle-aus­si. Chacun.e. est né.e et a gran­di quelque part, et ne quitte pas sa terre au péril de sa vie, comme un touriste qui voudrait s’en­richir ailleurs.

Cela, tout le monde le sait. Mais en l’ab­sence de tout pro­jet, autre que la con­cur­rence, en l’ab­sence de tous com­muns, autre que les nation­al­ismes, il devient extrême­ment dif­fi­cile de démon­tr­er que le sys­tème cap­i­tal­iste, adulé et inté­gré dans les con­sciences, est ce broyeur d’hu­man­ité, dont les migra­tions sont comme une mou­ture humaine qui s’é­coule et se répand, et à qui on refuse la fraternité.

Oui, moi aus­si, je sais par­ler des “caus­es”, et ren­voy­er au grand soir où paraît-il elles dis­paraitraient, par le mir­a­cle d’urnes improbables.

Mais, en atten­dant ce mir­a­cle insti­tu­tion­nel tant van­té, des per­son­nes meurent, des par­cours de vie dis­parais­sent, et nous n’avons aucune excuse pour laiss­er la mer, les fleuves, le froid, des trains, se charg­er d’une tâche nécrophage, comme si c’é­tait là une loi naturelle.

Il n’y a pas de petits com­bats pour les migrant.e.s. De la dénon­ci­a­tion de sit­u­a­tions à l’en­gage­ment asso­ci­atif, de la lutte con­tre le sou­verain­isme iden­ti­taire au com­bat pour l’ac­cueil, tout est une avancée, dans ce bour­bier iden­ti­taire brun où nous plonge les défenseurs de priv­ilèges, celles et ceux qui les finan­cent ou les protègent.

Je sais aus­si qu’au­jour­d’hui, écrire “lib­erté de cir­cu­la­tion et d’in­stal­la­tion” vous envoie vers la lune, et que dire de “on ne touche pas au droit d’asile” ? Cela pour­rait vous fich­er S. Voilà donc bien un pour­tant “uni­ver­sal­isme”, délavé depuis, par les actes et pra­tiques de celles et ceux qui le pro­fessent, laïc­ité et anti-racisme mondain en ban­doulière, à gauche comme à droite.

Cette Europe, qui jamais ne cessa de parler de l’homme, jamais de proclamer qu’elle n’était inquiète que de l’homme, nous savons aujourd’hui de quelles souffrances l’humanité a payé chacune des victoires de son esprit.” (Frantz Fanon)


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…