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Un récit de vie de femme, dans les années où le patriarcat était roi, même à Diyarbakır, ces dernières décennies ; et mesurer ce qui reste à parcourir, et comment le chemin ne peut être celui de la résignation.
Zeynep : “J’aurais aimé que ce ne soit pas mon histoire”
Par Arjin Dilek Öncel, publié le 19 avril 2020, sur Jin News, dans le rubrique “De la plume des femmes”
Dans Dicle, petite ville, district de Diyarbakır, l’histoire de Zeynep est connue de toutes et tous. Nous nous apprêtions à rappeler ce qu’elle même voulait oublier. Ecouter ce qu’une femme, qui souhaite rester étrangère à son passé, avait vécu.
C’est devant la porte que nous attendons Zeynep, qui gère ce petit magasin appartenant à une amie, à Dicle, disctrict de Diyarbakır. Elle arrive avec un peu de retard. Je la différencie toute suite, d’entre toutes les femmes, au bout de la rue, pourtant je ne l’ai jamais rencontrée. Farouche, elle marche tête baissée. Et comme elle baisse ses regards, elle ne nous aperçoit pas tout de suite.
Elle ouvre la porte de la boutique et nous invite à l’intérieur. Une femme souriante. Il est impossible de ne pas voir le poids qu’elle porte sur les épaules. Nous avions prévu qu’elle nous raconte, ce qu’elle a vécu, et nous décrivons une femme qui reste debout. Zeynep relie le fait qu’elle soit toujours vivante, à la résilience qu’elle a menée pendant des années.
Avant de parler de sa vie, en précisant qu’il sera difficile de raconter tout ce qu’elle essaie d’oublier depuis des années, elle nous parle des choses du quotidien, comme pour retarder le sujet. Ensuite elle commence son récit, en disant que la géographie de la ville où elle vit, est un coin de paradis.
Lorsqu’elle parle de paradis, je lui évoque, que selon certains récits, Eve, se serait trouvée à Dicle. Lorsque Eve est tentée par “l’interdit” dieu le châtie. Adam et Eve, ainsi chassés du paradis, sont envoyés dans des lieux différents. Pour Eve ce serait Dicle…
Zeynep a 42 ans. Elle ne se souvient pas plus loin que ses 12 ans. Et elle voudrait aussi oublier la suite aussi. “Ma mémoire me joue des tours, en voulant oublier ce que j’ai vécu, j’ai oublié toute ma vie”, dit-elle pour expliquer dans quel état d’esprit elle se trouve.
Zeynep, née dans le village Akrag (Biçer en turc), perd son père lorsqu’elle n’a que 1 an. Avec deux grands frères, elle est la seule fillette de la maison. Ses 12 ans atteints, elle est mariée de force avec le fils de son oncle, lui, âgé de 22 ans. Pas de mariage officiel, car Zeynep n’est pas encore adulte.
Zeynep mariée, tombe enceinte. De plus, malgré ses de 12 ans, elle subit la violence de son compagnon. N’en pouvant plus de cette violence, elle retourne alors dans la maison familiale, avec la petite graine qui pousse dans son ventre.
Alors qu’elle vit désormais avec sa famille, le fils de sa tante, Cuma, vient régulièrement visiter sa tante, la mère de Zeynep. Le mari de Zeynep est mis au courant de cette fréquentation. Il coupe le chemin de Cuma, le tue et se retrouve en prison, pour meurtre.
Après ce meurtre, commence pour Zeynep le deuxième acte de la torture. Un deuxième meurtre. A la 6ème semaine de sa grossesse, les femmes du village s’unissent, et en disant “dans un village, pas de femme sans mari et d’enfant au ventre”, elles imposent les tâches les plus lourdes à Zeynep. On appuie sur son ventre, on lui fait porter de l’eau… Et la graine ne tient pas le coup. Zeynep perd son bébé.
Elle explique comment, pendant des années, elle a essayé de modifier sa mémoire, et ajoute, à propos de son bébé, volé sous torture, “Il allait grandir, et j’allais mettre un être au monde, un morceau de moi. J’ai voulu oublier tout ce qui appartient à ces années. C’est ce qui s’est passé. J’étais enfant. Beaucoup de choses se sont effacées”.
Dicle est entouré de lieux de piété. Un parmi ces lieux, est “Koyla Aşık”. Il se trouve en plein milieu du village de Zeynep. Tous les villageoisEs qui ont des vœux à faire, y courent. Selon la croyance locale, lorsqu’on visite cet endroit, et prie, les vœux se réalisent.
Zeynep se trouve devant une obligation d’exode, du village vers la ville. Sa mère et ses frères ont décidé de quitter le village. Zeynep n’a alors que 15 ans. Avant de quitter le village, elle se retourne vers Koyla Aşık, et elle prie. “Que cette souffrance disparaisse en un clin d’oeil. Que je ne revienne plus jamais dans ce village”. C’est ce qui se passe. Elle ne mettra pas les pieds dans ce village, durant 25 ans.
Cette fois-ci, dans sa nouvelle ville, une vie de recluse commence pour Zeynep. Pendant 7 ans, elle n’est pas autorisée à sortir de la maison familiale. Le monde de Zeynep est désormais la vue d’une rue étroite sur laquelle donne la fenêtre de sa chambre. Et, au bout de cette rue, un arbre. L’arbre perd ses feuilles, redevient vert… Ainsi passent 7 années. Pendant 7 années, une chambre, une fenêtre, un arbre. Les feuilles de l’arbre…
Zeynep, jamais scolarisée, essaye d’apprendre lire et à écrire, et elle prépare les trousseaux de mariage des toutes les jeunes filles de cette ville. “Ma contribution se trouve dans les coffres de mariage de toutes. Pendant 7 ans, j’ai brodé et confectionné des dentelles”.
Ses souvenirs remontant, elle a la voix enrouée. Elle pleure, Zeynep. “J’aurais préféré avoir commis des fautes dans cette vie, pour pouvoir me faire une raison, en me disant, ces choses me sont arrivées, par ma faute. Nous sommes des femmes aux quelles on fait payer le prix fort, sans une once de faute” dit elle, et elle ajoute qu’elle est fâchée avec elle-même, pour ne pas avoir pu lutter contre ce qu’on lui a fait.
La vie de prison à la maison, est désormais terminée.
Zeynep, aujourd’hui, femme de 42 ans, s’occupe de cette petite boutique. “Toute la population a confiance en moi. On m’aime aussi. Craignant les cancans, je me suis abstenue pendant des années d’aller seule, même à l’épicerie. J’étais embrassée lorsqu’on entrait dans le magasin, comme client. A la maison, je me suis débrouillée pour faire tous les travaux techniques moi même, je n’ai jamais appelé de réparateur. Ces pays, sont des petits lieux. Etre femme est très difficile. C’est encore pire si vous êtes célibataire…”
Zeynep subit encore aujourd’hui la violence psychologique de son ex mari, libéré après 15 ans de prison. Elle qui lutte contre toutes sortes de pressions sociales, n’a jamais pensé à se remarier.
Elle a cessé de rêver Zeynep, elle mène toute sa lutte pour survivre, et elle dit, “Mon logement est une location, et c’est moi qui m’occupe de ma mère. Mon unique objectif est de ne pas demander de l’aide à qui que ce soit. Mon enfance est brûlée, ma jeunesse aussi. Mais la vie continue. J’ai réussi à survivre. Je vais réussir la suite aussi”.
Arjin Dilek Öncel