Gülis­tan Doku, jeune femme kurde, étu­di­ante à l’U­ni­ver­sité de Mun­zur à Der­sim, est portée dis­parue depuis le dimanche 5 jan­vi­er 2020. 


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Les dernières images des caméra de sécu­rité mon­trent Gülis­tan mon­tant dans un minibus, après avoir par­lé avec son ex petit ami Zey­nal Abarok, un homme d’o­rig­ine russe. Mais on ne la voit pas descen­dre. Ensuite, plus de traces de la jeune femme…

La veille de sa dis­pari­tion, le same­di, Zay­nal avait for­cé Gülis­tan à mon­ter dans un véhicule par la violence.

Zey­nal Abarok est le sus­pect numéro un, mais est le beau-fils d’un polici­er. La famille de Gülis­tan et les asso­ci­a­tions de femmes et de défense de droits humains soupçon­nent la police et le régime de vouloir pro­téger ce sus­pect, et, en retar­dant le déclenche­ment des recherch­es, de lui offrir de pou­voir dis­paraitre dans la nature, voire à l’é­tranger. La pré­fec­ture affirme pour­tant que Abarok est en Turquie, et sous con­trôle… sans plus de détails.

Dirayet Dilan Taşdemir, porte parole des con­seils de femmes du par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP),  s’est exprimé ain­si à Der­sim, à pro­pos de Gülis­tan : “Dans une région où non seule­ment les pop­u­la­tions, mais même les mon­tagnes sont fouil­lées et passés au peigne fin, une femme reste introu­vable.”

La police penserait à une pos­si­bil­ité de sui­cide. Des recherch­es ont été faites égale­ment dans les eaux du lac de bar­rage d’Uzunçayır, au niveau du pont de Dinar, car deux chauf­feurs de minibus ont déclaré l’avoir vue à cet endroit. Tou­jours dans l’op­tique qu’il s’a­gi­rait d’un sui­cide, la police a inten­si­fié ses recherch­es dans la zone, et a déclaré qu’elle aurait trou­vé, dans l’eau, une ordon­nance au nom de Gülis­tan, ain­si que des ciseaux qu’elle aurait emprun­tés à une amie.

La soeur de Gülis­tan, Aygül Doku, s’ex­prime en dis­ant que la famille rejette la thèse de sui­cide. “Est-ce vrai­ment les ciseaux de Gülis­tan ? La police dit que cela peut l’être ou non, ils ne sont pas sûrs”. Elle affirme, qu’une note a été trou­vée dans sa cham­bre d’é­tu­di­ante, sur laque­lle Gülis­tan fait allu­sion au fait qu’elle soit désor­don­née, “les amies, si je meurs, fer­mez mon lit, et rangez ma cham­bre, qu’on ne dis­ent pas que je suis bor­délique, ha ha ha !”. Mais ses amies ont expliqué à sa soeur qu’il s’ag­it d’une note écrite l’an­née dernière, une boutade entre amis. Aygül informe les médias que, dix min­utes avant de retrou­ver son ex ami, elle a appelé une amie et lui a demandé de se retrou­ver le soir même. Ensuite, elle a appelé son pro­fesseur, et l’a infor­mé qu’elle allait tra­vailler pour l’ex­a­m­en et qu’elle ne fera pas de garde d’en­fant. Elle souligne égale­ment, qu’elle avait acheté des livres de pré­pa­ra­tion pour le con­cours d’embauche de fonc­tion­naires (KPPS).

Depuis, sa dis­pari­tion, le cas de Gülis­tan et la demande de sa famille en souf­france est soutenue par des asso­ci­a­tions et mil­i­tantes en lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes, qui deman­dent d’une seule voix, “Où est Gülis­tan Doku ?”. Cette ques­tion a réson­né dans le pays, lors de plusieurs man­i­fes­ta­tions, rassem­ble­ments, ain­si que sur les réseaux soci­aux et médias.

Quant à la Pré­fec­ture de Der­sim, elle a annon­cé l’in­ter­dic­tion des man­i­fes­ta­tions pour Gülis­tan. Autrement dit, il est donc désor­mais inter­dit de deman­der “Où est Gülis­tan Doku ?”.

Cela peut vous paraitre comme un fait divers quel­conque. Mais voilà un extrait d’une chronique de Ley­la Alp, pub­liée le 17 jan­vi­er sur T24 :

On sait pour Atiye, mais où est Gülistan Doku ?

Il y a quelques années, Garo Pay­lan [député du HDP, d’o­rig­ine arméni­enne], qui par­tic­i­pait à l’émis­sion Mer­cek Altı sur İMC TV [avant sa fer­me­ture par décret], avait racon­té que lorsqu’un enfant arménien vient à la mai­son blessé, amoché, la pre­mière chose qui vient à l’e­sprit de sa mère qui le voit, ne serait pas le fait qu’il serait tombé en jouant dans la rue. Pour des par­ents quel­con­ques, le fait de voir les genoux écorchés de leur enfant, ou son arcade ouvert, est bien sûr une sit­u­a­tion qui éveille l’in­quié­tude. Mais pour une famille arméni­enne, voir l’é­corchure sur les genoux, est le rap­pel d’un trau­ma­tisme. Il ne s’ag­it nulle­ment d’un inquié­tude déplacée.

L’His­toire rap­pelle. L’His­toire est blessure.

La même chose est val­able pour toute per­son­ne traitée comme citoyenne de sec­onde classe.

Par exem­ple, dans des pays comme le nôtre, une femme ne peut pas facile­ment par­tir comme ça, à sa guise, pour aller quelque part. Vous ne pou­vez pas y voir, comme dit la pub­lic­ité d’une mar­que de téléviseur, filmé autour de Atiye, per­son­nage d’une série actuelle, très pop­u­laire; “une femme, quelque part, aujour­d’hui, tourne le dos à tout, et part pour son voy­age”. Dans ce pays, presque 90% des femmes ne pren­nent pas le chemin de leur pro­pre his­toire. Elles ne dis­parais­sent pas, sans prévenir per­son­ne. Vous ne crois­erez pas de femmes qui revi­en­nent après une dis­pari­tion de plusieurs jours, en dis­ant “je suis par­tie me retrou­ver, je suis rev­enue”. Dans ce pays, les femmes, même pour se retrou­ver, restent dans les foules. Parce qu’elles vivent con­tin­uelle­ment dans la crainte que si elles par­tent quelque part ailleurs, il pour­rait leur arriv­er “quelque chose”.

Parce que dans ce pays, les femmes, en ren­trant chez elles à des heures tar­dives, regar­dent der­rière elles. Dans ce pays, les femmes, lorsqu’elles mon­tent dans un taxi, envoient la plaque d’im­ma­tric­u­la­tion à leurs amiEs par sms. Parce que dans ce pays, chaque jour, une ou plusieurs femmes sont enlevées, vio­lées, vio­len­tées, tuées…

Nous, dans ce pays, ne pou­vons pas croire que lorsqu’une femme a lais­sé une let­tre de sui­cide, elle se serait sui­cidée. Parce que nous avons été témoins du fait que les femmes annon­cées comme s’é­tant jetée de tel ou tel étage, avaient été poussées. Şule Çet en était une. “Elle s’est jetée” avait dit son assas­sin, si vous vous sou­venez. L’é­tu­di­ant qui a tué [son pro­fesseur] Ceren Damar, peut encore insis­ter, mal­gré autant de témoins, “nous avions une rela­tion”.

C’est pour cela que lorsqu’une femme est portée dis­parue, la pre­mière chose qui vient à notre esprit, n’est pas une aven­ture, mais la vio­lence, ni le sui­cide, mais le meurtre. C’est pour cela que pour les familles, les amiEs, les min­utes se trans­for­ment en heures, les heures en mois, années… Le temps s’al­longe. On frappe à toutes les portes. On tend l’or­eille à toutes les voix. Que l’his­toire d’Atiye con­tin­ue de se pavan­er sur Net­flix, que les fab­ri­cants de téléviseurs con­tin­u­ent d’en faire la pub­lic­ité de “la lib­erté des femmes”, depuis le 5 jan­vi­er il n’y a pas de nou­velles de Gülis­tan Doku, étu­di­ante de 21 ans. Gülis­tanan a dis­paru depuis 12 jours [le 17 jan­vi­er, le jour de pub­li­ca­tion de l’ar­ti­cle de Ley­la Alp].

Sa famille, qui n’a plus de nou­velles de Gülis­tan Doku, étu­di­ante en 2ème année de péd­a­gogie de l’U­ni­ver­sité de Mun­zur, a sol­lic­ité toutes les autorités offi­cielles. L’a­mi de Gülis­tan est un enfant de police. Avec cette con­fig­u­ra­tion, la sit­u­a­tion ne devient-elle pas plus inquié­tante ? Parce que nos yeux ont déjà vu que de nom­breux hommes adeptes de la vio­lence ont été blan­chis par des “con­nais­sances”, au sein de la police, ou les preuves se sont obscurcies.

Aygül Doku, la soeur de Gülis­tan, a peur que l’af­faire soit étouf­fée. Parce que same­di soir, Zay­nal Abarok, l’a­mi de Gülis­tan, l’a fait mon­ter de force, dans un véhicule, en la molestant. Et dimanche, la dernière per­son­ne qu’elle voit c’est encore Zay­nal. Ensuite, Gülis­tan dis­parait. Sur les caméras, on voit Gülis­tan mon­ter dans un minibus. Mais aucune image ne la mon­tre en descen­dre. Alors qu’il y a des caméras dans tous les coins de la ville, Gülis­tan s’é­va­pore. Pour­riez-vous dire “c’est pos­si­ble” ? Ensuite, une ordon­nance au nom de Gülis­tan, et des ciseaux qu’elle a emprun­té à une amie sont trou­vés. Pour­riez-vous dire “Elle a sauté” ? Est-ce impos­si­ble ? Bien sur que c’est possible.

Mais, dans ce pays, nous avons été témoins du con­traire maintes et mainte fois. Alors, naturelle­ment, nos trau­ma­tismes ne nous lâchent pas.

Met­tez-vous à la place de la famille de Gülis­tan, à la place de sa mère, qui demande de l’aide, à cri et à corps, à la place de sa soeur, qui pleure, à la place de son père… Vous ne deman­derez pas “où est-elle ?”. Il y a sans doute cer­tains qui ne deman­dent pas, et même qui s’en fichent. Nous, nous allons con­tin­uer à demander.

Où est Gülis­tan Doku ?

Ley­la Alp

Leyla Alp est née en 1975 à Sinop.
Elle fut la rédactrice en chef de Emek Dünyası, et éditrice de l’émission Mercek Altı sur İMC TV. Elle a écrit pour Emek Dünyası, T24, Demokrat Haber, Jiyan.org, Sendika.org… Elle continue ses chroniques sur sendika.org et T24.

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