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Com­bi­en de jeunes comme Ali seront encore tués comme ça par la police ? En Turquie? Et ailleurs ? Pour faire régn­er l’or­dre dans le désor­dre d’une crise qui nous submerge…

Il n’au­rait pas fal­lu que je tombe sur cette video de 24 sec­on­des. 24 sec­on­des qui m’ont glacé le sang. Et je ne suis pas la seule. 24 sec­on­des qui ont suivi les quelques min­utes où la foudre est tombée dans une famille, a brûlé le cœur d’une mère, à vie.

Je ne vais pas vous l’im­pos­er,  mais je vous la décris. Un jeune garçon en plein milieu de la rue. Les policiers autour, le met­tent sur une civière, ensuite dans l’am­bu­lance. Lorsqu’ils le posent sur la civière, en le prenant sous ses jambes et son cou, ta tête penche vers l’ar­rière. Ses cheveux blonds… Un des policiers appuie fréné­tique­ment sur sa poitrine, et pompe de sa main à plusieurs repris­es, pour que son cœur bat­te à nou­veau, en vain. Geste un peu étrange. Car on voit bien qu’il a pris une balle dans le cœur, est-ce un geste adap­té ? Il est aus­si blessé à l’aine gauche.

Ca s’est passé avant hier, le dimanche 26 avril, à Adana, dans le quarti­er Sucuzade, du dis­trict Sey­han En effet, les jour­naux larbins du pou­voir ont écrit aujour­d’hui, “un jeune syrien, Ali El Ham­dani, en voy­ant la police, a voulu fuir. Un polici­er a tiré en l’air comme som­ma­tion. Le jeune est blessé, par acci­dent, à son pied.”

Vous savez que la Turquie applique une drôle de mesure, unique au monde ; un cou­vre-feu durant les week-ends. Alors, la police con­trôle et ver­balise. De plus, pour les moins de 20 ans, et les per­son­nes de plus de 65 ans, c’est inter­dic­tion de sor­tie tous les jours. Ali avait tout juste 19 ans. On était dimanche, donc dou­ble­ment inter­dit de sor­tie. Mais, il fal­lait qu’il aille tra­vailler. Je ne ne reviens pas ici, ni sur les per­son­nes qui ne peu­vent sur­vivre sans tra­vailler, ni sur la sit­u­a­tion des migrants syriens, ni sur les enfants qui sont jetés dans les bras de l’ex­ploita­tion, qu’ils soient turcs ou migrants… Ali rem­plis­sait toutes les cas­es. For­cé­ment, en voy­ant la police déployée pour con­trôle, il a voulu échap­per à l’a­mende. Il n’est pas dif­fi­cile d’imag­in­er la scène. Il panique. Les policiers cri­ent peut être “arrête !”. Il prend ses jambes à son cou. C’est après que je n’ar­rive pas à com­pren­dre. Per­son­ne ne pour­rait com­pren­dre. Selon les tor­chons du pou­voir qui racon­tent n’im­porte quoi et répè­tent d’une voix unique : “Un tir de som­ma­tion”. Même un enfant de pri­maire poserait la même ques­tion : “com­ment une per­son­ne qui fuit, peur recevoir une balle dans la poitrine, et une autre dans l’aine ?”. Courait-il vers les policiers ? Com­ment la balle tirée en l’air a pu l’at­tein­dre, de face, et à deux reprises ?

Dis­ons qu’il fuyait pour ne pas pay­er une amende, et que c’é­tait pas bien. Fal­lait-il le tuer ? Et l’E­tat, qui utilise tous ses moyens achetés ou con­fisqués pour dis­simuler son crime…

La vidéo a été partagée, je ne sais pas par qui, prob­a­ble­ment par quelqu’un du quarti­er, car les habi­tantEs sont atter­rés et en colère. #Aliy­iÖldüren­lerNerede “Où sont ceux qui ont tué Ali ?”, dit le hash­tag qui explose d’indig­na­tion et de tristesse. Se déversent en dessous, des com­men­taires… Qui pensent à la famille, qui se rap­pel­lent d’autres vies pris­es de la même façon lors de la révolte Gezi, Mehmet Ayvalı­taş, Ethem Sarısülük, Abdul­lah Cömert, Ali İsm­ail Kork­maz, Hasan Fer­it Gedik, Medeni Yıldırım, Ahmet Atakan, Berkin Elvan, et Kemal Kurkut, lors du Newroz 2017.. Qui pes­tent et qui pleurent, s’ex­pri­ment. “Ne me dites pas que les mesures appliquées comme ça, sont pour la san­té publique. Je déteste mon pays”. Mais d’autres aus­si… “c’é­tait un syrien” dis­ent les uns, comme si c’é­tait une rai­son d’être tué. “Ils ont fait entr­er ceux là dans le pays, main­tenant, les abat­tent-ils un par un ?”. Les autres félici­tent la police, sou­ti­en­nent les men­songes du pou­voir : “Bien fait !”, “La loi est la loi !”…

Nous nous tenons tout juste en équili­bre, sur le bord de cette pro­fonde falaise, où les mots restent insuff­isants. Qu’est-ce-qu’un monde qui a per­du sa con­science et son human­ité, autre que l’enfer ?

 


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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…