Ce reportage est le sec­ond d’une série de qua­tre, con­cer­nant les femmes yézi­dies, pub­liée début 2015, sur JINHA, l’agence de presse exclu­sive­ment fémi­nine, co-fondée à l’époque par Zehra Doğan et d’autres jour­nal­istes femmes. Nom­bre d’entre elles furent arrêtées ou empris­on­nées depuis, après l’interdiction et la fer­me­ture défini­tive de l’agence JINHA, et de celles qui furent créées dans son prolongement.

Les attaques géno­cidaires de Daech con­tre les Yézi­diEs datent d’août 2014.

Il nous est apparu néces­saire de re-pub­li­er ce reportage, en ver­sions fran­coph­o­ne, anglo­phone, et tur­coph­o­ne, alors que Zehra, aujourd’hui incar­cérée à Amed, dans une prison de haute sécu­rité pour femmes, après avoir été à nou­veau remar­quée et récom­pen­sée pour son com­bat, voit sa résis­tance enfin recon­nue large­ment à l’ex­térieur de la Turquie, et soutenue par nom­bre d’as­so­ci­a­tions pour les droits humains et la lib­erté d’ex­pres­sion. Ces asso­ci­a­tions, intel­lectuels, jour­nal­istes et artistes, soulig­nent le car­ac­tère col­lec­tif et uni­versel de la parole et de la sit­u­a­tion de Zehra au regard de l’ensem­ble des “otages poli­tiques” en Turquie.

Don­ner à lire son tra­vail jour­nal­is­tique en con­tre­point de ses oeu­vres pic­turales qui s’ex­posent ici ou là en Europe nous a paru important.

Ces textes fer­ont prob­a­ble­ment et néces­saire­ment l’objet d’un livre, con­tenant ceux-là et bien d’autres nou­velles, dès qu’unE éditeur/trice en saisira l’importance, et pour nom­bre d’entre eux, le tal­ent qu’ils recè­lent, tout comme ses oeu­vres pic­turales. Alors, avis aux éditeurs/trices !

Ce reportage en qua­tre par­ties se place par­mi les témoignages aux­quels la presse inter­na­tionale n’a daigné prêter atten­tion que lorsque le sujet “femmes yézi­dies et Daech” est devenu por­teur d’audience. Il y eut ensuite une défer­lante sur les réseaux soci­aux, jusqu’à la prise de parole à l’ONU que l’on con­naît. Il sem­blera donc être du “déjà lu” pour cer­tainEs, comme pour toutes les ques­tions où le “pathos” et le sen­sa­tion­nel ont pris le dessus ensuite, en arti­cles con­cur­rents, jusqu’à tuer même l’information. Zehra Doğan s’exprime d’ailleurs sur le silence des médias, lors de son dis­cours de remise de prix de jour­nal­isme Metin Gök­te­pe (voir vidéo dans l’article 1).

Vous pouvez accéder aux autres parties du reportage en cliquant sur l’étiquette “Zehra Doğan interview” 

Les femmes de Sinjar seront utilisées pour des attentats à la bombe

DÊRİK –

Daech se pré­pare à utilis­er cer­taines des 7 milles femmes qu’il retient en otage comme bombes humaines. Si rien n’est fait, aucune mesures pris­es en urgence, le bilan humain des mas­sacres qui seront alors com­mis risque d’être lourd.

Quant aux femmes qui ont réus­si a s’échap­per par leurs pro­pres moyens, plusieurs d’en­tre elles se sui­ci­dent aujour­d’hui pour ne pas met­tre au monde les enfants de leurs vio­leurs ou sont vic­times de leurs familles qui com­met­tent des “crimes d’hon­neur” à leur encon­tre. Les femmes qui se sont réfugiées dans les camps au Roja­va, quant à elles, dis­ent ‘Ce qui est arrivé est arrivé, main­tenant il est temps de panser les blessures.’ ”

Après les entre­tiens que nous avons recueil­lis avec nos soeurs à Duhok, nous nous diri­geons vers la ville de Dêrik, au Roja­va. Plus de 10 milles habi­tant-e‑s de Sin­jar vivent dans le Camp Newroz, instal­lé à prox­im­ité, après l’ou­ver­ture du cor­ri­dor de sécu­rité par les YPG/YPJ, suite aux attaques de Daech du 3 août 2014.

Dans ce camp, où l’ab­sence de médecin est un des prob­lèmes pri­or­i­taires, la qua­si total­ité des enfants sont malades. Un tra­vail de réha­bil­i­ta­tion sol­idaire n’ex­is­tant pas pour les femmes, les dirigeantes du Can­ton de Cizîre du Roja­va, se sont mis­es au tra­vail. Elles essayent tous les jours, d’être présentes au camp et de soutenir les femmes sol­idaire­ment, psy­chologique­ment et dans tous les aspects de la vie courante.

Ce qui est arrivé est arrivé, maintenant il est temps de panser les blessures”

Nous mar­chons par­mi les enfants qui con­stru­isent des maisons avec de la boue, puis nous nous réu­nis­sons avec les femmes.

Aucune d’en­tre elles ne veut témoign­er de ce qu’elles ont vécu, et le fait qu’elles n’ont pas pu sur­mon­ter encore ces trau­ma­tismes est claire­ment vis­i­ble. Nadia Ali s’ex­prime : “Ce qui est arrivé est arrivé, main­tenant il est temps de panser les blessures. Il nous faut de l’aide. Nous voulons retourn­er sur nos ter­res. Pour cela, il faut que toutes les forces se réu­nis­sent et sauvent Sin­jar.” Bıhar, Besê et Nadi­ra répè­tent la même chose, “tout le monde en a assez de par­ler de la tragédie. Per­son­ne ne nous aide. Tout ce que nous voulons c’est oubli­er le massacre”.

Les femmes qui se sont sauvées, sont toujours dans une démarche de fuite

Après un silence pro­fond, Pel­da, une des respon­s­ables du camp, partage avec nous un rap­port qu’elles ont récem­ment préparé.

Pel­da pré­cise que 20 femmes sont arrivées et que les femmes qui n’ont pu fuir et attein­dre le camp, ont été ven­dues au Qatar, en Ara­bie Saou­dite, jusqu’en Egypte, plus près à Mossoul, Dere­zor et d’autres villes de Syrie. “Comme vous le savez la Syrie est dans la guerre. Tout en con­tin­u­ant à résis­ter con­tre les attaques de Daech, nous essayons de pour­suiv­re nos travaux avec les femmes. Mais pour cela, une sol­i­dar­ité plus impor­tante est néces­saire. La majorité des femmes qui se sont échap­pées, sont très jeunes. Il y a deux jours huit femmes ont encore fuit Daech et sont arrivées ici. Elles ont entre 16 et 18 ans. Leur état physique et men­tal était très dégradé, elles ne voulaient pas rester ici, et elles ne voulaient s’en­tretenir avec per­son­ne. Elles voulaient par­tir, parce qu’elles avaient été ven­dues en Syrie, et que le lieu dont elle s’é­taient échap­pées était très proche d’i­ci. Nous n’avons pas voulu les empêch­er de partir.”

Les enfants sont incapables de marcher, à cause des viols” 

Les fil­lettes sont restées avec nous pen­dant un moment. Elles avaient été ven­dues et vio­lées plusieurs fois. En fuyant, elles avaient lais­sé deux de leurs amies der­rière elles et elles pleu­raient pour cela tous les jours. Elles étaient en très mau­vaise con­di­tion. Elles racon­taient qu’elles avaient été vio­lées par plusieurs per­son­nes dif­férentes et à plusieurs repris­es, et elles pleu­raient. Comme elles s’é­taient échap­pées pieds nus, leurs pieds étaient cou­verts de blessures. Après avoir passé un temps avec nous, elles ont récupéré, et elles ont voulu par­tir. Leur famille n’é­taient pas ici et elles voulaient les retrouver. 

Après elles, deux fil­lettes de 13 et 14 ans qui avaient réus­si à fuir, sont arrivées. Les filles, vio­lées maintes et maintes fois, ne pou­vaient pas marcher. Celles-ci aus­si, pleu­raient sans cesse, et affir­maient qu’il y avait encore des mil­liers de femmes dans la main de Daech. L’en­fant qui avait 14 ans, prononçait toutes les sec­on­des, la bas­mala1Elle avait per­du la rai­son. Daech bat­tait à mort celles qui ne pronon­cent pas la bas­mala. Elle était ter­ror­isée, elle regar­dait sans cesse der­rière elle.”

Celles qui se sont sauvées, sont massacrées par leur famille”

Pel­da souligne que les femmes qui quit­tent le camp et réus­sis­sent à retrou­ver leur famille, sont cette fois assas­s­inées par leurs proches sous le pré­texte de “net­toy­er leur hon­neur” en faisant pass­er ces meurtres pour des sui­cides. Elle explique qu’après avoir su cela, elles ont déclaré dans la région, une “mobil­i­sa­tion” générale, et elle ajoute “Pour pren­dre les devants, nous avons vis­ité la pop­u­la­tion mai­son par mai­son, et nous avons organ­isé des réu­nions. D’abord nous nous sommes réu­niEs avec les cheikhs, ensuite nous avons réal­isé avec les cheikhs, des réu­nions publiques. Nous leur avons expliqué que ces femmes sont pour le peu­ple yézi­di, des héroïnes. Les Cheikhs con­tin­u­ent encore les réu­nions pour dire à la pop­u­la­tion, que les femmes sont sacrées pour la société. Ces réu­nions ont don­né de bons résul­tats. Nous n’avons plus d’é­chos d’as­sas­si­nats, et les femmes vio­lées ont vécu une sérieuse trans­for­ma­tion de leur sit­u­a­tion. Elles arrivent main­tenant, à dia­loguer avec assur­ance, elles se sen­tent plus fortes.”

Pel­da nous fait pour­tant savoir que, dans cer­tains vil­lages, les choses sont mal com­pris­es. “Lorsque cer­tains cheikhs expliquent que ces femmes sont sacrées, ils ajoutent que ceux qui épouseraient celles-ci feraient une bonne action. De fait, cer­taines de ces femmes ont été mar­iées avant qu’elles ne  puis­sent sor­tir de leur trau­ma­tisme. La plu­part étaient de jeune âge. Il y a eu des suicides.”

Les femmes sont aus­si util­isées comme bombes humaines

Elle ter­mine en nous infor­mant sur le fait que Daech se pré­par­erait à utilis­er les femmes qu’il détient, pour des atten­tats à la bombe.

Dans les entre­tiens que nous avons fait avec les femmes qui se sont échap­pées récem­ment, nous avons appris que Daech plan­i­fierait des atten­tats. Ils deman­dent aux femmes ‘savez-vous con­duire?’, et ils sépar­ent les femmes qui con­duisent, les groupe dans un autre lieu. C’est une cat­a­stro­phe. Des mesures devraient être pris­es au niveau mon­di­al, en urgence, et ces femmes doivent être sauvées.”

Auteure invitée :
Zehra Doğan

Artiste et jour­nal­iste, actuelle­ment tou­jours incar­cérée dans la prison pour femmes d’Amed.
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Zehra Doğan • Röpor­taj 2 | Şen­gal­li kadın­lar can­lı bom­ba eyle­minde kul­lanıla­cak Oku­mak için tıklayınız

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Zehra Doğan
Auteure, mem­bre d’hon­neur de Kedistan
Jour­nal­iste, artiste. Jour­nal­ist, artist. Gazete­ci, sanatçı.