Nous donnons suite à la première partie du compte-rendu où l’on a montré qu’une analyse structurelle des systèmes de domination pouvait être faite dans le cadre de l’écologie sociale, et qu’une proposition, celle du communalisme, en découle.
Nous continuons ce compte-rendu du petit festival d’écologie politique toujours en intégrant les apports des intervenantEs à notre critique sociale et écologique.
Morlaix • Écologie politique ? Non ! Écologie sociale Partie 1 | Partie 2 | Partie 3
Intervention du collectif
“Des Mines, NON !” — Alternatives Projets Miniers
sur les Projets miniers de Centre Bretagne
L’industrie minière a posé ses yeux sur la Bretagne : 7 PERM (Permis Exclusif de Recherches de Mine) ont été déposés à ce jour. Les sociétés de prospection qui en sont les auteures sont à la recherche notamment de tungstène (qui sert à faire des foreuses pour miner…) et autres métaux rares qui servent à faire des portables, des éoliennes… et des armes.
Ces projets miniers ont été relancés à l’initiative de Montebourg, poursuivie par Macron alors ministre de l’industrie. Pour mettre fin aux tentatives de “verdir” le capitalisme industriel, rappelons que l’industrie minière est la plus polluante (notamment par l’arsenic). L’État capitaliste, comme pour l’extraction de sable, est celui qui délivre ces permis, ouvrant des marchés pour les industriels miniers et permettant ainsi la destruction écologique.
Il y a d’autant plus opposition entre industrie et écologie que les projets industriels en question parviennent à faire un “strike” en se positionnant sur 5 bassins versants aux cours d’eau convergents qui, par le drainage minier acide (acidification de l’eau par l’érosion des lits de rivière, le drainage de minéraux et leur dilution dans l’eau), parviendront ainsi à polluer à jamais les 3/4 de l’eau douce de Bretagne, rien qu’avec 3 de ces projets miniers. En effet, ces projets se situant en bas des collines, elles pollueront toutes les filières faisant remonter l’eau jusqu’à leurs sources en haut des collines. Jusqu’à présent, aucune institution n’a démenti la réalité de la chaîne de pollution suivante : contamination des mines à l’acide → sources → rivières → fleuves →réseau d’eau →personnes.
Les éluEs sont informéEs de ces risques, mais il manque une mobilisation sociale de longue durée pour réussir à bloquer ces projets (ZAD sur les espaces affectés par les projets miniers ? Une occupation de forêt a déjà eu lieu…). La conscience écologique et sociale peut très fortement nourrir un rapport de forces, dès lors qu’on se rend compte de la puissance que l’impact humain peut avoir sur les écosystèmes, puissance dont ces projets miniers sont très révélateurs. Il devient urgent de prendre conscience de nos capacités à être compétentEs sur les sujets qui nous touchent, quand bien même nous ne sommes pas des “spécialistes officiels”, c’est-à-dire assermentés par l’État et le capital.
Intervention de Thierry Brulavoine
sur l’emprise du numérique
Thierry Brulavoine, partisan de la décroissance, rebondit sur le lien (évident avec les projets miniers) entre extractivisme et numérique.
Le développement de l’économie publicitaire numérique est directement en lien avec l’extraction des ressources, car ce sont les mêmes personnes, le même Etat, qui signent les permis miniers et font des programmes de développement du numérique (plans Fabius, Chirac…, Macron ministre de l’Industrie et du Numérique). L’extraction au service du numérique se confronte d’ailleurs à la contradiction externe du capitalisme dont le numérique fait partie : l’exploitation infinie des ressources d’un monde fini, d’où les métaux nécessaires au numérique auront disparu d’ici 20 ans (lire Quel futur pour les métaux ? : Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société, aux éditions EDP Sciences). De façon générale, la part des TIC (Technologies de l’Information Capitaliste) dans l’impact écologique est passée de 10 % à 30 % en l’espace de 10 ans, et pourrait atteindre les 50 % dans les 20 années à venir.
Patriarcat et capitalisme publicitaire
Depuis que Freud a fait de la psychologie humaine un outil du capitalisme patriarcal, donnant appui à la sexualité hétéronormée limitée à la pénétration vaginale et légitimant une vision pulsionnelle de l’humain qui permit le développement du consumérisme et des “pulsions de mort” (légitimant guerres et viols), son neveu, Edward Bernays, est allé plus loin en faisant de l’utilisation de la psychologie le second bras droit du capital (le premier étant la répression armée) via la propagande publicitaire (aujourd’hui appelée “marketing”), dont il a été un “père” fondateur. Utilisation du symbole phallique, vente de méthodes utilisant le subconscient pour modifier l’opinion publique, détournement de valeurs telle que la liberté pour promouvoir l’achat de cigarettes, il a fortement inspiré Goebbels ainsi que tous les propagandistes qui lui ont suivi, et on lui doit le terme “d’ingénierie du consentement”, qu’il décrit comme étant “l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer”.
On pourra retrouver les inspirations de Bernays dans l’actualité, avec l’affaire Cambridge Analytica de Facebook, où les données de millions d’utilisateurEs ont été vendues à des fins d’influencer l’opinion publique pour provoquer la victoire de Trump.
Capitalisme numérique et destruction sociale, un “package” d’enfer
Pendant un temps attaché électronique local d’Attac, Thierry Brulavoine était dans la conviction que “plus on informe, plus on agit”… Alors laissons-nous informer : en 30 ans, nous avons connu une véritable colonisation numérique de nos vies, avec des impacts lourds sur notre développement socio-affectif, notamment chez les enfants. La télé a ainsi été décrite comme un troisième parent par Dufour, et certainEs intellectuelLEs (comme le philosophe Bernard Stiegler) parlent de destruction de l’attention. L’OMS, elle, considère l’usage démesuré d’outils numériques comme de la maltraitance.
Cette croissance du temps passé devant des écrans, c’est une croissance du temps de vie qui nous est dérobé, pour mieux nous nourrir de publicités (même quand on croit simplement jouer, avec l’avènement des “advergames” ou jeux publicitaires, comme ceux de Coca-Cola, MacDo…). Même un cadre de Google a démissionné par l’ampleur du drame, pour ensuite écrire “Comment Google nous vole nos vies”. Chez Facebook, les mêmes auto-critiques ont surgi, et les PDG d’entreprises du numérique mettent même leurs enfants dans des écoles sans écran, pour ne pas affecter leur développement psychologique (d’autant plus que Google et Facebook ont été accusés de cibler les enfants)… Car c’est de cela dont il s’agit, dans le capitalisme numérique, domainede chasse (privée) de l’industrie publicitaire : comment capter l’attention des gens pour vendre de la marchandise ? Comment s’octroyer du temps de cerveau disponible ?
Notons également que l’économie numérique est celle qui voit parmi les pires conditions économiques et sociales de travail, souvent dévastatrices écologiquement aussi puisque liées à l’industrie minière, qui génère elle-même les pires conditions humaines de travail. On pense tout de suite aux enfants dans les mines de cobalt en République “Démocratique” du Congo (un Etat comme un autre), mais il serait illusoire de penser que cet enfer cache un paradis de l’autre côté de la Terre, en Californie. En effet, la Silicon Valley connaît une compétition telle que les dépressions et suicides y sont monnaie courante. Le fait d’ ”avoir la chance de faire partie de l’entreprise qui monte” appelle au sacrifice de ses conditions de vie, des PDG comme Elon Musk demandant à leurs employéEs de travailler jusqu’à 80 heures par semaine et empêchant la création de syndicats. Aussi, la religion techno-numérique ne génère aucun paradis sur Terre, mettons fin à ce fantasme. L’économie numérique a un coût sanitaire, social et environnemental dévastateur. Sa seule promesse, sa seule garantie réelle, c’est la désolation sociale et écologique.
Destruction de la psychologie humaine… au service des Etats
Quand bien même le numérique a ce coût, ou bien justement parce que le numérique permet une telle domination sociale, l’État a investi 1,5 milliards d’euros dans le développement de l’intelligence artificielle, suite à un rapport du génial narcisse mathématique et opportuniste marcheur Cédric Villani, misère d’intelligence sociale. C’est le développement du capitalisme de surveillance qui est financé, avec le concept de “démocratie numérique”, le vote électronique, la vente des données personnelles déjà citée plus haut, etc. Cela atteint un point où, si l’on ne dispose pas des moyens ou des connaissances pour faire de l’auto-surveillance numérique, Pôle Emploi vous offre une formation au numérique, sinon quoi vous êtes relégué au rang d’être humain de seconde zone.
Aujourd’hui, le fait de sortir de l’emprise numérique, ou de n’y être jamais entré, vous condamne à être asocialE. C’est dans ce vide social, hors du numérique et dans la démocratie en face-à-face, que nous pouvons construire une autre communauté humaine.
Pendant ce temps, le nombre de plaintes auprès du CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) explosent, les Etats et super-Etats comme l’UE ne parvenant même pas à contenir les élans violateurs de vie privée des multinationales numériques. Les institutions arrivent donc après coup, pour donner des sanctions insignifiantes (symbolisme qui ne sert qu’à maintenir la paix sociale) ou régulariser les pratiques illégales.
Un modèle humain… analogique ?
Dans l’éducation, il devient urgent de donner d’autres priorités que la formation au numérique, comme par exemple la connaissance de son entourage et de son écosystème. À échelle plus globale, on est en train de transférer la mémoire humaine dans le numérique et de sacrifier la mémoire collective humaine, qui rend les savoirs plus organiques, avec le sentiment du vécu. Les problèmes du numérique dans le développement de l’attention et de la mémoire sont d’ailleurs connus puisque même En Marche a interdit les portables dans les collèges.
Peut-on imaginer une décroissance de l’emprise du numérique ? Il faudrait la lier à un projet de société, avec un certain sens des limites et certains modes de vie privilégiés, tels que discuter avec les gens qui sont présents autour de nous et pas avec les absentEs (en coupant la parole parce qu’on nous appelle). La décroissance ne fournit pas ce projet politique mais fait le lien entre croissance du PIB et croissance des inégalités et des destructions écologiques et sociales.
Thierry Brulavoine pose la question : n’y a‑t-il donc aucun projet cohérent au sujet du numérique et de la destruction écologique ? Europe Ecologie Les Verts ne visent qu’à avoir des places dans le gouvernement, ils défendent de petites réformes quand ce ne sont pas des projets de parking, ils n’ont pas lutté pour la ZAD… La France Insoumise, dans son programme Avenir en commun, affirme le caractère “d’intérêt général” de la révolution numérique, parlant aussi “d’humanité augmentée” et de transhumanisme (Mélenchon : “un jour, nous vaincrons la mort”)…
Décidément, aucune conception écologique de la vie, d’acception de la finitude de la vie et de la mort, de cohérence entre problématiques sociales et écologiques, n’est proposée dans le paysage électoral français. Alors, comment faire ?
Thierry Brulavoine nous propose de redécouvrir le non-numérique, d’instaurer des journées ou weekends sans numérique (“on a bien obtenu les congés payés et les weekends, on peut bien faire ça !”), ou encore de profiter des jours de neige pour stopper la vie “active” (capitalistiquement) et développer la vie communale locale en ne prenant pas la voiture et en faisant du pain, par exemple.
Mais pour développer ces possibilités de vie non-numérique, il est nécessaire de créer un rapport de forces entre deux systèmes de pensée : celui qui propose une cohérence entre l’écologique et le social, et celui qui n’en propose pas.
Nous pouvons désormais présenter ce système de pensée : c’est celui de l’écologie social et du communalisme.
Morlaix • Écologie politique ? Non ! Écologie sociale
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