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Un hommage rendu, lors de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, à Havrin Khalaf. Hommage avec des mots d’amour et des couleurs.
Havrin,
Aucun de nous ne t’a jamais connue,
Nous ne connaissions même pas ton nom avant de le lire dans ces journaux posés à terre ici, devant nous, qui nous ont informés du martyre que tu as subi sur une route caillouteuse et déserte de Syrie.
Nous avons appris que tu avais 35 ans et que tu étudiais pour devenir ingénieure, pour apprendre les langues, et pour compléter ton engagement dans la bataille politique en faveur des droits de ton peuple, devenue secrétaire d’un petit parti au nom audacieux et évocateur : “le parti de la Syrie du futur”.
Une femme cultivée, passionnée, généreuse, avec un beau visage délicat, un regard doux et conscient, c’est ainsi que nous t’avons vue sur les photos publiées dans les journaux, dans lesquels tu regardais chacunE droit dans les yeux, tout comme les femmes des œuvres de Zehra.
Nous ne te connaissions pas, mais en apprenant ton massacre, nous avons ressenti une douleur, comme si nous te connaissions depuis toujours. Nous avons eu le sentiment que le monde devenait plus sombre et obscur.
Ton martyre a suscité en nous l’angoisse des innombrables martyres de l’histoire d’hier et d’aujourd’hui, connus et inconnus.
Aujourd’hui, nous sommes ici pour toi (et pour ta mère orpheline si nous parvenions un jour à la joindre) et nous sommes ici pour nous. Nous avons la chance de pouvoir nous réunir autour d’une jeune femme exceptionnelle qui appartient à ton peuple, qui partage la même histoire de témoignages et de défense passionnée des droits de ton peuple et de son peuple kurde, des femmes et des minorités, la même vocation au martyre, comprise comme la disponibilité au sacrifice au nom de ce témoignage.
Nous remercions les hommes qui sont ici avec nous et qui partagent nos sentiments et qui ont accepté de prendre du recul pour nous laisser, à nous les femmes, un espace physique et moral autour de Zehra. Nous sommes ici serrées autour d’elle non pas pour exclure quelqu’un mais pour affirmer notre féminité contre ceux qui ont voulu balafrer avec des pierres, le fait d’être une femme, une femme libre et forte. Nous nous sentons fragiles et impuissantes, tout comme tu l’as été sur cette terre désolée où tu es restée sans défense, face à la violence la plus barbare. Mais en même temps nous nous sentons fortes de ta force, libres de ta liberté, passionnées de ta passion pour les bonnes et justes causes, courageuses de ton courage, belles de ta beauté et surtout comme participantes à cette vocation à la vie et à l’amour régénérant qui est l’antidote le plus puissant contre la violence et l’oppression, en Turquie, en Italie, et dans le monde entier.
Merci Havrin, d’avoir illuminé, avec ta grâce, la scène de ce monde. Ton nom restera gravé dans nos cœurs.
Merci Zehra d’être avec nous, aujourd’hui, pour nous aider à faire notre deuil avec le pouvoir rédempteur de l’art, en transformant ces pages qui nous ont donné la tragique nouvelle en un puissant message d’amour et de partage.
Francesca Bazoli,
La présidente de la Fondation du Musée de Brescia.
Musée Santa Guilia, Brescia, le 25 novembre 2019, lors de la journée internationale contre les violences faites aux femmes.