Baran, de son nom offi­ciel Zeki, jeune kurde d’Uludere (Robos­ki) deman­deur d’asile poli­tique dans le can­ton suisse de St Gallen, subit depuis 17 mois, une inter­dic­tion de quit­ter ce can­ton, pour motif ” est dan­gereux pour la société civile”. En Suisse, les deman­deurEs d’asile frap­péEs de cette inter­dic­tion qui feraient l’ob­jet d’un con­trôle polici­er en dehors du can­ton où ils/elles sont assignéEs, ris­queraient la prison.

J’ai ren­con­tré Baran à St Gallen, et nous avons dis­cuté de ce qu’il endurait. Je partage son témoignage avec vous.

Le jour où j’écris ces lignes, 1er novem­bre, date de la libéra­tion de Kobanê, je voudrais aus­si com­mé­mor­er toutes celles et ceux qui ont per­du leur vie lors de la résis­tance de Kobanê, non pas seule­ment pour libér­er une ville, mais pour sauve­g­arder l’humanité que des gangs bar­bares veu­lent anéantir.


Baran témoigne…

Vous aussi, vous tuez des gens !

Je suis allé de Turquie à Cuba, puis en République domini­caine, et enfin, je suis arrivé Zurich le 23 mai 2017. J’ai demandé asile à l’aéroport. J’ai passé 20 jours dans cet aéro­port. Le pre­mier entre­tien appelé “Entre­tien de par­cours” a été fait ici. Le pro­cureur qui a pris ma dépo­si­tion et m’a dit, “vous aus­si, vous tuez des gens” et en par­lant des forces des YPG, il a ajouté “je sais de la part des per­son­nes qui arrivent ici, que vous faites pres­sion sur les civils”. Le fait qu’il dise “après tout, vous tuez aus­si”, m’a fait com­pren­dre quel regard il avait sur Daesh et ses a pri­ori. Daesh est une organ­i­sa­tion ter­ror­iste et une men­ace pour toutes les sociétés au monde. Et seules les forces kur­des com­bat­tent cette organ­i­sa­tion bar­bare. J’étais très éton­né de ce regard envers Daesh, qui a mas­sacré de nom­breux civils en Europe.

La police du canton m’a de nouveau interrogé

Une fois sor­ti de l’aéroport, j’ai été trans­féré vers le can­ton St Gallen, dans un camp de réfugiés proche de la fron­tière autrichi­enne. Les policiers du can­ton, m’ont extrait du camp et m’ont amené dans un endroit sem­blable à un com­mis­sari­at et m’ont posé des ques­tions iden­tiques à celles posées à l’aéroport. Cette inter­roga­toire, est une pra­tique qui ne fait pas par­tie des procé­dures de demande d’asile. Après l’interrogatoire, on m’a dit que je ne devais pas sor­tir de du camp, sinon une sérieuse sanc­tion serait appliquée. Je ne pou­vais pas quit­ter le camp, même pour aller acheter des cig­a­rettes. Lorsque j’avais besoin de cig­a­rettes je demandais au per­son­nel du camp. C’est eux qui allaient les acheter. C’était comme si j’étais en prison et que je demandais aux gar­di­ens de faire des cours­es pour moi, à la cantine.

J’ai demandé pourquoi cette déci­sion avait été prise. Ils m’ont répon­du “parce que tu es entré dans le pays sans visa”. Je leur ai répon­du alors, que touTEs les réfugiéEs qui arrivent dans le pays, font une entrée sans visa, et que celles et ceux qui ont un visa n’avaient pas de prob­lèmes visiblement.

Cette assig­na­tion au camp a duré 3 semaines. Dans cette péri­ode, lorsque j’ai demandé à la police du can­ton, le motif de cette pra­tique dont je fai­sais l’ob­jet, la réponse fut “parce que tu fais par­tie des forces YPG”. Sur cette inter­dic­tion, je n’ai obtenu aucune autre déc­la­ra­tion que “dan­gereux pour la sécu­rité de la société civile”.

Schweiz

Les forces de YPG sont “dangereuses pour la société civile”!

Après l’interdiction de “quit­ter le camp”, il y a eu l’interdiction de “quit­ter le can­ton”. Cette mesure a été prise du fait que je serais “dan­gereux” en veru de mon appar­te­nance aux YPG, “une organ­i­sa­tion pour la vio­lence”. Je ne peux donc pas quit­ter le can­ton. Tous les trois mois, je dois sign­er un doc­u­ment, pour accepter cette mesure. Au début je pen­sais que cela se fini­rai rapi­de­ment, mais main­tenant cela fait 17 mois. La déci­sion n’est tou­jours pas changée et j’ai com­mencé à me sen­tir comme dans une prison. Actuelle­ment je vis dans un vil­lage à 45 min­utes du cen­tre de St Gallen, avec des amis que j’ai con­nus pen­dant les 10 mois passés au camp.

Assignation au canton ou prison

La déci­sion des autorités de jus­tice de St Gallen, dit, selon l’article 119/1 de la Loi des Etrangers, que si je ne respecte pas cette inter­dic­tion, je peux être jugé avec une demande pou­vant aller jusqu’à 3 ans de prison et une amende. C’est à dire que si je sors du can­ton, il y aurait de sérieuses con­séquences. Prison ou amende. Et égale­ment, l’obtention du per­mis de séjour deviendrait dif­fi­cile. Alors, je respecte l’interdiction. Mais lorsqu’on me remet l’avis, bien que j’ai droit de ne pas le sign­er, dans ce cas où je refuse de sign­er, la déci­sion est quand même appliquée. [Doc­u­ments en pdf]

Demander justice c’est payer

Si je souhaite faire des démarch­es pour con­tester cette déci­sion auprès des juri­dic­tions du can­ton, je dois pay­er 500 francs pour qu’ils étu­di­ent ma demande. Il m’est très dif­fi­cile de pay­er cette somme. Parce que même le sou­tien économique que je reçois men­su­elle­ment n’est pas à cette hau­teur… Je peux pay­er cette somme seule­ment si je vis pen­dant deux mois sans sub­venir à mes besoins per­son­nels. Et cela m’est impossible.

J’ai espéré trou­ver de l’aide auprès “Heks”, une organ­i­sa­tion qui offre de l’aide juridique. Mais l’avocat de l’organisation m’a dit que le fait que j’écrive dans la let­tre de con­tes­ta­tion que j’avais rédigée, “cette mesure me con­cer­nant, a un effet sur moi, me faisant me sen­tir pris­on­nier” était une “lan­gage trop dur et que je ne pour­rais pas con­tester la déci­sion de cette façon”. Si j’avais de l’argent, j’aurais demandé l’aide d’un autre avo­cat. Mais je n’ai pas pu le faire, par manque de moyens. Si tu as de l’argent, tu peux con­tester. Tu peux attein­dre la jus­tice en payant. Main­tenant, j’espère faire la démarche avec un avo­cat qui accepterait que je paye en plusieurs fois.

A vrai dire, je n’ai plus d’espoir d’une déci­sion favor­able pour cette con­tes­ta­tion. Si j’obtiens un per­mis de séjour, cette déci­sion tombera automa­tique­ment. Mais, mal­gré une année entière qui s’est écoulée depuis mon deux­ième entre­tien, aucune réponse n’est arrivée.

Par ailleurs, si un can­ton a la con­vic­tion du fait que je suis “dan­gereux”, et décide que je suis inter­dit de le quit­ter, com­ment l’administration qui décidera pour mon per­mis de séjour pour­rait-elle penser positivement ?

Je n’ai jamais enten­du qu’une telle mesure était appliquée pour d’autres per­son­nes ayant séjourné au Roja­va. Et même les per­son­nes, mem­bre du PKK, ayant obtenu des per­mis de séjour, n’ont pas été objets de cette inter­dic­tion. Je pense qu’il est ques­tion de l’influence du pro­cureur qui a fait mon entre­tien à l’aéroport. Ou peut être, cela vient-il de la struc­ture de ce canton.

Comment une aide humaine à un peuple massacré pourrait-elle être “dangereuse” ?

Je suis allé à Kobanê, pen­dant la péri­ode de mobil­i­sa­tion, afin d’aider humaine­ment des pop­u­la­tions mas­sacrées. Lorsque Kobanê fut libéré, je suis retourné en Turquie. Je ne com­prends pas la logique qui con­sid­ère qu’aider une pop­u­la­tion en dif­fi­culté est être “dan­gereux”. Com­ment une aide humaine à un peu­ple mas­sacré pour­rait-elle être “dan­gereuse” ?

Par ailleurs, si, en reprenant leur terme, je suis “dan­gereux”, je pour­rais donc l’être pour les per­son­nes vivant dans le can­ton où je suis empris­on­né ? Ce n’est pas parce qu’on empris­onne une per­son­ne dans un can­ton que le “dan­ger” dis­parait. Puis-je être alors dan­gereux dans d’autres can­tons, mais pas dans celui-ci ? Je ne suis donc pas un prob­lème pour les habi­tants de ce can­ton, mais pour les autres je suis une men­ace. Cette déci­sion n’est qu’une poli­tique de dis­sua­sion. Je ne vois rien qui cor­re­sponde à la stratégie de sécurité.

Les poli­tiques actuelles d’accueil des réfugiéEs en Suisse, sont des pra­tiques dis­sua­sives, pour que ceux et celles qui vien­nent, ren­trent dans leur pays. “L’unité de ren­voi” qui m’a fait un entre­tien à mon arrivée à l’aéroport, m’avait demandé, “si on vous donne 1000 francs, accepteriez-vous de retourn­er dans votre pays ?”. Ils pensent que les gens vien­nent ici pour l’argent. Je leur ai pré­cisé que j’avais payé 10 000 francs pour venir et j’ai ajouté “si mon soucis avait été l’argent, je serais pas venu et j’aurais util­isé cette somme en Turquie”.

Alors que le YPG n’a aucun attaque envers la République de la Turquie, l’Etat turc réalise des attaques aéri­ennes con­tre les YPG, au Roja­va. Cet Etat fera n’importe quoi à un ancien mem­bre du YPG, ou à une per­son­ne qui est allée au Roja­va pour aider le peu­ple kurde. Si j’étais en Turquie, soit je serais en prison, soit mort. Si je n’étais pas dans une sit­u­a­tion dif­fi­cile, pourquoi serais-je venu ici ?

En Turquie je risque la prison, et ici je suis dans une sit­u­a­tion de prison à ciel ouvert. Même la Suisse me sanc­tionne parce que j’ai fait par­tie du YPG, imag­inez ce que la Turquie peut me faire… Je subis la puni­tion d’un crime que je n’ai pas com­mis et qui n’existe même pas. Quelle est alors la dif­férence entre la Suisse et la Turquie ?

Cette décision me perturbe

Dans les pre­miers temps, je n’ai pas pris trop au sérieux cette déci­sion qui me con­cer­nait. Dans le camp où j’étais, j’ai essayé d’apprendre la langue alle­mande. Avec des efforts per­son­nels, j’ai atteint un niveau qui me per­met de m’exprimer. Cette déci­sion m’affecte dans tous les aspects de ma vie. Cette déci­sion est renou­velée tous les trois mois et signée, et la dernière est val­able jusqu’au 12 jan­vi­er 2019. Elle sera fort prob­a­ble­ment recon­duite encore. Il n’y a aucune infor­ma­tion sur quand cette déci­sion pren­dra fin. Il n’y a rien. Y a‑t-il ou non, un règle­ment qui dirait qu’après telle durée pen­dant laque­lle la per­son­ne respecterait cette déci­sion, elle devien­dra désor­mais “sécurisée”. Je ne sais pas.

Du fait d’avoir vécu une atmo­sphère de guerre, ma san­té psy­chologique n’était déjà pas très bien. Je me sens men­tale­ment très fatigué. Mais la déci­sion de la Suisse m’affecte pro­fondé­ment. Elle affecte ma vie. Elle affecte aus­si ma demande de per­mis de séjour (asile). Comme le can­ton me con­sid­ère comme une per­son­ne “dan­gereuse”, l’administration déci­sion­naire pour les séjours, ne pensera pas non plus d’une façon positive.

Je pen­sais qu’en respec­tant cette déci­sion, je pou­vais obtenir un per­mis de séjour, et que l’interdiction de quit­ter le can­ton serait lev­ée. C’est pour cela que je ne suis pas allé dans d’autres can­tons. J’y ai des amis et je ne peux pas les voir. Je subis déjà forte­ment la dif­fi­culté d’adaptation à un pays, une société, une cul­ture dif­férents. Avec une telle pra­tique ils essayent de m’isoler encore plus. Cette déci­sion et l’inconnu me per­turbe. Pen­dant longtemps j’ai tra­vail­lé seul, pour appren­dre l’allemand, mais main­tenant j’ai des dif­fi­cultés à me con­cen­tr­er, même pour cela. Les cours de langue dans le vil­lage, sont qua­si inex­is­tants. Je me sens isolé, comme si j’é­tais dans une prison à ciel ouvert.

Je voudrais dire ceci : nous les Kur­des, nous sommes un peu­ple qui donne beau­coup d’importance à la lib­erté. Ici, je ne me sens pas du tout libre. Pour moi, là où les fron­tières exis­tent, il ne peut y avoir ni lib­erté, ni une vraie vie. La seule chose que je voudrais, c’est vivre libre­ment, comme tout le monde.

Note de Kedistan : Si le PKK figure toujours sur les listes internationales pour “terrorisme”, malgré toutes les demandes de révision de ces dites listes, la branche armée YPG n’y est pas inscrite, mais est considérée comme un “allié” de la coalition contre Daech, même si bien souvent, dans les médias internationaux on peut lire “émanation du PKK” systématiquement accolé.

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Rosida Koyuncu
Auteure
Activiste LGBTIQ+, jour­nal­iste et cinéaste, en exil à Genève. LGBTIQ+ aktivist, gazete­ci ve sinemacı. Cenevre’de sürgünde bulunuyor.